L’impôt canadien
Il faut rendre à César ce qui est à César et au gouvernement canadien ce qui lui appartient… c’est-à-dire, une partie de nos gains.
Par André Duchesne
Il faut dire qu’en créant un impôt canadien sur le revenu des particuliers en 1917 le gouvernement fédéral y voyait une mesure temporaire, censée durer le temps de la guerre ! Il y a des jours de paie où l’on a le curieux sentiment que l’armistice n’a jamais été signé…
Les revenus du gouvernement fédéral imputables aux différentes formes de taxes totalisent des centaines de milliards de dollars. Des chiffres étourdissants, qui incitent à se poser des questions sur la valeur de notre système de taxation. En deux mots, il se compare à ceux des autres pays occidentaux.
Voyons plus en profondeur
Dans l’ensemble des pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), le système de taxation se divise en trois grands volets :
- l’impôt direct, qui comprend l’impôt des particuliers et l’impôt des compagnies ;
- les taxes indirectes telles la TPS, les taxes de vente au détail, les taxes d’accises ;
- les taxes sur la masse salariale, telles les cotisations à la Régie des rentes du Québec et celles à l’assurance emploi.
Dans ce modèle, le Canada a un statut de financement qui se trouve à mi-chemin, comme c’est souvent le cas, entre l’Europe et les États-Unis. Le Canada possède une taxe de vente nationale, la très célèbre et impopulaire TPS, que les États-Unis n’ont pas.
Chez nos voisins du Sud, il existe une taxe de vente au détail qui est à chacun des États ce que la TVQ est au Québec.
Introduite par le gouvernement Mulroney, notre TPS, l’équivalent de la TVA européenne, a fait son apparition avec plusieurs années de retard sur celle des pays du Vieux Continent. Elle est venue remplacer l’ancienne taxe de vente aux manufacturiers, qui était inefficace. Dans ce domaine, nous avons donc été lambins. Il faut également observer une autre différence importante entre notre TPS et la TVA perçue en Europe. Alors que cette taxe oscille entre 6-7 % du prix des biens acquis au Canada, elle est généralement entre 15 % et 20 % sur le territoire européen. Autre facette révélatrice : les taxes indirectes sur le produit intérieur brut sont moins hautes au Canada, comparativement à la moyenne dans l’ensemble des pays de l’OCDE.
Il en va de même de la taxation sur la masse salariale, dont les revenus servent aux paiements de retraite, d’assurance-maladie, de primes aux accidentés du travail et autres. Le Canada et les États-Unis imposent des charges relativement peu élevées directement sur les salaires, comparativement à ce que l’on retrouve dans le modèle européen.
Selon une étude publiée dans la Revue fiscale canadienne, les contributions à la sécurité sociale représentent en moyenne 25 % de toutes les taxes dans les pays de l’OCDE alors qu’au Canada elles constituent une tranche qui oscille entre 15 et 17 %, en deçà de la moyenne observée. Dans ce domaine, la France mène le bal; les contributions à la sécurité sociale équivalent à plus de 40 % de toutes les taxes perçues.
Les Canadiens seraient-ils donc plus riches qu’ils ne le croient ? La réponse est non. Si nous payons moins de taxes sur les produits et services et sur la masse salariale, il en va tout autrement du taux d’imposition personnel, plus élevé que la moyenne. C’est là où l’on se distingue. C’est d’autant plus vrai que les provinces canadiennes possèdent un pouvoir de dépenser beaucoup plus étendu que dans les autres pays occidentaux. De tous les pays de l’OCDE, c’est au Canada que les gouvernements dits sous-nationaux ont le plus d’autonomie.
Certes, la plupart de ces gouvernements sous-nationaux dépensent des sommes importantes, quel que soit le pays, mais les subsides proviennent en grande partie de transferts des gouvernements centraux, qui exercent un contrôle serré sur ces sommes. Deux exceptions en Europe : la Suisse et l’Espagne. Il est intéressant de noter que ces deux pays comptent justement des régions remarquables pour leur autonomie culturelle.
