Un peu d’histoire légale
Par Fernand Chaussé
À l’occasion de la fête organisée le mois dernier par le Barreau de Montréal en l’honneur des avocats qui exercent leur profession depuis plus de cinquante ans, l’Action Universitaire a cru intéresser les Anciens de l’Université de Montréal en faisant un court historique des écoles de Droit à Montréal. Sous le régime français, lisons-nous dans les écrits de Cugnet, le procureur général du Roi donnait des conférences de droit. On nommait ses élèves, sur ses certificats de capacité, conseillers assesseurs au Conseil supérieur.
Car l’on sait que d’avocats véritables, il n’y en eut pas sous le régime français. Les édits et ordonnances royaux contiennent même quelques commentaires, on ne peut plus aimables, sur les avocats, les huissiers et les juges. – « Ayant égard, y est-il dit dans une ordonnance de 1667, à la pauvreté des habitants de ce pays. Au peu d’expérience de la plupart des juges, au peu de capacité des huissiers. Pour éviter des frais qui arriveraient en beaucoup de rencontres par l’ignorance des habitants qui entreprennent des procès souvent sans y pouvoir réfléchir et sans pouvoir prendre conseil, ne se trouvant au pays, avocat, procureur ni praticien. Qu’il est même de l’avantage de la colonie de n’en pas concevoir… »
Plus tard, en 1679, un procès-verbal déclare que « l’admission des avocats dans la colonie serait grandement préjudiciable. »
Et Louis XIV « de sa certaine science, pleine puissance et autorité royales », approuvait sans restriction ce procès-verbal et lui donnait force de loi. Dès la conquête cependant, Murray établit le principe suivant : « Les parties assignées seront tenues de comparaître soit en personne ou par procureur. »
De 1760 à 1785, on nomme les avocats sur simple commission du gouverneur. Cela se fait absolument sans aucun examen. L’on voit les abus que ce système devait amener. Un autres abus, plus révoltant encore, restreignant la pratique des avocats canadiens au seul tribunal inférieur appelé Cours des Plaidoyers communs. Dès 1766 cependant, grâce à la sympathie de Murray ce dernier abus cessa.
De 1785 à 1849, on nommait encore les avocats par commission du gouverneur. Cependant, après examen. « Devant quelques-uns des plus habiles avocats. En présence du juge en chef ou de deux ou plusieurs des juges de la Cour des Plaidoyers communs. »
La cléricature ou séjour des étudiants dans une étude d’avocats était de cinq ans, si elle avait lieu chez un avocat pratiquant, et de six si elle se faisait chez « un greffier d’aucune des cours des Plaidoyers communs ou d’appel. »
Jusqu’en 1851, il n’y eut pas d’École de droit dans cette province. Seuls quelques praticiens éminents, tels M. Plamondon, à Québec, et MM. Viger et Sullivan, à Montréal, donnaient spontanément et à intervalles irréguliers des conférences publiques sur le droit du Bas-Canada.
En août 1851, Maximilien Bibaud, fils de l’écrivain Michel Bibaud, ouvrit à Montréal, au collège Ste-Marie, une « École de Droit ». La première année, l’École de Droit, communément appelée « École Bibaud », comptait six élèves.
En 1852, il n’y en eut plus que trois. Par la suite, le nombre devait sans cesse aller en s’accroissant, pour être de 31 élèves en 1861.
En 1853, le collège McGill avait organisé « une faculté de bacheliers », où, d’après Bibaud, « sont censés être donnés des cours réguliers de droit ». L’Université Laval de Québec fondait une Faculté de droit, l’année suivante, soit en 1854.
Pendant plusieurs années, Bibaud fut le seul professeur de son école. Véritable encyclopédie vivante, il enseignait le droit historique, le droit romain, le droit criminel et « le droit canadien pur ». On publie ses cours en 1859 sous le titre : Commentaires sur les lois du Bas-Canada. Étant à lui seul toute une faculté, Bibaud ne pouvait comprendre la multiplicité des professeurs qui donnaient des cours à McGill et à Laval :
« Si ces deux institutions, dit-il, n’ont pas eu tout le succès désirable, cela n’a pas peu dépendu de ce que, dans ce pays, où les cours ne sont point obligatoires, on a voulu avoir plus de professeurs que dans ceux où ils le sont, et où ceux mêmes qui ne se destinent pas au barreau font leur droit. Au Temple même, qui est une école spéciale de droit anglaise, le nombre des professeurs est fort limité. C’est un par collège (inn). L’Université de Cambridge en a deux, ainsi que celle de Dublin. Celles d’Oxford, de Londres, de Durham, de Glasgow n’en ont qu’un; seule, celle d’Aberdeen en a trois. C’est en fait le nombre actuel de l’École de droit : très faciunt collegium, dit Neratius Priscus.
Alors que la Faculté de Laval n’avait que cinq élèves inscrits, elle nommait sept professeurs. En plus en appelait de France un huitième ! » Avant de laisser Bibaud et son école, qu’on me permette de citer ces quelques lignes extraites de son cours de droit canadien « pur ».
