Familles mixtes – blanches et noires, au Québec au 18e et 19e siècles

Les familles mixtes – blanches et noires, au Québec au XVIIIe et XIXe siècles

En résumé, entre 1713 et 1881, 157 enfants clairs (l’auteur préfère cet adjectif), issus d’unions entre Noirs et Blancs et, parfois, entre Noirs et Indiens, sont nés au Québec. La moitié de ces enfants proviennent d’une famille composée d’un père ou d’une mère blanc, catholique, francophone et originaire également du Québec. De plus, pendant cette période, vingt-sept autres, enfants ou adultes, qualifiés d’orphelins ou de célibataires, y sont recensés; ils sont nés au Québec ou y ont immigré. D’où un total de 184 gens clairs.

En dépit de leur caractère limité, les données pertinentes suggèrent que ce sont les hommes blancs qui, en 1841 et en 1842, épousent, dans une forte proportion, des femmes noires. Cependant, entre 1861 et 1881, cette situation est renversée : désormais, ce sont, de façon prédominante, des hommes noirs qui épousent des femmes blanches. Néanmoins, cette tendance diminue progressivement pendant cette période.

De plus, jusqu’aux aulenteurs de 1861, la grande majorité de familles interraciales sont constituées de parents nés au Québec, francophones ou anglophones, et catholiques ou protestants. Dès cette année, cependant, l’un ou l’autre des conjoints, ou les deux ont davantage tendance à provenir, par ordre d’importance, des États-Unis ou des Antilles anglaises. Quelques-uns d’entre eux viennent de l’Irlande, de l’Écosse, de l’Allemagne et de l’Inde britannique. À l’occasion, des conjoints résidaient dans les provinces canadiennes suivantes : Ontario, Nouveau-Brunswick et Nouvelle-Écosse.

Enfin, certaines familles racialement mixtes le sont aussi d’un point de vue culturel. Voici trois manifestations de cette tendance : Dans le premier cas, les deux conjoints, nés au Québec, sont francophones ; le mari est protestant, et épouse, catholique. En second lieu, l’un des conjoints est francophone, l’autre anglophone; le premier est né aux États-Unis, l’autre au Québec, els deux sont catholiques. Troisièmement, le père est francophone et protestant, la mère anglophone et catholique; quant aux enfants, nés au Québec, les uns sont catholiques et les autres protestants ceux-là portent un prénom à consonance francophone, ceux-ci un prénom à consonance anglophone.

Bref, la race, la langue et la religion sont les principaux vecteurs de l’important brassage ethno-racial qui affecte à peu près la moitié de la population noire. Cependant, les sanctions légales, sociales ou les deux, qui ont été évoquées antérieurement, paraissent avoir considérablement freiné les unions entre Blancs et Noirs ou inversement. Par exemple, entre 1871 et 1881, les mariages entre Blancs et Noirs ou, inversement, unissent, dans une très large mesure, soit hommes et femmes récemment immigrés, soit des immigrés et des nationaux. Dans les deux cas, ce sont tous ou presque tous des illettrés et des personnes exerçant un petit métier. L’union interraciale apparaît ici comme la manifestation d’une solidarité fondée à la fois sur la communauté d’une situation socio-économique difficile et, généralement, sur l’insuffisance du nombre de partenaires désirables ressortissant à un groupe ethno-racial ou à un autre.

Au demeurant, le nombre d’unions interraciales enregistrées au Québec, entre 1713 et 1881, est peu élevé. Cependant, le phénomène d’un brassage continu survenu entre Blancs et Noirs est important, en raison des effets multiplicateurs de la descendance d’un seul géniteur sur une longue période. Il est possible que, un jour, des chercheurs autonomes soient amenés à découvrir qu’une partie de la « population blanche » du Québec, fût-elle infime, est, des origines à nos jours, bigarrée. De telles données peuvent se révéler cruelles pour l’estime de quelques-uns et problématiques pour la légitimité de certaines croyances enracinées.

Quoi qu’il en soit, ces faits semblent s’inscrire dans une continuité. Après avoir noté, au tournant du XIXe siècle, que vivent, à Montréal, des « hommes de couleur », des « mulâtres » ou des personnes de « différentes teintes, Louis Martin, le rédacteur de L’Ami des Noirs, estime que ces « nègres… n’en passaient pas moins par blancs que vous et moi. » Marin précise sa pensée ainsi :

Au gouvernement canadien…, quand viendra le prochain recensement, de retenir les services d’une douzaine de Sudistes exercés à découvrir de l’Africain même sous la peau la plus blanche, et je vous promets des surprises. Te se lèvera un beau matin pour apprendre que la couleur de sa peau est celle d’une négresse; tel autre sera informé qu’il est nègre lui-même. L’honorable monsieur Un tel, le très révérend Un tel, le millionnaire X, le snob Y – des nègres, tous des nègres!! Et comme s’ils étaient loin de s’en douter!

À cet égard, il n’est pas possible de renseigner sur la dynamique de la présence, en 1851, de 11 Noirs dans le royaume du Lac-Saint-Jean, par exemple. L’observation de Marin, en 1914, semble confirmer l’affirmation de T. Schwartz relative à une certaine hétérogénéité ethno-démographique de la population du Québec, pendant l’insurrection des Patriotes en 1836-1837. Selon cet auteur, ce phénomène, qui se manifeste aussi par l’augmentation du nombre de personnes d’origines irlandaise, italienne, américaine et suisse met en porte-à-faux d’érection, par l’ « establishement », de totems cultureles pour déterminer les frontières culturelles du Québec.

Quoi qu’en soit, l’analyse du sens culturel et politique profond de ce type de mutation, que n’expriment pas les données chiffrées, somme toute froide, impersonnelles et non pertinentes, fait toujours défaut dans l’historiographie et dans un certain discours méthodologique et théorique classique.

(Extrait du livre de Daniel Gay Les Noirs au Québec (1629-1900), Cahiers des Amériques, les éditions du Septentrion, 2004, pp. 45-47).

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Oratoire de Saint-Joseph et le jardin de la Croix. Image: Histoire-du-Québec.ca.

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