La milice canadienne, son histoire
En 1812, les Britanniques disposent sur le territoire du Canada de près de 5500 soldats des troupes régulières. Dont 3300 se stationnent dans le Bas-Canada. Environ 50 mille miliciens dits sédentaires aident ces troupes. Cette milice forme une sorte d’armée auxiliaire. En effet, en 1803 le gouvernement du Bas-Canada approuve une loi selon laquelle les hommes de 16 à 50 ans, aptes pour le service militaires, doivent intégrer la milice et pratiquer des exercices militaires une fois par année.
Au printemps 1812, on forme le corps des Voltigeurs Canadiens, une unité d’infanterie légère composée principalement de Canadiens français. C’est d’ailleurs plus une unité de la milice qu’une unité de militaires réguliers. Cependant, le bataillon des voltigeurs est entraîné conformément à la doctrine militaire. Son commandant, M. de Salaberry impose une discipline rigoureuse. Néanmoins, considérant que cette force ne sera pas suffisante, le gouverneur du Bas-Canada, M. George Prevost, impose la première conscription. Alors il ordonne de lever quatre bataillons qui reçoivent le nom de « Milice d’élite et incorporée », pour différencier ces unités de l’armée régulière et des voltigeurs.
* Milice canadienne
Un peu avant le commencement de la guerre, alors que l’invasion américaine est imminente, on tire au sort parmi les miliciens canadiens pour choisir deux mille hommes. Ce sont des célibataires de 18 à 30 ans. On avertit ces hommes qu’on les enrôlera pour 3 mois, mais qu’on peut les retenir pour deux ans si la guerre est déclarée.
Remarquons que le clergé catholique du Québec s’est associé à la levée, invoquant l’immoralité des voisins du sud, gens sans principes, reniant Dieu, sans mœurs, sans respect pour l’autorité divine ni pour le souverain, décidés à anéantir la religion, à manger les petits enfants, etc.
Bons catholiques, certains Canadiens français préfèrent toutefois prendre la clef des champs plutôt que de se faire enrôler pour une aventure qui ne présage rien de bon…
Milice canadienne
En effet, selon les rapports des différentes zones du pays, les conscrits s’échappent par centaines. À Boucherville, sur environ 140 miliciens mobilisés et envoyés à Montréal, seulement 20 arrivent au camp militaire, les autres préférant se cacher dans les forêts.
Petit à petit, le gouvernement réussit à rassembler 1200 hommes dans tout le Bas-Canada, au lieu des 2000 qui étaient prévus. Cela sans tenir compte des déserteurs qui quittent les camps après avoir été enregistrés. D’autre part, l’organisation déficiente de la milice d’élite contribue au mécontentement: les logements sont mauvais et les recrues sont nourries, faute de fours, de farine crue. Aussi, même les jeunes qui se sont enrôlés en toute bonne foi sont découragés et désertent.
Les émeutes commencent. Quand on capture un groupe de déserteurs à Lachine, les miliciens de la région de Pointe-Claire refusent de suivre les ordres du commandement. Ainsi décident d’aller libérer les prisonniers.
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Environ 500 miliciens sédentaires se dirigeant vers la prison sont attaqués par des troupes régulières qui ouvrent le feu.Un milicien est tué, plusieurs autres sont blessés. Le lendemain, le gouvernement promet d’autres représailles si les Canadiens continuent à s’opposer à la conscription. En l’espace d’une semaine, les autorités réunissent les 2000 conscrits.
Pour obtenir ces résultats, tous les moyens sont bons:
En juillet 1812, la Gazette de Montréal publie la lettre du capitaine Pierre Cheval à son fils: «Je te conjure, par la tendresse paternelle que je te porte, de ne pas me causer le chagrin d’apprendre que tu sois complice directement ou indirectement d’une désertion. Ton unique et essentiel esprit de parti est l’obéissance aux volontés du gouvernement. J’aime mieux apprendre que tu restes seul avec tes officiers que de te voir arriver en déserteur. Si tu désertes, je te livrerais personnellement aux autorités militaires » (Au moins le père s’abstient de dire qu’il préfère que son fils soit mort au combat, et il ne promet pas de le fusiller personnellement…).
