Guerre indienne

De la guerre indienne par Joseph-François Lafitau

La guerre indienne : La guerre est pour les Iroquois et pour les Hurons un exercice nécessaire, et peut-être est-ce la même chose pour tous les autres Sauvages de l’Amérique. Car outre les motifs ordinaires qu’on a de la déclarer à des voisins incommodes, qui leur donnent ombrage, ou qui leur en fournissent des causes légitimes en leur donnant de justes sujets de plainte, elle leur est encore comme indispensable par une de leurs lois fondamentales.

Les familles, ainsi que je l’ai déjà observé, ne se soutiennent que par le nombre de ceux qui les composent, soit hommes, soit femmes; c’est dans ce nombre que consistent leurs forces et leurs principales richesses. La perte d’une seule personne qui manque par une ou par plusieurs autres, selon que la personne qu’on doit remplacer était plus ou moins considérable.

Ce n’est point à ceux de la cabane à réparer cette perte, mais à tous ceux qui y ont des alliances, ou leur athonni, comme ils parlent; et voilà en quoi consiste l’avantage d’une cabane d’avoir plusieurs hommes qui y aient pris naissance. Car ces hommes, quoique isolés chez eux et bornés à eux-mêmes, se mariant dans des cabanes différentes, les enfants qui naissent de ces divers mariages deviennent redevables à la cabane de leurs pères, à laquelle ils sont étrangers, et contractent l’obligation de les remplacer; de sorte que la matrone qui a la principale autorité dans cette cabane peut obliger ces enfants d’aller en guerre comme bon lui semble, ou les retenir s’ils voulaient entreprendre une guerre qui ne lui plût pas.

Quand donc cette matrone juge qu’il est temps de relever l’arbre, ou de remettre sur la natte quelqu’un de ceux de sa famille que la mort lui a enlevé, elle s’adresse à l’un de ceux qui ont leur athonni chez elle, et qu’elle croit le plus capable d’exécuter sa commission. Elle lui parle par un collier de porcelaine, et lui explique ses intentions pou l’engager à former un parti; ce qui est bientôt fait.

Il faut qu’il y ait quelque chose de semblable établi parmi les autres nations, mais qui peut varier néanmoins selon les règles dont la gynécocratie est établie parmi elles. En certain temps, les femmes de la Floride viennent toutes ensemble devant le chef, et se mettant en sa présence en posture de suppliantes elles pleurent les morts de leur nation, chacune lui représentant les pertes qu’elle a souffertes dans sa famille, et elles lui demandent toutes de donner quelque soulagement à leur douleur en tirant vengeance des ennemies qui l’ont causée. Parmi les Caraïbes et les Brésiliens, ce sont aussi les femmes qui sont chargées du soin de solliciter les guerriers de venger les injures faites à leur nation par leurs ennemis communs. C’est pendant leurs festins que les femmes pleurent parmi eux, exagérant ce qu’elles ont souffert, s’efforçant par leurs plaintes et par leurs paroles d’échauffer le courage de leur jeunesse, afin de l’animer à marcher hardiment au combat, et à y donner des preuves de leur valeur et de leur amour pour ceux de leur nation ont ils vengent la mort.

Il faut outre cela qu’il y ait quelque obligation particulière dans les familles de prendre en main la querelle les unes des autres, avec des lois néanmoins un peu différentes de celles des Iroquois. C’est ce que j’infère de ce qu’en dit Thévet (André Thévet, La Cosmographie universelle, XXI, chapitre 8, p. 927b, 2 volumes, Paris, 1575, vol. II) dont je rapporterai ici les propres paroles : « Quant aux dites femmes veuves, elles ne se remarient point, si ce n’est aux frères et plus proches parents de leur défunt mari, lesquels auparavant faut qu’ils vengent la mort dudit défunt, s’il a été pris et mangé de l’ennemi. S’il est mort de vieillesse ou maladie, il faut que celui qui doit prendre la veuve pour femme amène un prisonnier qui nettoie sur la fosse du trépassé, soit qu’on ait changé de village ou autrement : aussi que toutes les pennasseries, colliers, arcs et flèches du susdit soient lavés par ledit prisonnier, même son grand lit où il couchait de son vivant. Encore ne se remarient jamais lesdites veuves à un moins fort et vaillant qu’il était leur mari; car autrement on les dépriserait, et leurs enfants et alliés même en seraient fâchés et mal contents, de façon que s’il n’y a rencontre pareille elles aiment mieux demeurer ainsi veuves tout le reste de leur vie et finir leurs jours avec leurs enfants; et encore qu’elles se remarient, si est-ce toutefois plus d’un an après le trépas de leur mari et autres choses ci-dessus accomplies.

A ce propos je vous ici d’une femme, laquelle après la mort de son mari, qui avait été pris et mangé de ses ennemis, ne se voulant jamais remarier, parce que nul des parents dudit défunt ne s’était efforcé de venger sa mort, et pour cette cause prenant l’art et flèches s’en alla elle-même en la guerre avec les hommes, et fit qu’elle amena des prisonniers, qu’elle bailla à tuer à ses enfants, leur disant : « Tuez, mes chers enfants, vengez la mort de votre père défunt, puisque nul de ses parents n’en fait autre vengeance : c’est possible, parce que je ne suis pas assez jeune et assez belle, mais une chose est en moi, c’est que je suis forte et vaillante pour venger la mort de votre dit père mon mari »; et de fait cette femme fit tant, qu’elle prit plusieurs de ses ennemis prisonniers qu’elle faisait tuer, même aux jeunes frères et neveux dudit défunt : de sorte que remettant tous actes féminins et prenant les masculins et virils, ne portait plus les cheveux longs comme les autres femmes, ou comme elle avait accoutumé, ainsi s’accoutrait avec des pennaseries et autres choses convenantes aux hommes.

Revenons à notre propos : après avoir donc bien banqueté, faisant des flûtes des os des bras et jambes de leurs ennemis, et autres instruments, comme tambourins faits à leur mode, et s’en vont sautant, et dansant joyeusement tout autour de leur loges là où cependant les plus anciens ne cessent tout le long du jour de boire sans manger, selon la coutume, et sont servis par les veuves et parentes du défunt, et m’étant informé d’eux de ses façons de faire, me répondirent que c’était pour hausser le cœur à la jeunesse, et afin de l’animer à marcher hardiment en guerre contre leurs ennemis, avec l’espoir d’un tel honneur, après qu’ils seront décédés. »

Les guerriers n’attendent pas toujours qu’on les sollicite, leur devoir les avertit suffisamment, et le désir d’acquérir de la gloire les presse encore plus vivement que le devoir et l’usage. Celui qui a envie de lever un parti, ou qui est ainsi engagé à leu faire, fournit un collier, ou bien s’il l’a reçu il le montre à ceux qu’il veut enrôler dans son expédition, comme le signal de son engagement et du leur, sans leur dire néanmoins ni qui l’a sollicité d’aller en guerre, ni qui est la personne qu’il veut remplacer; que s’i fait tant que de s’en expliquer à eux, c’est un secret entre les guerriers dont le village n’a point de connaissance.

La guerre peut être regardée ou comme particulière quand elle se fait par de petits partis, dont il y en a presque toujours quelqu’un en campagne : ou comme générale quand ils marchent en corps d’armée, et qu’elle se fait au nom de la nation.

Voir aussi :

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De la guerre indienne. Photo: Histoire-du-Québec.ca.

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