Fondation de Montréal : L’idée et les préparatifs
Les Relations annuelles des Jésuites, publiées à mesure de leur arrivée à Paris, constituaient comme une sorte de roman d’aventures particulièrement apprécié et attendu ! Dans toutes les classes de la société on les lisait avidement et on peut dire que cette lecture provoqua à elle seule un grand nombre de départs de gentilshommes, de bourgeois, d’artisans, de cultivateurs, pour le Canada, sans parler des vocations religieuses.
Un gentilhomme de la Flèche, en Anjou, Jérôme Le Royer de La Dauversière, « personne de piété éminente », lut un beau matin de 1640 une de ces Relations « qui parlait fortement de l’île de Montréal, comme étant le lieu le plus propre du pays afin d’y établir une mission et recevoir les sauvages » et il en « fut d’abord beaucoup touché » (Selon L’Histoire de Montréal, par François Dollier de Casson, sulpicien, arrivé lui-même au Canada en 1666. Il fut le troisième supérieur du Séminaire de Montréal.
Mais il fut encore bien plus touché quelques jours après par une vision mystérieuse qui lui montra avec une grande netteté, et une parfaite vérité, le site même de Montréal. M. de la Dauversière ne douta pas un seul instant que cette vision ne fût une invitation précise de la Providence. Il s’en ouvrit à son confesseur, le révérend Père Chaveau, recteur du Collège de la Flèche, qui ne fit que le confirmer dans son sentiment, et il fit bientôt partager son enthousiasme mystique à un certain baron de Fancamp, « gentilhomme fort riche qui était depuis peu venu demeurer chez lui, comme dans une école de piété afin d’y apprendre à bien servir Notre Seigneur ».
Voilà le point de départ. Pour y donner suite, La Dauversière et Fancamp prirent la diligence de Paris. Par le plus grand des hasards, ils descendirent dans un hôtel où ils rencontrèrent M. Olier, jusqu’alors parfaitement inconnu d’eux. Aussitôt qu’ils se virent, le gentilhomme angevin et le fondateur du Séminaire Saint-Sulpice tombèrent dans les bras l’un de l’autre, comme jadis saint François et Saint-Dominique, au grand étonnement des témoins de cette scène peu banale. Quand enfin, surmontant son émotion, M. Olier put parler, se fut pour dire :
Je suis votre dessein, je vais le recommander à Dieu au saint autel !
« Cela dit, il le quitta et alla dire la sainte messe que M. de La Dauversière alla entendre, le tout avec une dévotion difficile à exprimer quand les esprits ne sont pas embrasés du même feu qui consumait ces grands hommes. »
Olier, La Dauversière, Fancamp… La Société du Montréal était virtuellement constituée. On se rendit propriétaire du lieu, qui avait été donné à Jean de Lauson, intendant du Dauphine, et on chercha un chef pour mener à bien l’expédition projetée et fonder l’établissement nouveau. Le Père Jésuite Charles Lalement, qui s’était entremis pour la transaction avec Lauson, interrogé, répondit :
Je suis un brave gentilhomme champenois nommé M. de Maisonneuve, qui a toutes les qualités voulues, et qui ferait bien votre affaire.
A voir cet enchaînement des faits, comment douter que l’entreprise ne fût bénie de Dieu? En tout cas, Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve, était bien l’homme qu’il fallait : mystique, mais réalisateur, idéaliste mais pratique, brave, mais sensé, pieux et vertueux mais compréhensif et charitable, ferme mais juste, on a pu dire de lui qu’il fut un moine laïc. Il quitta La Rochelle avec deux navires en juillet 1641; outre une trentaine de colons (d’autres étaient partis simultanément de Dieppe), et emmenait une Champenoise de sa trempe, Jeanne Mance, de Langres, aussi mordue que lui par l’appel du Canada !
Dans l’Atlantique, la tempête sépara les deux navires; celui qui porta Mlle Mance arriva sur rade de Québec le 8 août, celui où avait pris place Maisonneuve seulement le 20 août. Ce fut pour y trouver dix futurs Montréalistes, venus de Dieppe (ainsi appela-t-on les premiers habitants de Montréal) « déjà occupés à bâtir un magasin sur le bord de l’eau, dans un lieu qui avait été donné par M. de Montmagny pour la Compagnie du Montréal. »
Les Français au Canada (du Golfe Saint-Laurent aux Montagnes-Rocheuses), par Cerbelaud Salagnac, Éditions France-Empire, 68, rue Jean-Jacques Rousseau – Paris (1er), 1963.
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