L’essor urbain en Europe à l’Âge des Découvertes : La ville, foyer d’un dynamisme nouveau
Essor urbain : Protectrice aux époques dangereuses, la ville devient durant les temps féodaux un lieu de production, d’échange et de rencontres, un nouvel espace de liberté et d’essor artistique.
L’un des principaux facteurs de dynamisme de cette période est constitué par le puissant essor urbain qui s’affirme dès le XIe, et surtout aux XIIe et XIIIe siècles. Les villes n’ont bien sûr par disparu depuis la décadence romaine, et celles qui deviendront les grandes métropoles régionales ont su conserver un certain rôle durant les siècles de régression urbaine.
C’est par exemple, le cas de Paris, Reims, Châlon, Lyon, Toulouse, Bordeaux, Rouen, Strasbourg, Avignon, Bourges, Beauvais, Nantes, Orléans. Le plus souvent bien fortifiées, situées sur une grande voie de passage ou de communication fluviale, siège d’un évêché ou de la résidence d’un grand, elles ont maintenu un mode de vie et de relations sociales différent de celui qui se généralise alors.
Les villes forteresses
Elles constituent le seul cadre accueillant et sécurisant pour ceux qui restent libres, marchands ou artisans, et représentent un lieu privilégié d’accumulation de richesses, laïques ou religieuses.C’est bien pour cela qu’elles sont particulièrement visées par les divers envahisseurs, même si certaines savent résister avec succès (comme Paris face aux Vikings en 885).
Cela réduit provisoirement l’attrait qu’elles peuvent exercer sur les populations non citadines, mais aussi pousse certains à les quitter, quand elles ne sont plus assez sûres; on peut alors bénéficier dans les campagnes de la protection seigneuriale, mais au prix d’une perte de liberté.
Mais inversement, ce danger va avoir deux conséquences positives pour l’avenir de l’expansion urbaine. La première est le renforcement des fortifications, qui contribue à rendre à la ville son rôle protecteur. Au temps du pillage viking, c’est le cas de Saint-Omer en 846, Angers en 851, Dijon, Le Mans, Tours en 869, Autun en 874, Beauvais en 876, Reims en 883, Paris en 885, Angoulême en 886, Troyes en 892.
La seconde conséquence est le fait que nombreux sont ceux qui, dans les régions menacées, échappent à leur ancienne condition servile en s’enfuyant devant la menace et en allant bien loin de là trouver refuge dans une ville éloignée du danger; même ceux qui retrouvent un travail dans la campagne le font avec un statut plus favorable et deviennent par-là même vendeurs ou acheteurs potentiels à la ville.
La ville attrait
La paix revenue, la production, la population et les revenus augmentent, les relations villes-campagnes vont s’intensifier : le surplus de la population paysanne va se diriger vers la bourgade ou la ville, parce qu’il n’y a plus assez de travail à la campagne, ou parce qu’elle s’est suffisamment enrichie pour pouvoir louer, acheter ou se faire construire un logement. Cela est favorisé par le fait que le retour à la sécurité permet l’installation à la périphérie des cités (dans les « faubourgs »).
La ville d’alors conserve des dimensions modestes relativement au gigantisme actuel (la fameuse enceinte de Philippe Auguste au début du XIIIe siècle suit l’emplacement des « grands boulevards » actuels, pour finir près du Louvre; Saint-Germain-des-Près reste à la campagne, alors que Paris est déjà la première ville du royaume).
Les villes, lieux d’innovation économiques
Les cités qui se développent le plus ne s’identifient pas nécessairement aux grands lieux saisonniers qui sont les villes de foires (Troyes, Châlons). Mais elles constituent le lien privilégié du développement des échanges de marchandises de toute sorte, car la demande y est permanente. Elles sont aussi l’endroit où s’élaborent de nouvelles formes de vie, de nouveaux rapports sociaux (maîtres – apprentis, salariat), de nouvelles organisations de la production (manufactures, grands marchands et sous-traitants), de nouvelles spécialisations (architectes, maçons orfèvres, financiers, juristes, grands administrateurs du royaume).