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Encore plus émouvante est la lettre de Mme Marie Amable Normandin Maillet, envoyée par la maman à son fils Joseph et publiée dans la Gazette de Montréal avec l’autorisation de son auteure: «Je pense que tu n’auras pas la bassesse de déserter ou de t’opposer à la loi et aux autres autorités qui t’obligent à rester sans murmurer. Je t’avertis de ne pas mettre les pieds à la maison afin que je n’aie pas la douleur de voir devant moi un enfant rebelle aux ordres de sa mère et à ceux de son roi». (Un bel exemple d’instinct maternel).
Les journaux racontent des histoires follement romantiques sur les déserteurs. Le Spectateur, au début de l’année 1813, nous parle d’un soldat qui n’aimait pas la vie militaire et qui s’est caché au lieu de rejoindre ses camarades. Le jeune déserteur va voir sa charmante fiancée qui, patriote et fière de sa foi, le repousse avec mépris: «Va, retire-toi, je ne veux jamais avoir d’enfants coupables de deux pêchés originels. Nous sommes bien certains de la rémission par le baptême du premier, mais je questionne si l’empreinte du dernier n’est pas ineffaçable. Enfin, va-t-en plus loin, car je ne veux pas être femme ni mère de lâches. Ainsi, porte ta fortune brillante ailleurs et je continuerai mon métier en lavant ma lessive».
Son père l’expulse aussi, sa mère lui tourne le dos, tout le village le regarde avec dédain… Le curé lui promet toutefois le pardon à condition que le jeune homme se repente et rentre dans l’unité pour subir une punition exemplaire, combattre aux premiers rangs et tomber avec honneur. Dans ce cas ses parents, sa fiancée et tous les habitants du village seront heureux (et fiers de son cadavre?).
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Il faut admettre que le clergé catholique a joué un rôle dans cette nouvelle campagne. L’évêque de Québec a rappelé aux jeunes gens que «nos ancêtres étaient toujours prêts à voler au combat contre les ennemis du roi, tenant, comme les juifs, une main à la charrue qui les nourrit et l’autre à l’épée pour défendre le pays». De plus, les prêtres informent les paroissiens que les Américains, hommes sans roi, sans Dieu et sans aucune morale, vont certainement violer toutes les filles et les épouses, brûler les églises et couper les têtes des curés. Les paysans terrorisés se rendent compte de la catastrophe qui les attend s’ils manquent à l’appel. Et ainsi, quatre bataillons se forment.
En septembre 1812, le gouvernement fait une nouvelle levée de miliciens afin de créer le Cinquième Bataillon de la milice d’élite et incorporée. Les Québécois appellent ce bataillon le bataillon des Devil’s Own, ou le bataillon des Serviteurs du Diable, car une partie de ses hommes et presque tous les officiers étaient des avocats.
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En février 1813, on lève le Sixième Bataillon dans la ville de Québec. Ces deux bataillons, soit le Cinquième et le Sixième, comptent plus de 2100 combattants.
En janvier 1814, on mobilise encore 2 mille personnes, cette fois pour remplir le vide laissé dans les bataillons déjà formés par les maladies, les combats, la démobilisation, etc.
Au total, durant la guerre, on a appelé sous les drapeaux plus de 8400 miliciens sédentaires ou locaux. Sur ce nombre, plus de 1300 ont déserté (la majorité dans la période initiale de la guerre).
Force est d’admettre que la politique de recrutement et de propagande ne se différenciait guère de la politique commune en ce temps là, et le fait qu’elle se soit soldée par un succès retentissant au Bas-Canada prouve la bonne organisation et l’habilité des responsables.
Finalement, le Bas-Canada a su repousser l’envahisseur, et les Canadiens français ont joué un rôle qui n’est pas négligeable au cours de cette guerre.