La Grèce, nouveau Danemark : la politique internationale en août 1940
Les querelles balkaniques ne sont pas près de s’éteindre. Les difficultés qu’y soulèvent les convoitises dont la Roumanie est l’objet se compliquent de nouvelles tensions dans le sud de la péninsule. Un conflit apparent oppose depuis quelque temps la Grèce à l’Albanie. En vérité il s’agit la moins d’un problème balkanique que de visées italiennes sur des points stratégiques de la Méditerranée.
Car l’Albanie, incapable de s’attaquer seule a la Grèce, n’est plus en fait qu’une province italienne. Il est bien vrai que lors du découpage arbitraire de l’Europe en 1919, une minorité albanaise s’est trouvée incluse dans le territoire de la Grèce. Cela ne faisait qu’ajouter aux autres nombreux et plus épineux problèmes des minorités dans l’indéchiffrable mosaïque de races qu’est l’Europe de l’est et du sud-est. Mais les réclamations albanaises ; sur les territoires grecs adjacents au petit royaume restaient théoriques.
Maintenant que l’Italie a imposé au plus petit des pays balkaniques le brutal protectorat que l’on sait, le Duce reprend sur une plus petite échelle la cynique comédie des dictatures qui cherchent à se camoufler derrière les gouvernements – fantômes des contrées qu’elles ont conquises sans les annexer officiellement.
Un soulèvement de montagnards albanais, peut être fomenté par des agents italiens, peut-être même imaginé pour les besoins de la cause, sert de prétexte à la nouvelle agitation italienne dans la péninsule balkanique. Rome prétend que ce soulèvement est d’inspiration grecque ou même britannique – les fascistes voyant partout la main de l’Angleterre. Elle voit là une menace pour l’Albanie et, à la mode hitlérienne, elle s’apprête à protéger de nouveau l’ancien royaume du roi Zogou, se faisant le champion de la pauvre petite Albanie contre la méchante Grèce.
La querelle véritable est entre l’Italie et la Grèce. Celle-ci par sa position géographique, barre la route à celle-là dans son ambition de dominer le bassin méditerranéen.
La Grèce détient l’ile stratégique de Corfou a l’entrée de l’Adriatique et commande par son territoire même le nord-est de la Méditerranée. Le nord-est de la Grèce, la Macédoine et le grand port de Salonique, permettrait à l’Italie, si elle l’occupait, de fermer l’issue de la mer Noire aux flottes russes et turques, ses deux principales rivales en Méditerranée après l’Angleterre. Le sud de la Grèce et les iles qui le prolongent jusqu’à la Crète pourraient servir de base pour une attaque contre Suez et l’Égypte pendant que convergeraient vers les mêmes points les armées de Lybie, d’Éthiopie et d’Érythrée, dans l’intention d’envahir l’ancien royaume des Pharaons par trois côtés à la fois et d’attaquer le canal de Suez par ses deux extrémités.
La Grèce se trouve placée entre l’Italie d’un côte et la Turquie et l’Égypte de l’autre comme le Danemark et les Pays-Bas entre l’Allemagne d’une part et la Norvège et l’Angleterre de l’autre. L’analogie des situations est aussi frappante que l’identité dos procédés. Mussolini cherche à entourer l’Égypte comme Hitler la Grande-Bretagne. En Égypte comme ailleurs en Méditerranée c’est encore l’Angleterre que vise le Duce.
Pour cela il fera, à l’instar du Führer, la conquête des petits pays qui ont le tort de se trouver sur son passage. À la façon de .son modèle allemand toujours, il procède par étapes, faisant porter tous ses efforts sur un seul point à la fois, occupant les territoires un à un comme les carreaux d’un damier.
Quand son jeu sera prêt et que Hitler croira le sien également bien au point, ils déclencheront leur double blitzkrieg, l’un cherchant à envahir la Grande-Bretagne de tous les côtés à la fois après avoir établi dos bases d’attaques et de ravitaillement sur tout le pourtour de la Mer du Nord et de la Manche, l’autre tentant d’encercler de la même façon l’Égypte, Suez, toutes les possessions britanniques de la Méditerranée et de couper du même coup les communications vitales de l’Empire.
Voilà le jeu savamment combiné que révèle la campagne lancée par l’Italie contre la Grèce, campagne en tous points semblable à celles qui ont précédé les invasions hitlériennes. C’est sur le jeu plus facile a combiner qu’à réussir.
(Ce texte analytique date du mois d’août 1940 et il témoigne de la situation internationale dans le monde à cette époque, au début de la Deuxième guerre mondiale).
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