Et le Québec là-dedans ?
À propos d’autonomie, qu’en est-il du Québec et quelles sont les différences fondamentales entre son système de taxation et celui du grand frère canadien ?
En matière de fiscalité, disons que le Québec est… une société distincte. Bien que la Loi sur les impôts du Québec soit largement calquée sur le schéma fédéral, le régime fiscal québécois est indépendant de celui du gouvernement canadien. Avec comme conséquence que les Québécois doivent remplir deux déclarations de revenus au lieu d’une dans les autres provinces. Cette caractéristique découle d’une querelle fédérale – provinciale remontant à la Deuxième guerre mondiale. Durant la guerre 1939-1945, le fédéral ne peut plus appliquer les principes de laisser-faire qui régissaient jusque-là l’économie. Afin d’avoir un meilleur contrôle sur celle-ci, il s’entend avec les provinces dans le but d’obtenir les pleins pouvoirs en matière de perception des impôts directs.
Après le conflit, Ottawa souhaite maintenir cette formule afin de relancer l’économie et appliquer les principes du keynésianisme auxquels il adhère. Mais à Québec, le gouvernement Duplessis voit les choses d’un autre œil et se braque devant ce coup de force. L’affrontement durera près d’une décennie.
Ce fut un des grands combats de la carrière politique de Duplessis, raconte René Durocher, professeur au Département d’histoire et directeur du Bureau de la recherche. Il y aura des pourparlers qui aboutiront à une entente entre les gouvernements Duplessis et Saint-Laurent en 1954 en vertu de laquelle 10 % des impôts perçus par le fédéral au Québec le seraient dorénavant par le gouvernement provincial.
Aujourd’hui, avec les systèmes de péréquation et les formules d’opting out prévoyant le transfert de points d’impôt du fédéral vers les provinces, cette tranche est beaucoup plus importante.
En dépit de plusieurs similitudes, le régime fiscal québécois comporte un certain nombre de particularités. En dresser ici une liste exhaustive serait trop long, mais notons que certaines distinctions importantes se trouvent sur les plans des frais de garde d’enfants, des personnes âgées, des frais de scolarité, des personnes vivant seules, des allocations pour enfants et plusieurs autres.
Le Canada et l’Oncle Sam
Le Canada et les États-Unis ayant la plus longue frontière commune au monde, les deux pays bénéficiant de climats économiques, politiques et culturels semblables, il n’est pas surprenant que ces nations aient des systèmes fiscaux convergents.
Au fil des ans, les gouvernements nationaux des deux pays ont d’ailleurs multiplié les ententes économiques et les outils de collaboration sur le plan fiscal. Cette collaboration devrait se poursuivre en dépit de la mondialisation des marchés et de l’économie, mouvements auxquels les deux voisins nord-américains n’échappent pas.
Évidemment, les deux régimes ne sont pas des jumeaux identiques. Certaines mesures, si elles visent le même but, n’ont pas du tout les mêmes modes d’application. Prenons par exemple le cas des abris fiscaux. Le Canada a les REER; les États-Unis ont les IRA et le plan 401 k pour favoriser l’épargne. Le système canadien est légèrement plus souple à ce chapitre, pour des raisons de contributions salariales.
De part et d’autre du 45 » parallèle, on retrouve aussi des mesures fiscales qui sont inexistantes chez le voisin.
Deux de ces mesures, une canadienne et une américaine, méritent que l’on s’y attarde.
D’abord, les Américains propriétaires d’une résidence peuvent déduire leurs intérêts hypothécaires de leur revenu imposable, mesure que nous n’avons pas. Sachant à quel point les intérêts sont élevés sur une hypothèque durant les premières années de remboursement, les gens qui se font construire une maison en banlieue ou qui achètent un appartement en ville bénéficient de cette formule.
Mais celle-ci a le défaut de forcer une certaine orientation de l’épargne. Cela incite les gens à devenir propriétaires au lieu de se tourner vers d’autres modes d’enrichissement.
