L’essor des faubourgs de Montréal au XVIIIe et au XIXe siècles
Faubourgs de Montréal : La Conquête et le changement de métropole ne signifient pas pour autant un bouleversement complet dans la vie urbaine. Le commerce des fourrures va demeurer jusqu’à la fin du XVIIIe siècle l’élément moteur de l’économie, pendant que l’importance de la présence militaire et celle de l’Église catholique se maintiennent. De profondes transformations se produisent néanmoins.
Les militaires britanniques remplacent les troupes de la marine et les officiers, tout en occupant une place prépondérante dans la société, ne jouent plus exactement le même rôle dans la traite des fourrures, même si plusieurs d’entre eux y ont participé.
De nouveaux administrateurs succèdent aux précédents et la bougeoisie urbaine se modifie rapidement. Les Britanniques d’origine tiennent dorénavant le haut du pavé. L’arrivée des Loyalistes marque le début d’une diversification ethnique et linguistique. En ce qui concerne l’économie, le commerce des denrées coloniales après 1780 (blé, bois et potasse) commence à occuper une place importante, parallèlement à la traite des fourrures qui demeure cependant l’activité dominante. Le développement de la ville est marqué par les incendies de 1765 et de 1768, ainsi que par l’expansion des faubourgs.
Une ville de 5 000 habitants
La population passe de 4 000 habitants en 1754 à 9 000 en 1800 mais, dorénavant, la croissance profite davantage aux faubourgs, qui abritent les deux tiers des Montréalais à la fin du siècle. À l’intérieur de l’enceinte fortifiée, le remembrement des parcelles succède à la tendance antérieure qui privilégiait les lotissements. Les marchands de fourrures, en particulier, désirent jouir de plus d’espace. Les propriétés changent de main à la faveur du remplacement des élites : en 1805, els Britanniques d’origine possèdent 45% de la superficie de la vieille ville, si l’on exclut les propriétés religieuses et gouvernementales.
La rue Saint-Paul et la place du marché demeurent le cœur du commerce local et de la traite des fourrures. Mais, après 1770, cette dernière activité tend à se déplacer vers la partie est de la ville, à l’instar de Simon McTavish, qui s’installe, vers 1786, rue Saint-Jean-Baptiste, dans des locaux plus spacieux.
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Les alentours de la place du marché sont désormais occupés par les petits commerçants, les aubergistes et les taverniers. Les activités débordent, gagnant la rue Saint-Paul et occupant d’autres lieux : des marchands de bois de chauffage et de foin utilisent la place d’Armes. La rue Notre-Dame conserve son caractère traditionnel, avec ses institutions religieuses et ses résidences.
La construction des maisons évolue : la progression de la pierre se maintient, tout comme celle de la taille. En ce qui concerne l’architecture résidentielle, l’influence traditionnelle prédomine toujours, avec le mur de refond et pignon coupe-feu massif, mais la grande vogue des poêles de fonte, utilisés comme appareils de chauffage, laisse présager un ajustement de l’agencement des pièces.
Les militaires, qui, sous le Régime français, étaient logés chez l’habitant doivent, en vertu d’une loi du Parlement britannique, être logés dans des casernes. L’intendance entreprend de transformer les anciens magasins du roi et la canoterie royale pour y installer la garnison composée d’environ 500 soldats. La majorité des fonctions urbaines importantes demeurent concentrées dans la ville fortifiée : administration, armée, commerce, transport, services sociaux et de santé, institutions religieuses.
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Les faubourgs se transforment également, et leur caractère artisanal se confirme. Les artisans de la construction, particulièrement nombreux, s’y sont installés dès 1750. Ce secteur représente une activité importante pour la ville, tant à cause de son expansion constante, qu’à la faveur des reconstructions qui ont suivi les incendies de 1765 et de 1768. Des cordonniers et des selliers installent leurs boutiques dans les faubourgs, desservant leur clientèle du centre lors des jours de marché.
L’évolution de l’espace des faubourgs témoigne de ces mouvements. Les plus anciens sont pourvus d’un parcellaire aux divisions plus réduites, dont les lots se trouvent agglutinés autour des axes de circulation. De nouvelles zones, ouvertes par la spéculation foncière, offrent des terrains agréable, comme en ce qui concerne la terrasse qui longe le bas des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Laurent. Joseph Frobisher, par exemple, s’est fait construire une résidence spacieuse au centre de sa grande propriété du Beaver Hall, à quelque distance des fortifications.
L’aménagement des faubourgs
Contrairement à la ville, dotée dès 1672 d’une grille de rues qui avait orienté son développement, les faubourgs de Montréal s’accroissent sans plan d’ensemble, au gré des projets de chaque propriétaire, libre de découper son terrain à sa guise sans trop se préoccuper de ses voisins. Avec le temps, l’ouverture des rues devient l’occasion de vives controverses. Vers les années 1780, la demande de prolongment de la rue De La Gauchetière entre la rue De Bleury et le boulevard Saint-Laurent oppose deux spéculateurs très actifs dans le gaubourg Saint-Laurent. Pierre Foretier (1738-1815) et Christophe Sanguinet (1736-1809).
Tous deux marchands et promoteurs immobiliers, ils ont acquis de vastes terrains, situés quelque part entre l’actuelle côte du Beauver Hall et la rue Saint-Urbain. Sanguinet décide de subdiviser une partie de la terre appelée « Près-de-Ville », dont la création remontait à la fin du XVIIe siècle. Il désire conserver l’imposante demeure qui s’y trouve, ainsi qu’une partie de ses vergers. Pour desservir les lots nouveaux, il trace des rues parallèles au boulevard Saint-Laurent, qui condamnent donc la communication entre l’est et l’ouest.
De son côté, Pierre Foretier réclame un prolongement de la rue De La Gauchetière, qui assurerait à ses terrains un accès plus direct à la ville, par le boulevard Saint-Laurent, amis le tracé de la rue De La Gauchetière longerait l’arrière de la maison, morcelant du même coup d’autres lots.
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Les partisans de l’ouverture de la rue produisent pour preuve un plan montrant que l’on prévoyait sa création depuis longtemps. E qu’une seconde rue devait traverser le terrain, cette fois devant la maison, gâchant la vue et le jardin. Les adversaires contestent vivement l’exactitude de ce plan parcellaire. Car il laisse entendre qu’une homologation concernant les rues s’aurait été faite sur la propriété achetée par Sanguinet. En définitive, la rue De La Gauchetière ne s’ouvrira pas avant le XIXe siècle. Ainsi les habitants de cette partie du faubourg se verront dans le besoin d’accéder par la rue De Bleury, du Beaver Hall ou la rue Saint-Urbain pour se rendre en ville.
(Source : Atlas historique de Montréal par Jean-Claude Robert, Éditions Art Global, Libre Expression, 1994).