L’individualisme comme force

L’Âge des découvertes et l’individualisme comme force

Durant l’Âge des Découvertes, tout ce que les Européens décidaient était réalisable. Tout au long de leur marche en avant, de leur quête d’informations sur le monde qui leur entourait, de leur orgueilleuse course, ils bénéficièrent d’une sorte d’immunité similaire à celle dont les Terriens créditeraient une race de Martiens intelligents : seules les forces de la nature pouvaient les arrêter.

Les explorateurs ne faisaient pas partie du courant principal de la Renaissance, mais ils possédaient une des caractéristiques majeures de leur temps : l’individualisme typique de cette époque déjà évolue. Leur histoire nous offre le meilleur terrain d’étude de cet individualisme – ils affrontaient l’inconnu des mois à la file, voire des années, confiant leur destin pour une faible part aux savants et au politiciens restés au pays, pour le reste à leur génie propre et à leur courage, ainsi qu’à leur sens de l’improvisation.

De tous les peuples qui habitaient cette planète, les Européens de la Renaissance étaient les seules à posséder les moyens techniques, économiques, psychologiques indispensables à la mise en œuvre d’un vaste programme de grandes explorations. Les peuples qu’ils allaient affronter étaient trop primitifs, trop mal armés, trop préoccupés par leurs luttes intestines ou encore trop indifférents pour opposer une résistance efficace à l’Europe.

En fait, il existe un certain parallélisme entre les notions que le marin du XVe siècle se faisait du grand large et celles que l’astronaute se fait de l’espace; cependant, le navigateur était moins bien informé et ses chances de revenir dans son part d’attache d’une expédition demeuraient beaucoup plus faibles.

Le navigateur d’autrefois avait peur de dépasser, ver le sud, les côtes du Maroc au-delà desquelles son navire pénétrait dans la « mer vert sombre », un marécage plein de monstres, signalé par les géographes arabes. En mettant cap au large dans l’Atlantique, il était entraîné par les courants ves l’équateur, où tous les hommes devenaient noirs, où la vie était impossible. En mettant cap au nord, le marin rencontrait une ceinture de glaces et Judas errant à l’entrée des enfers.

Quelle que fût la direction prise, loin de terre il avait à affronter les éléments ; Ferdinand, le fils de Christophe Colomb, nous les décrit en ces termes : l’équipage « craignait le feu des éclairs, l’air et ses fureurs, la terre et ses récifs, ses rochers ».

Océan boullonné
L’eau de ce satané océan bouillonne comme dans une marmite au feu (Christophe Colomb, récit du voyage en Amérique). Illustration : © Megan Jorgensen.

L’ère des tempêtes

Nous nous approchâmes de l’Équateur et nous nous trouvâmes encalminés pendant des semaines, quoique soumis à de violents orages avec de terribles éclairs et beaucoup de coups de tonnerre (Francis Drake, 1577).

Une fois engagés dans des régions océanes que ne décrivait aucune carte, le navire subissait les caprices du temps. Les cartes portaient une série d’îles échelonnées au milieu de l’Atlantique mais que les marins, filant devant la tempête ou encalminés dans le terrible pot au noir, ne réussissaient pas à localiser.

Assaillis par une tempête, les marins ne pouvaient que prier et attendre le miracle. Les Anglais entonnaient un cantique « Que Dieu assiste les hommes de bonne foi », les Italiens guettaient les feux de la saint Elme, et cette luminescences, dues à de l’électricité statique, étaient pour eux présage de beau temps. Christophe Colomb lisait la bible à haute voix. Dans son journal il note que les hommes et les vagues se calmaient lorsqu’il répétait la phrase prononcée par le Christ au cours d’un orage : « Ne craignez rien, ce n’est que moi ».

Le scorbut, une terrible maladie due à une carence en vitamines, frappa les équipages de Magellan, mais le navigateur portugais parcourut près de douze milles dans le Pacifique sans rencontrer une île où se ravitailler en fruits et légumes verts.

Après avoir découvert les routes qui, par le sud, leur permettaient de gagner l’Extrême Orient, les explorateurs recherchaient en vain des passages par le nord du Canada ou de la Sibérie. Bien que, sur l’ordre des capitaines, l’on disposait des madriers, des cordages, des matelassages divers à hauteur du plat-bord, les icebergs défonçaient souvent ces protections et écrasaient la coque.

Parfois les matelots travaillaient plusieurs jours à la file pour écarter les icebergs à la gaffe. Certains de ces icebergs, selon l’explorateur danois Jens Munck, « prenait appui sur le fond à 40 brasses de la surface (75 m) et s’élevaient à 20 brasses (36 mètres dans les airs ». « Si je n’avais réussi à faire mordre un fort grappin à la partie supérieure d’un bloc de glace, ce qui permit de faire éviter le navire… ce jour-là nous aurions été par le fond, le navire et nous ». Lors de son expédition de 1619, Munck partit avec un équipage de 64 hommes ; il n’y eut que trois survivants.

ère des tempêtes
« Je suis prêt à aller n’importe où, pourvu que ce soit en avant. » (David Livingstone, médecin et explorateur écossais, né en 1813 et décédé en 1873). Illustration : Megan Jorgensen.

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