« La forme du gouvernement anglais est en fait la plus mauvaise possible. On doit la ranger même après l’oligarchie et la république. C’est celle qui coûte le plus cher. Elle se fonde sur des fictions qui n’ont aucune raison d’être, contrairement à cette maxime du droit. Ubi non potest cadere veritas, ibi non cadit fictio. Les lois, qu’on ne daigne pas même faire connaître aux sujets, y sont les plus hardies. Elles sont les plus multipliées, les plus mobiles, les plus obscures et les plus décriées. La cité y est nécessairement divisée. En fait, puisqu’il y a le parti politique de l’administration, dit responsable, et le parti de l’opposition. Ces défauts se rachètent plus ou moins par une grande liberté de parier et de circuler. »
Et pourtant la première page du volume de Bibaud porte en exergue : volumus leges mutare.
Jugée probablement encore trop jeune pour demeurer dans ce qui devait devenir un musée de vieilles choses, la Faculté de droit, en 1889, déménage dans une bâtisse occupée jusqu’alors par La Presse. Elle se situe à l’angle sud-est de la rue Notre-Dame et de la Place Jacques. C’est à quelques pas à l’ouest du Château Ramezay..
À partir de 1849, à l’instigation du Barreau, désormais organisé comme corps indépendant, jusqu’en 1881, on nomme les avocats par commission du bâtonnier de section, après examen devant les examinateurs délégués par cette section. Cela se fait avec droit d’appel, en cas de refus, au Conseil général du Barreau.
La cléricature est pourtant toujours de cinq ans. Elle est bientôt réduite à quatre ans pour l’étudiant qui fait un cours classique complet et à trois ans pour celui qui a suivi un cours de droit complet et régulier dans un collège ou séminaire incorporé.
Ce n’est que depuis 1882 qu’existe finalement le système actuel des examens d’admission à l’étude et à la pratique du droit. On nomme les avocats sur commission du bâtonnier général de la Province. Cela après examen passé devant les examinateurs qui sont des avocats délégués par les différentes sections du Barreau.
En 1867, l’école Bibaud ferme ses portes. Il faut attendre la fondation de la filiale de l’Université Laval à Montréal en 1878, pour que on enseigne le droit de nouveau en français à Montréal. Dans le dernier numéro de l’Action Universitaire, M. Jean-Marie Nadeau semblait s’étonner que, des quarante-quatre avocats fêtés récemment, neuf seulement soient des Anciens de l’Université de Montréal.
La raison en est que de 1867 à 1878 il n’y eut à Montréal que la seule Faculté de droit de l’Université McGill et que la plupart des étudiants canadiens-français d’alors, comme par exemple le juge Mignault, M. J.-E. Faribault, de l’Assomption, M. Joseph Adam, etc…. durent étudier le droit à l’Université McGill.
Pourtant, à cette époque, il y avait trois écoles de médecine : la Faculté médicale de l’Université Bishop, la Faculté de médecine de McGill et l’Ecole de médecine et de chirurgie connue alors sous le nom d’Université Victoria. De même, il y avait un collège de Pharmacie.
La première promotion de la Faculté de droit de l’Université Laval de Montréal, date de 1881 : Henri Guérin- Lajoie et Toussaint Brosseau en sont, semble-t-il, les seuls survivants. De 1878 à 1884, les cours de la Faculté de droit se donnèrent au « Cabinet de lectures paroissial » situé à l’angle des rues Saint-François-Xavier et Notre-Dame, exactement à l’endroit où se dresse aujourd’hui l’édifice Transportation.
Les professeurs d’alors étaient, pour le droit civil, l’honorable L.-A. Jette qui devint plus tard lieutenant-gouverneur, pour la procédure civile, le juge Alphonse Ouimet, pour le droit criminel, le Juge C.-C. DeLorimier et, pour le droit romain, l’honorable P.-J.-O. Chauveau. « Heures heureuses, écrit un élève d’alors. Me Charles Bruchési, que celles de ce cours, pour les élèves de première année. Tous les étudiants, à l’exception de trois ou quatre, y assistaient d’esprit, mais non de corps… M. Chauveau avait la vue bien faible. Il ne voyait point à dix pas de la tribune. A l’ouverture du cours il faisait l’appel des étudiants. Fidèles au mot de passe et à la consigne, nos trois ou quatre compagnons fidèles répondaient « présent »‘ à l’appel de chaque nom; et le tour était joue.
En 1884, la Faculté de droit va rejoindre au Château Ramezay la Faculté de médecine.
Quand, en 1895, se centralisent, dans l’immeuble de la rue Saint-Denis, la plupart des facultés de l’Université Laval de Montréal, la Faculté de droit, une fois de plus, transporte ses pénates. Et maintenant qu’elle s’y établit depuis plus de quarante ans. Le vœu donc le plus sincère que puisse lui faire un Ancien, c’est que, une dernière fois, elle se transporte encore ailleurs. Sur les flancs du Mont-Royal, dans les immeubles spacieux qui l’attendent depuis déjà trop longtemps.
L`Action Universitaire, mars 1936.
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