Foyer de la corruption

Le Théâtre Royal est un foyer de corruption

Le 14 novembre 1901, grâce au talent de son dessinateur A. S. Brodeur, le journal montréalais La Presse prouvait à la « une » la présence d’enfants aux spectacles prétendument osés présentés sur la scène du Théâtre Royal, rue la Côté, théâtre comparable au théâtre Gaity, sur la scène duquel s trémoussait la très célèbre Lili Saint-Cyr.

La veille, La Presse avait entrepris une campagne qui devait s’étaler sur plusieurs jours et amener la Commission de police à s’occuper de cette affaire.

Voyons donc ce qu’on lisait dans l’édition du 14 novembre 1901, après La Presse avoir affirmé la veille que les 11 et 12 novembre, on avait dénombré respectivement pas moins de 55 et 30 jeunes filles âgées de 9 à 16 ans dans les fauteuils de la première galerie, à regarder ces scènes décolletées, ces danses en maillot, ces tableaux vivants, ces allusion risquées, ces déshabillées scéniques, ces mots à double sens qui ne peuvent que fausser le goût de l’enfant, pervertir ses aspirations, nuire à ses travaux, vicier son cœur, peut-être lui tourner la tête.

La réunion de la Commission de police

Le 14 novembre 1901, La Presse donne le compte-rendu des délibérations de la Commission de police. Voici ce qu’on peut y lire : La question de la fréquentation du Théâtre Royal par des jeunes filles et jeunes garçons a occupé sérieusement l’attention des membres de la Commission de police. Trois des échevins ont admis l’existence de la plaie sociale signalée par La Presse et se sont déclarés prêts à remuer ciel et terre pour y appliquer le fer rouge au plus tôt.

Une chose a frappé l’attention de ceux qui assistaient à la séance. C’est le rapport officiel, fait par les émissaires du département de la police, deux détectives et un capitaine, sur la moralité des représentations qui ont eu lieu cette semaine au Théâtre Royal. Ce rapport, en effet, constate seulement «des décolletés comme dans les bals, des conversations banales, des gestes suggestifs» (les loustics diront sans doute que c’était avant l’arrivée du lieutenant Quintal qui lui se préoccupait de tout ce qui bougeait).

Cependant, l’enquête faite par un reporteur du Herald (un autre quotidien montréalais, celui-ci en anglais), établit :

  • Que les décolletés sont exagérés et que la plupart des actrices apparaissent sur la scène en simples maillons collants;
  • Que les propos, tenus sur la scène, sont non seulement banals, mais excessivement licencieux – des parties de dialogue sténographiées que nous avons sous les yeux puent les maisons de débauche;
  • Que les choses morales les plus ordinaires, les lois du mariage, etc., y sont tournées en ridicule;
  • Que les pièces qu’on y joue ont pour décor des lupanars idéalisés, pour thème invariable d’adultère, et pour héros ou héroïnes des femmes galantes et leurs souteneurs.

L’échevin Lebeuf

L’échevin Lebeuf : Ce règlement (qu’on se proposait de déposer au Conseil), il a déjà été référé aux avocats de la ville qui l’ont examiné et étudié. Puis il a été retourné à la Cour du Recorder, qui y a inséré une note établissant qu’il faut plus qu’un règlement de police pour la réglementation des théâtres. Ces questions de morale doivent tomber sur le coup, paraît-il, des statuts du parlement fédéral.

Le juge Desnoyers a déclaré plusieurs fois que quatre-vingt-dix pour cent des petits vols – garçons âgés de 10, 12, 15 ou 16 ans – ces enfants ont déclaré avoir volé pour se procurer un dix sous pour aller au Théâtre Royal, et les petites filles sont dans le même cas.

Il a déjà été déclaré que le Théâtre Royal était une école de débauches pour les petites filles. On a appris de petites filles qui menaient des vies de prostituées qu’elles s’étaient débauchées à ce théâtre.

Après la lecture du rapport des détectives Joseph Charpentier et F. C. Guérin, et de celui du capitaine Loye, lesquels tendaient à minimiser le caractère lascif des spectacles, l’échevin Lebeuf fait état d’une constatation étonnante.

Subterfuge découvert

D’après, dit-il, les informations que j’ai reçues, la représentation du lundi est toujours plus mauvais (au sens de vulgaire sans doute) que toutes les autres, afin d’attirer le public. Aussi les lundis font toujours salle comble. Dès le lendemain, on change le programme. Les mouches sont attirées pour le reste de la semaine.

Le 13 novembre 1901, le Herald publie le texte suivant : On prend des mesures sévères pour se préserver de fléaux comme la picote ou la tuberculose, mais on reste indifférent lorsqu’il s’agit d’enrayer une calamité aussi sérieuse que la corruption des mœurs et du goût de la jeunesse.

Les pères de famille sont surtout intéressés à faire disparaître ces représentations qui n’ont rien d’attrayant et sont une honte pour l’art théâtral.

Épilogue : victoire !

Après avoir recueilli une foule de témoignages d’appui au cours des jours suivants, La Presse annonçait fièrement, le 19 novembre 1901 que la campagne portait des fruits.

Mais on y avait mis le paquet, en impliquant des personnalités comme Mgr Bruchési, le Dr. Fleury, interne en chef de l’hôpital Notre-Dame, l’honorable juge Desnoyers, M. le magistrat Lafontaine, M. Achille St. Mars, greffier de la cour, son honneur le record Weir, l’honorable sénateur Dandurand, et combien d’autres encore.

Devant ce tollé de protestations, la direction du théâtre décidait de passer à l’action, de sorte qu’à la séance du mardi 18 novembre 1901, La Presse avait noté moins d’enfants, moins d’obscénités, moins de propos indécents, moins de poses lascives, un peu plus de costumes, et beaucoup plus de police. C’est déjà un grand pas de fait dans le domaine des bonnes mœurs. Baissons le rideau.

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Police de Montréal vers 1910. Photo de l’époque.

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