Le portrait historique de la rivière Moisie
La rivière Moisie prend naissance à plus de 500 mètres d’altitude, près de la ligne du partage des eaux des bassins de l’Atlantique et du Saint-Laurent, dans le secteur des lacs Ménistouc et Opocopa. Le parcours d’environ 400 kilomètres à travers un bassin versant de 19 000 kilomètres carrés s’achève dans le golfe du Saint-Laurent, au détour de la localité de Moisie, environ 25 kilomètres à l’est de Sept-Îles. Les deux plus importants des neuf affluents majeurs de la Moisie sont la rivière aux Pékans, au nord, et la rivières Nipissis, au sud.
Au premier coup d’œil, Jacques Cartier, en 1535, est intrigué par cette « rivière d’eau douce » dans laquelle s’ébattent « plusieurs poissons qui ont formé de chevaux lesquels vont à la terre de nuit ». Les poissons – chevaux de l’explorateur sont les pinnipèdes. La description de la rivière douce de Chevaux se retrouve sur la carte de Meractor (1569).
Quarante ans plus tard, Marc Lescarbot fait référence aux mêmes mammifères marins, d’une façon tout aussi approximative que Cartier. Il mentionne que la rivière « est appelée aujourd’hui Chischedec d’un nom de l’imposition des Sauvages, où il y a grande quantité de chevaux aquatiques dits Hippopotames. Samuel de Champlain à son tour fixera ce nom sur les cartes de 1612 et 1613. La dénomination contemporaine apparaît vers la fin du XVIIe siècle. En 1685, la carte de J.-B.-L. Franquelin présente le cours d’eau qu’il appelle R. Moysye, alors que Jean Deshayes inscrira Moisie sursa carte de 1695 et que Joseph Bouchette indiquera « Moisi ou Moose River » en 1831.
L’origine et la signification du nom demeurent nébuleuses. Pierre-Georges Roy (1906) en relie le choix au patronyme Moisy, encore assez répandu en France. L’Encyclopédia of Canada croit y reconnaître un nom de famille montagnais. L’hypothèse la plus fréquemment admise, celle de René Bélanger, en 1873, soutient que Moisie émane de l’ancien français moise, ou moyse, qui désigne la berge humide d’une rivière. Le cours d’eau ne renie pas pour autant son héritage autochtone. Une carte de 1870 de 1870 utilise la double forme « rivière Moisy ou Misthipu ». Eugène Rouillard, en 1906, écrira que « les sauvages appellent la rivière Moisie Mist-grande sipi, ce qui peut se traduire par grande rivière, tout comme Mississipi ». Le propos est repris par René Bélanger qui précise que, « pour les Indiens, c’était Mastashibou (la grande rivière) ». Les variantes Mishtashipit et Mistasipi on également été répertoriées.
Au cours de leur histoire, les peuples autochtones, plus particulièrement les Innus (Montagnais), ont utilisé la Moisie comme voie de pénétration dans les terres de la côte. On ne s’étonne pas de la voir figurer parmi les plus imposantes rivières de la Côte-Nord, ni de la renommée qui la met au rang des cinq meilleures rivières à saumon du monde, ce qui ne l’empêche nullement d’offrir des activités récréotouristiques telles que la chasse au gros et au petit gibier, le canot-camping et la baignade.
La route du fer
À la jonction avec la Nipissis, la Moisie se monte plus conciliante. Elle cède le pas au chemin de fer de la North Shore & Labrador Railway (QNS & L), qui longe ses rives entre les kilomètres 27 et 54. De nombreux passages profitent du train pour Sept-Îles, Schefferville et labrador city, autrefois affecté exclusivement au service de la mine de fer. En fait, au-delà de l’embouchure, le rail procure l’unique accès terrestre à la rivière.
À la fin des années 1940, des travaux d’exploration mettent au jour une réserve à ciel ouvert de plus de 400 millions de tonnes de minerai de fer près de Knob Lake, dans la région de Schefferville. En 1950, l’Iron Ore Company (IOC) amorce son projet avec la construction d’une voie de 573 kilomètres qui reliera le secteur minier de Schefferville au terminus de Sept-Îles. Le projet prévoit la manutention de 10 millions de tonnes de minerai annuellement. En février 1954, on enfonce le crampon doré traditionnel qui symbolise la fin des travaux de construction du chemin de fer QNS & L. Un premier convoi de minerai de fer est acheminé en juillet de la même année. Cinquante ans et de nombreux développements plus tard, l’IOC aura extrait plus d’un milliard de tonnes de minerai de fer brut de la taïga environnante.
(Source : Rivières du Québec, Découverte d’une richesse patrimoniale et naturelle. Par Annie Mercier et Jean-François Hamel. Les éditions de l’Homme, une division du groupe Sogides).