Portrait historique de la rivière Saint-François
Entre la source dans le lac Saint-François et son embouchure dans le lac Saint-Pierre, la rivière Saint—François draine un territoire d’environ 10 200 kilomètres carrés dont environ 14% se situent en terre américain. Un parcours de près de 200 kilomètres lui fait visiter les Cantons-de-l’Est, dont elle constitue le principal cours d’eau, ainsi qu’une partie des Bois-Francs dans le Centre-du-Québec. Plusieurs lacs et rivières l’alimentent dans un décor tantôt montagneux ou doucement vallonné, tantôt marécageux. Guidé par les replis du massif appalachien, le Saint-François suit un axe nord-est/sud-ouest jusqu’à Lennoxville, puis il fait volte-face et s’oriente sud-est/nord-ouest vers la plaine du Saint-Laurent.
À la tête du bassin de la rivière, le lac Saint-François s’allonge sur plus de 25 kilomètres et atteint une largeur moyenne de 2,5 kilomètres; c’est le troisième lac en étendu au sud du Saint-Laurent.
La rivière Saint-François et sa source éponyme furent désignées sous la forme anglaise, St-Francis, au cours du XIXe siècle et jusqu’au début du XXe siècle. Certains soutiennent que la rivière fut d’abord nommée Saint-Antoine, en 1632, par les Jésuites. Cependant le Bulletin des recherches historiques de 1903 reprend les affirmations du Registre des expéditions concernant les Indes Orientales et la Nouvelle-France (1674) : « Les Jésuites, en 1632, donnèrent le nom de Saint-François à la rivière qu’ils devaient remonter pour se rendre dans cette partie du pays. Par cet acte de religion et de piété, ils mettaient sous la protection de l’apôtre des Indes tout le territoire baigné par les eaux sanctifiées de cette belle rivière. » Le nom aurait pu honorer celui de François de Lauson, à qui son père, Jean, fit octroyer en 1635, par la Compagnie des Cent-Associés, le fief riverain de La Citière. En fait foi un acte paraphé par le gouverneur de Montmagny en 1638. De fait, en 1662, Jean de Lauson fait mention de la « Rivière Saint-François des Prés » au moment de la concession de la seigneurie de Saint-François à Pierre Boucher de Grosbois.
Une vingtaine d’années plus tard, le gouverneur Frontenac contre la menace iroquoise et anglaise en parrainant sur les bords de la rivière l’installation de quelques centaines de familles abénaquises de la Nouvelle-Angleterre. La mission de Saint-François servira de point de ralliement pour les Abénaquis qui utilisent la rivière pour leurs expéditions de chasse et de pêche. Ils construisent aux alentours des cabanes qui deviendront des relais pour les voyageurs. Le Saint-François porte dans leur langue des noms évocateurs lesquels, selon différents auteurs, décrivent la rivière aux herbes traînantes ou la rivière aux coquilles : Alsiganteka ou Alsigotekw; ou encore la rivière où il n’y a plus personne, Arsikansegou. La dernière description fait allusion à la dispersion des Abénaquis en 1690-1693; ils ne revinrent sur les lieux qu’en 1697. En 1703, la carte de Guillaume Delisle continue d’afficher « R.S. François » .
Les Abénaquis nommaient le lac Saint-François Ônkobagak, le « lac relié ». À l’écart des grands axes de circulation, le lac Saint-François échappe au développement jusqu’au milieu du XIXe siècle alors que débutent, à petite échelle, l’exploitation des ressources et l’agriculture. La construction d’un barrage, à la décharge du lac, en 1917, facilite le flottage du bois et fournit de l’électricité sur une base industrielle. Malencontreusement, l’ouvrage haussera le niveau de l’eau de 8 mètres et imposera un marnage annuel de plus de 5 mètres dont l’impact sur la faune, la flore et les écosystèmes demeure toujours préoccupant.
