Portrait historique de la rivière Chaudière
La rivière Chaudière prend naissance à l’extrémité nord du lac Mégantic. C’est au détour de la localité qui porte le même nom. Quelque part entre le lac Mégantic et le pont de Québec, la rivière Chaudière, qui filera sans entrave ses 200 kilomètres à travers un bassin de 6700 kilomètres carrés, tranche l’axe des plis appalachiens. De nombreux affluents l’escortent dont les rivières du Loup et Famine, le bras Saint-Victor et la rivière Beaurivage.
De rapide en rapide, elle aura dévalé les pentes des Appalaches avant de rejoindre la Beauce. Il s’agit d’une vallée que les inondations printanières mettent à la une des journaux presque chaque année. Le débit de la Chaudière connaît en effet des pics très élevés. Cela se passe lorsque la moyenne approximative de 100 mètres cube par seconde se hausse à plus de 2 000 mètres cubes par seconde en période de crue. À l’embouchure, dans le secteur de Charny, après avoir franchi une dénivellation abrupte, la rivière gagne tranquillement le lit du fleuve par un corridor soumis aux aléas des marées. La forme des chutes est à l’origine du nom commun à la rivière et à la région.
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On se rappelle que la région fut fréquentée par les populations amérindiennes bien avant que l’on ait signalé leur présence dans les archives du XVIIe siècle. À l’époque, les Abénaquis voyagent depuis belle lurette le long des vallées de la Kennebec et de la Chaudière, une voie d’accès directe entre la Nouvelle-France et la Nouvelle-Angleterre. Le mot Mégantic dérive du terme abénaquis Nameskanjik, dont la signification approximative est « lieu des poissons ».
Samuel de Champlain marqua cette rivière comme la rivière des Etchemins sur ses cartes de 1612 et 1632. Champlain soulignait l’utilisation de la Chaudière par les Etchemins qui se déplaçaient entre la côte atlantique et Québec. La même voie sera empruntée, en 1775, par le général américain Arnold au cours de la tentative des Bostonnais de prendre le Canada.
Le père Druillettes de la mission des Jésuites de Sillery aurait été l’un des premiers Européens à reconnaître la source de la Chaudière au cours d’une mission d’évangélisation entreprise en 1646.
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La Relation des Jésuites de 1651 et les documents subséquents, jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, emploient l’expression « rivière du Sault de la Chaudière » pour nommer ce cours d’eau. On la remplacera un peu plus tard par « rivière de la Chaudière », puis « rivière Chaudière », plus accommodant pour la cartographie ou la traduction en anglais. Avant ce consensus officieux, la rivière aura fait l’objet de diverses appellations provisoires : les Abénaquis établis près des chutes vers la fin du XVIIe siècle l’ont appelée Kikonteku ou « rivière des champs »; les Abénaquis modernes la nomment Papawikotekw, ou rivière de la chaudière en étain. Vers le milieu du XVIIIe siècle, le terme Mechatigan ou « rivière ombreuse », déformé en Sartigan et Saint-Igan, désigna l’ensemble de la Nouvelle Beauce et, bien entendu, la rivière elle-même.
Encastrée en grande partie dans la Beauce, la rivière Chaudière est étroitement liée à l’histoire et au développement de la pittoresque région. Le premier Européen à traverser la contrée, en 1629, serait un homme dépêché par Champlain au pays des Abénaquis. Une dizaine d’années plus tard, un capitaine anglais dénommé Young aurait fait le chemin inverse depuis la Nouvelle-Angleterre; il aurait été capturé par les Français et déporté en Europe.
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En 1659, le père Gabriel Druillettes parcourt la Beauce une deuxième fois et fonde une mission chez les Abénaquis de la rivière Kennebec.
Le corridor des rivières Chaudière et Kennebec aura bientôt une valeur stratégique : le début du XVIIIe siècle annonce l’essor de la Nouvelle-France et présage des conflits avec les colonies anglaises. Il est devenu urgent de mettre un freine à l’expansion britannique, un rôle que les Abénaquis affaiblis ne peuvent plus assumer avec succès. Le système seigneurial sera donc étendu à la vallée de la Chaudière dont on accélère la colonisation. Les premières seigneuries sont concédées au cours des années 1730, formant la Nouvelle Beauce. Cette plaine fertile où fleurit le blé, incite les pionniers à quitter la côte de Beaupré et l’île d’Orléans pour la rive sud du Saint-Laurent.
