Idéologie de l’Âge des Découvertes

Idéologie de l’Âge des découvertes

Toute grande entreprise exige une certaine part d’idéologie. À l’aube de la Renaissance, plusieurs divers éléments s’étaient fondus pour créer l’idéologie européenne.

Du point de vue psychologique, les Européens se distinguaient par un individualisme créateur et actif. En dépit des privilèges dont bénéficiaient les rois, les féodaux, les religieux, les associations de marchands, l’individu jouissait d’une liberté d’action relativement plus vaste que dans l’Inde, compartimentée en castes, la Chine dont la vie était fortement centrée sur la famille, ou Amérique Centrale et Amérique du Sud, avec leurs monarchies religieuses.

De plus, le niveau de vie européen était plus élevé, malgré les famines et les épidémies. Les révolutions politiques, sociales, industrielles, scientifiques sont l’œuvre de ceux qui désirent acquérir davantage et non celle des pleutres ou des affamés. Ainsi, à l’époque de la Renaissance, l’Europe qui s’était remise de la terrible peste noire du XIVe siècle, était suffisamment à l’aise pour vouloir s’enrichir.

Politiquement, le continent européen était constitué par une mosaïque de nations vigoureuses et indépendantes, jalouses les unes des autres et résolues à s’engager dans la course à la puissance ou à la richesse. Que le Portugal s’élançait et l’Espagne ne pouvait que suivre, la France l’imiter et l’Angleterre intervenir à son tour.

En outre, les Européens étaient chrétiens et, de toutes les croyances existant à l’époque de Christophe Colomb, le christianisme était la religion qui convenait le mieux aux hommes d’action. Et cela malgré l’omniprésence des monastères et des mystiques. En fait, dans le christianisme, l’Europe possédait une religion militante et missionnaire, qui donnait libre champ à la fois à l’esprit de profit et au zèle religieux.

Notons que la chrétienté avait pour plus proche rival l’Islam, dont les armées qui avaient enlevé Constantinople en 1453, menaçaient de submerger l’Europe. L’ardeur guerrière des musulmans était enflammée par leur fanatisme fou, par la croyance que la mort au combat contre les infidèles menait à une vie éternelle au sein du paradis plein de jeunes filles accueillantes.

Pourtant, la morale chrétienne mettait l’accent sur les mérites d’une vie exemplaire plutôt que sur ceux d’une mort rédemptrice.

Par contre, les musulmans, au terme d’une conquête, se montraient, à l’égard des autres religions, d’une tolérance que les chrétiens ne concevaient pas du temps de la Renaissance (ils n’admirèrent la tolérance que bien plus tard). Les chrétiens croyaient d’ailleurs leurs modes de vie et de pensée supérieurs à ceux des autres. Les rois âpres au gain et les marchands avisés utilisèrent ce sentiment de supériorité pour justifier leurs entreprises et se lancer dans les explorations. Quand les rois du Portugal s’élancèrent le long des côtes d’Afrique pour déboucher dans l’océan Indien, ils tenaient la Bible d’une main et de l’autre un sac pour y entasser l’or.

Jamaïque
L’idéologie guette la science en chaque point où défaille sa rigueur, mais aussi au point extrême où une recherche actuelle atteint ses limites. (Louis Althusser, philosophe français, d’origine algérienne, né en 1918 et décédé en 1990, Lire le capital). Photo par Histoire-du-Quebec.ca.

Terra Incognita

Vers le milieu du XVe siècle, un courant se dessine en Europe : bon nombre d’Européens se refusaient à accepter l’interdiction permanente qui les frustrait de l’accès aux pays fabuleux situés au sud et à l’est de l’Europe. Remise de la peste noire, économiquement forte, l’Europe cherchait des débouchés commerciaux. Un apport de métaux précieux était absolument indispensable au bon fonctionnement du système financier du continent. D’autres facteurs jouaient aussi : l’extension des zones de pêche était souhaitée ; le désir de convertir les païens au christianisme constituait un mobile particulièrement important. Tout était donc prêt pour l’entrée en scène des Portugais qui, sous l’impulsion d’un homme remarquable, le prince Henri le Navigateur, fils aîné du roi Jean 1er, allaient se lancer dans une série de brillantes expéditions le long des côtes d’Afrique.

Âgé alors de vingt-et-un ans, le prince Henri, grand et bien musclé, blond, parce que d’origine anglaise par sa mère, s’était distingué en 1415, lors de la prise par les Portugais de la ville de Ceuta, sur la côte marocaine. Les marchands de Ceuta l’avaient renseigné sur les routes d’or, qui, à travers le Sahara, aboutissaient au Maroc. Le désir de pousser vers le Sud aiguillonnait donc le prince.

Conquérir le Maroc, avec ses montagnes et ses déserts, était – il s’en aperçut vite – hors de question pour un pays relativement petit. En revanche, le Portugal, tourné vers la mer, disposait de moyens maritimes qui lui permettaient de saisir ce trafic à son point de départ, dont la position présumée se trouvait dans les parages du golfe de Guinée.

Le prince Henri se fixa deux objectifs : contrôler à la source le commerce de l’or, de l’ivoire, des esclaves, des espèces (du poivre) ; entrer en contact avec le prêtre Jean dans un esprit de croisade afin de débarrasser, avec son aide, une fois pour toutes, l’Afrique du Nord et la Terre Sainte de l’influence des musulmans.

En conséquence, le prince fonda à Sagres, sur la côte portugaise, une communauté d’érudits spécialisés dans les études géographiques. Les connaissances qu’ils accumuleraient devraient être transmises aux capitaines des navires portugais.

Apparemment, l’exploration de la Côte d’Afrique n’offrirait guerre de difficultés matérielles à des marins, habitués aux tempêtes qui balayaient le littoral portugais, mais il leur faudrait surmonter beaucoup de difficultés et de grands obstacles d’ordre psychologiques. En effet, une croyance largement répandue voulait que la vie fût impossible sous l’équateur. Le cap Noun, pour 29e de latitude Nord, tirait son nom du fait qu’aucun des marins que le doublait, ne pouvait survivre, croyait-on. Au-delà, la mer bouillonnait et brûlait tous ceux que les rayons du soleil, tombant à la verticale n’avaient pas transformé en Noirs.

Plus loin encore s’étendaient les antipodes, où, selon certaines autorités religieuses, seuls les monstres pouvaient survivre. Tous les hommes descendant d’Adam, et aucun être humain ne pouvant franchir les tropiques, la Terra incognita n’abritait évidemment que des monstres. Autre élément de dissuasion : d’aucuns croyaient que l’Afrique était reliée à cette Terra incognita, et qu’il était impossible de la contourner.

Voir aussi :

Monstres de la Siberie
Les monstres de la Sibérie. Des êtres de légende : Cette gravure d’un manuscrit français dépeint d’une façon typique les vues fantaisistes des Européens, relatives aux habitants des terres lointaines. L’un a le visage au milieu de la poitrine, l’autre les pieds suffisamment grands pour l’abriter de leur ombre ; cet autre encore ne possède qu’un œil. Les faibles afférant à de tels êtres les faisaient vivre le plus souvent en Asie, au milieu d’un continent qui renfermait, croyait-on, d’immenses trésors, des merveilles naturelles, et où la magie avait cours. (Monstres de Sibérie, Livre des Merveilles, paru en 1375).

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