C’est comme s’ils avaient le choix entre être propriétaires et ne pas posséder d’actions ou avoir des actions tout en restant locataires. Dans les faits, ils devraient être libres de faire ce qu’ils veulent et l’on ne devrait pas encourager fiscalement une chose plus qu’une autre.
Par contre, les contribuables canadiens ont droit à un crédit d’impôt pour dividendes des compagnies canadiennes. En obtenant des dividendes, on reçoit une réduction d’impôt personnelle, accordée en tenant compte du fait que les compagnies ont déjà payé un impôt de corporation sur ceux-ci.
Les deux régimes se comparent. Le système fiscal canadien n’est pas plus complexe – il l’est peut-être un peu moins, en fait – que celui de l’Oncle Sam.
A buck is a buck !
S’il y a un domaine où le Canada a été un précurseur dans le système de taxation, c’est celui de l’élargissement de l’assiette fiscale. Abaisser les taux tout en élargissant la base, voilà une idée que défendait déjà le commissaire Kenneth Carter, président de la Commission royale d’enquête sur la fiscalité dans les années i960 en lançant la célèbre formule A buck is a buck. Aujourd’hui, on dirait plutôt A loon (un huard) is a loon, la bête ayant changé sur la rondelle métallique.
Bon, revenons à nos moutons (pardon, à nos canards !) pour rappeler que les mesures d’élargissement de l’assiette fiscale ont été popularisées au milieu des années 1980 par les gouvernements Thatcher en Angleterre et Reagan aux États-Unis. Mais dès 1981, avec le budget d’Allan McEachen dans le gouvernement Trudeau, le Canada montrait la direction à prendre dans le domaine. Un grand coup sera porté en 1988, à l’occasion de la dernière grande réforme de la fiscalité canadienne. Cette année-là, l’abaissement des taux de taxation et l’élargissement de la base atteignaient des niveaux encore jamais atteints. Trois mesures prises par le gouvernement Mulroney illustrent cet état de fait : l’élimination de certains avantages comme le crédit sur les 1000 premiers dollars d’intérêt, la transformation de certaines déductions en crédits et l’abaissement des taux marginaux.
En dépit des changements apportés en 1988 et des autres réformes majeures, celles de 1971 et de 1981, le système d’impôt sur le revenu des particuliers a relativement peu changé au cours des 20 dernières années. Une étude menée par David B. Perry, dont les résultats ont été publiés dans la Renie fiscale canadienne, révèle que les contributions selon les revenus ont peu varié durant cette période.
Par exemple, en découpant les revenus en cinq tranches, allant des plus faibles aux plus élevés, on constate, autant en 1973 qu’en 1983 et 1993, que la première tranche (les revenus les plus faibles) représente moins de 10 % de tous les revenus imposables, alors que la tranche des revenus les plus élevés représente entre 40 % et 45 % des taxes perçues chez les contribuables.
En fait, c’est du côté des taxes sur la masse salariale que les différences sont les plus notables. Ainsi, durant la même période, la contribution à l’un ou l’autre des régimes de retraite (Canada ou Québec) a chuté chez les salariés les moins rémunérés. La tranche de 20 % des salaires les moins bien payés a vu sa contribution passer de 8,4 % à 5,4 % de l’ensemble des revenus pour le paiement des pensions de vieillesse, alors que, chez les plus riches, cette contribution a grimpé de 26 % à 33,1%.
Même constat pour ce qui est du régime d’assurance-chômage (devenue l’assurance – emploi). De 1973 à 1993, la contribution des salariés les moins bien payés a chuté de 8,6 % à 5,9 % de l’ensemble des contributions. La participation des plus hauts salariés a quant à elle augmenté de 24,6 % à 33,7 %.
Et que font nos gouvernements de tout cet argent ? Ils le dépensent, bien sûr. Mais la façon de faire a bien changé. Le gouvernement a mis la hache dans les dépenses et s’est attelé à diminuer la taille de l’État, dans l’esprit de réduire son déficit et sa dette accumulée.
Source : revue Les Diplômés, hiver 1997, #391.
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