En 1774, le général Arnold et mille soldats américains auraient campé au bord du lac Mégantic, en route vers la ville de Québec, mais l’attaque prévue échoua.
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Contrairement à une croyance qui déplore que la Beauce du XIXe siècle ait connu l’isolement. Des recherches démontrent que la région comprise entre la rive sud de Québec et l’État du Main, fut sérieusement achalandée à la même époque. Les « Jarrets noirs », des Beaucerons, ainsi surnommés à partir du XVIIIe siècle, à cause de leurs vêtements maculés par la boue des tourbières, marchandaient alors leurs récoltes à Lévis ou à Québec. Les immigrants de la Chaudière se multiplièrent; plusieurs d’entre eux se fixèrent dans les vallons des Appalaches.
Le va-et-vient transfrontalier aurait impressionné le curé de Saint-François (aujourd’hui Beauceville) qui note dans son rapport paroissial de l’année 1854 la difficulté de fournir un compte précis des arrivées et des départs. On ne saurait nier non plus l’intérêt suscité par la découverte de pépites d’or et l’ouverture des mines de la vallée de la Chaudière au cours des années 1840-1860. La Beauce est d’ores et déjà un pôle d’attraction incontestable.
À partir des années 1860, un grand nombre d’officiers britanniques en retraite se laissent séduire par le potentiel forestier du bassin de la Chaudière. Des familles écossaises investissent la région et développent. Entre autres, les cantons de Bury, de Marsden (Milan), de Marston (Marsboro et Piopolis), de Winslow et de Lingwhick.
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En plus de stimuler l’immigration, cette ruée éphémère provoque la prolifération des débits de boisson. Ainsi que les litiges judiciaires et un certain désordre.
L’avènement du chemin de fer vers 1880 assure à toute la région du Lac-Mégantic un tremplin économique appréciable. Grâce à lui on relance l’exploitation de ses vastes ressources forestières. La population méganticoise grandissante se dote de commerces variés et de plusieurs hôtels. Si le rail, la route et l’automobile font défaut, les bateaux se chargent du transport des personnes. Tout comme des marchandises, du courrier. De plus, à l’occasion, des billes de bois vers les scieries. Les embarcations à vapeur se multiplieront sur le lac durant les 20 dernières années du XIXe siècle.
En 1867, une entreprise new-yorkaise démarre à Saint-François l’exploitation du premier filon d’or au pays. Les deux décennies suivantes saluent l’apogée de la période aurifère beauceronne. Les mineurs prospèrent, la frénésie de l’or gruge les berges des cours d’eau. Le chemin de fer progresse. Vers la fin du XIXe siècle, la réclamation de droits miniers seigneuriaux effrite le rêve populaire sans toutefois l’étouffer complètement. Entre 1834 et 1987, les mines de la Beauce auront craché plus d’une tonne d’or. Elles ont paré la région d’un éclat sans pareil.
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Pendant que les uns s’intéressent à l’industrie forestière ou à la production agricole. D’autres se soucient de la richesse faunique de Mégantic. Ils lorgnent alors le potentiel de son bassin hydrographique. La chasse et la pêche figurent à l’agenda des membres du Mégantic Fish & Game Club, fondé en 1887 en accord avec les lois et les règlements en vigueur pour la protection du poisson et du gibier.
De nos jours, évoquer l’or de la Beauce et les richesses du bassin de la Chaudière a plutôt le goût du sirop d’érable. Aussi des produits dérivés de l’arbre roi. Occasion de se sucrer le bec ou invitation gastronomique, cet or nous fait donc tous saliver. La Chaudière continue d’irriguer une contrée que le passé à épanouie. Elle se tourne vers un potentiel à conquérir et à préserver. La lutte pour la sauvegarde d’un environnement lourdement hypothéqué. Tout comme par ailleurs la restauration d’une terre prometteuse s’oppose à la prolifération des industries et aux sautes d’humeur dévastatrices de la rivière. La région bénéficie toujours d’une économie diversifiée axée sur l’industrie du bois. Ses attraits naturels en font une destination touristique très fréquentée.
(Source : Rivières du Québec, Découverte d’une richesse patrimoniale et naturelle. Par Annie Mercier et Jean-François Hamel. Les éditions de l’Homme, une division du groupe Sogides).