À l’aube du XIXe siècle, la partie supérieure de la vallée du Saint-François s’ouvre à la colonisation et à l’exploitation forestière, entraînant la fuite du gibier et le départ des Abénaquis, privés de leur source de subsistance. Le harnachement des cascades du Saint-François a favorisé et continue d’aiguiller le développement industriel de plusieurs villes : East Angus, Lennoxville, Sherbrooke, Windsor, Richmond et Drummondville. Plus des trois quarts des rives demeurent néanmoins à l’état sauvage; le réseau hydrographique du Saint-François entretient une biodiversité remarquable, dont quelques fleurons de la flore et de la faune québécoises.
La mosaïque des cantons
Le sud-ouest du bassin versant de la rivière Saint-François comporte un grand nombre de plans d’eau dont les plus importants sont les lacs Memphrémagog, Massawippi, Brompton, Magog et Lovering et les rivières Magog, Tomifibia, Coaticook et Ascot. Abondamment irriguées, les terres regorgent de produits que se partagent les agriculteurs, les éleveurs, les viticulteurs et les villégiateurs.
Alors que la toponymie régionale est visiblement influencée par le passage des Abénaquis, le patrimoine garde l’empreinte des Loyaliste qui ont choisi de s’établir sur les terres du Bas-Canada au terme de la guerre d’Indépendance américaine. On y voit fleurir en 1792 les Eastern Townships, divisés en cantons de 259 kilomètres carrés, à la mode britannique qui imposera des noms anglais aux villages subséquemment érigés : Sherbrooke, Granby, Hatley, entre autres. L’influence anglo-saxonne se révèle par l’architecture victorienne des bâtiments, la construction de ponts couverts et de granges rondes. La vague de pionniers irlandais et écossais qui déferle, de 1820 à 1840, est à l’origine de plusieurs hameaux, notamment Gould, Scotswon et Frelighsburg. Finalement, c’est la pénurie des terres seigneuriales qui forcera les Canadiens français à migrer vers les Cantons-de-l’Est au milieux du XIXe siècle.
Plaçant leurs localités sous le haut patronage des saints, les francophones prendront une place de plus en plus grande dans la région, jusqu’à devenir prépondérants dans une proportion supérieure à 90%. Manifestant la volonté d’harmoniser la nomenclature régionale et l’usage du français, l’Estrie, vers 1946, désigne la région au moment où l’utilisation du gentilé « Québécois » gagne en popularité. Résultat : la région administrative de l’Estrie est incorporée au territoire de la région touristique des Cantons-de-l’Est et ses habitants sont reconnus à titre d’Estriens. La dualité des cultures fondatrices apparaît non seulement dans la toponymie, mais dans les arts, la culture et la gastronomie des Cantons-de-l’Est.
Débordant de sa trame historique originale, la région qu’irrigue le Saint-François possède une beauté naturelle qui ressort entre les monts et les lacs et aux détours des vallées, mise en évidence par un coquet réseau navigable et cyclable. Des paysages bucoliques succèdent aux bourgades pittoresques qui voisinent avec des parc provinciaux et privés qui ont conquis l’admiration des randonneurs, des pêcheurs, des chasseurs et des promeneurs du dimanche.
Grossie par l’apport de nombreux affluents qui convergent vers le périmètre, la rivière riposte par des débordements périodiques causés par les embâcles printaniers. Puis, les eaux s’apaisent, essoufflés, dans les méandres tranquilles de Bromptonville et d’Ulverton, l’endroit où le Saint-François quitte les cantons pour cavaler dans le Centre-du-Québec, puis déverser dans le fleuve Saint-Laurent à la hauteur du lac Saint-Pierre. Le relief plat de cette région dominée par l’agriculture concentre la forêt en quelques ilots clairsemés. Deux principaux cours d’eau tributaires, la rivière aux Vaches et la rivière Saint-Germain, y mêlent leurs eaux à celles du Saint-François dans un décor couleur de blé. Des champs agricole et des ilots forestiers partagent le cours inférieur de Saint-François.
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