Hitler et son chien
Pierre Laval, Mussolini. Deux pantins. Deux pantins d’Hitler. Il est pathétique de les voir se mouvoir sur la scène du monde en ce moment.
Berlin fait annoncer par sa fabrique de rumeurs en Suisse que l’Allemagne ne prêtera pas ses bons offices à Vichy pour adoucir les revendications territoriales de l’Italie contre la France. Et l’on entend de nouveau le cri de guerre du fascisme italien : « Nizza, Savoia, Corsica, Tunisia, a noi ! »
Tout cela, c’est une manœuvre allemande dirigée à la fois contre Laval et Mussolini, et dont les Français et les Italiens, en fin de compte, feront les frais.
Deux pantins !
Et pourtant, ni Laval, ni Mussolini ne sont dépourvus d’intelligence, ou de ruse, ou d’astuce. Au contraire. Ces deux Latins ont infiniment plus de finesse que le Germains. Mais le Germain est de beaucoup le plus fort. C’est l’explication du jeu tragicomique auquel on assiste en ce moment.
La débâcle des armées fascistes italiennes sur tous les fronts détruit les rêves impériaux de Mussolini. Il ne peut plus aspirer à une annexions territoriale que par la grâce de son grand allié Hitler. Mais Hitler méprise les faibles. Il ne les garde pas comme associés. Il se les subordonne.
Le rôle du Duce est aujourd’hui celui d’un subordonné. Et le rôle des Italiens, c’est celui de garde-chiourme d’Hitler dans les Balkans ou de chair à canon en Russie. Rien de tout cela n’est bien glorieux, et le régime fasciste a grand besoin d’un succ;s d’amour-propre. Ce succès d’amour-propre, il compte de remporter à peu de frais sur le dos de la France vaincue.
Mais il y a Laval, et il y a Hitler, qui a besoin de Laval. Hitler a besoin de la fiction d’une France qui se gouverne librement à Vichy. Il peut ainsi amener beaucoup de Français à faire inconsciemment le jeu du germanisme en croyant seulement obéir à la voix de la France traditionnelle s’exprimant par la bouche d’un très vieux maréchal.
Et puis aussi, la fiction d’une France indépendante est très utile à Allemagne parce que le prestige spirituel de la France, qui reste immense; l’étendue de son Empire, qui couvre tous les continents et toutes les mers, et la puissance de sa flotte de guerre, qui reste si commodément suspendue comme une menace, permettent à la France, quoique vaincue, de continuer de jouer dans la guerre actuelle un rôle passif plus important que le rôle actif de l’Italie.
Cependant, le triumvirat Pétain-Darlan-Laval n’est libre ni devant Hitler, ni devant le peuple français, ni devant les Nations-Unies, et Berlin, qui sait tout cela, en profite pour appliquer à Vichy une politique de force et d’astuce où la douceur et la sévérité alternent presque d’un jour à l’autre depuis deux ans.
Une des manifestations de cette politique, c’est le jeu des revendications territoriales de l’Italie contre la France. Un jour, Hitler lâche son chien Mussolini. Et toute la meute fasciste aboie : « Nizza! A noi! Savoia, a noi! Corsica, a noi! Tunisia, a noi! » Le lendemain, Hitler ordonne, sévère : « Tais-toi, Benito! » et Benito vas se coucher piteusement, la queue entre les deux jambes.
Et cela dure depuis deux ans! Et même depuis plus longtemps – depuis avant la guerre!
Aujourd’hui, la meute est de nouveau lâchée. C’est un signe. Hitler doit avoir envie de donner un nouveau coup sur la corde que Pétain a déjà dit avoir autour du cou. Pauvre vieux ! S’il avait simplement capitulé en rase campagne comme le roi Léopold III, et s’il avait permis aux Français de continuer la guerre unis avec leur Empire et leurs alliés, comme les Belges, au lieu de les diviser avec son gouvernement fantôme qui n’épargne à la France aucune honte, aucune privation et aucune ruine! Qu’est-ce que Hitler lui a donc encore demandé dans le secret des conciliabules! Car il lui a sûrement demandé quelque chose que même le traître Laval ne peut pas lui donner, parce que le peuple français gronde, et c’est pour cela que Hitler lâche son chien Benito.
Laval et Mussolini : deux complices en Ethiopie, deux renards avec Hitler. Mais le tigre Hitler commande aux deux renards de s’entre-dévorer, et ils le font. Ils ont l’air fin!
Edmond Turcotte.
(Le Canada, mercredi 27 mai 1927).
Voir aussi :