Des villes-chantiers
Les villes vont de plus devenir un immense chantier, surtout du XIe au XIIIe siècle, animées par la construction des églises et des cathédrales. Ces travaux vont mobiliser un nombre considérable de travailleurs et d’énormes ressources financières. Elles attestent la rivalité entre cités, chacune cherchant à surpasser les autres par la dimension et le raffinement architectural de « sa » cathédrale. On ne finit jamais de l’agrandir et de l’embellir.
Mais l’on ne se contente pas de bâtir des édifices religieux : si le formidable mouvement de construction des châteaux fortifiés sur l’ensemble du royaume concurrence les villes, et fait d’un petit bourg un lieu de sécurité et d’activité, les seigneurs d’une certaine importance se mettent à résider aussi, d’une façon permanente ou saisonnière, dans la métropole de leur domaine, et participent à ce grand élan bâtisseur.
De Lutèce à Paris
Paris est née de l’installation d’une tribu celte, les Parisii, dans l’île appelée Lutèce par les Romains. Ville gallo-romaine avec son amphithéâtre, ses thermes, ses arènes, elle s’étend ensuite sur les deux rives de la Seine avec ses églises et abbayes (St-Gervais, St-Merri, St-Germain-des-Près0, mais elle résiste aux deux sièges des Normands en 885-886. Par la suite elle se peuple sur sa rive droite de mariniers, marchands et artisans. Sur sa rive gauche d’écoles s’établissant sur les pentes de sa montagne St-Geneviève, alors que son cœur s’identifie au XIIe siècle à celui du domaine royal.
Paris
C’est le cas, en premier lieu, de Paris, au cœur des terres royales, et déjà très active au XIe siècle, grâce en particulier aux « marchands d’eau » qui lui donnent son emblème. Au début du XIIe siècle, Louis VI aménage le marché, règlement le commerce de la viande, et fixe l’emplacement du change.
Sous Louis VII commence la construction de Notre-Dame (1163); puis Philippe Auguste crée les Halles (1183), commence la construction du château du Louvre (qui remplacera le palais de l’Île de la Cité comme lieu de résidence royale), fait paver les grandes rues (Saint-Jacques, Saint-Antoine, Saint-Martin). De plus, installer quelques égouts et construire un mur de protection sur les deux rives de la Seine (1210).
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Saint-Louis entreprend la construction de la Sainte-Chapelle et de l’Hôpital des Quinze-Vingt, fait rédiger un Livre des Métiers, codifiant les activités artisanales (1268), crée une administration municipale et un prévôt des marchands.Il permet à son confesseur Robert de Sorbon de fonder un collège (1253) qui attirera des étudiants de toute l’Europe de Sorbonne). Après que le pape Innocent III aura autorisé les étudiants à créer leur corporation, l’Université (1215), établie sur la montagne Sainte-Geneviève.
Alors que la construction de Notre-Dame est pratiquement terminée à la fin du XIIIe siècle, Philippe le Bel (1285-1314) étend le palais de la Cité (tour de l’Horloge, salle de la Conciergerie). Les vies économique, administrative, religieuse et culturelle sont donc étroitement associées à l’essor de la première ville du royaume. Elle a compté donc près de 200 000 habitants au début du XIVe siècle.
Les grandes cités
Mais un phénomène du même type va se produire dans les principales cités françaises. C’est le cas d’Angers, véritable capitale des Plantagenets, qui voit s’édifier le palais épiscopal et l’hôpital Saint-Jean à partir du XIIe siècle, et dont l’imposant château fort est reconstruit par Saint-Louis au milieu du XIIIe siècle.
Bordeaux connaît durant sa période anglaise (1154-1453) trois siècles de prospérité liée à son commerce maritime (vins), à ses fortifications (dont il reste) encore de cette époque la porte de la Grosse Cloche, XIIe) et à sa fonction résidentielle (en particulier du fameux « Prince Noir », fils d’Édouard III d’Angleterre).
Elle voit se construire et s’embellir édifices religieux (Louis VII, au XIIe siècle, comme plus tard Louis XIII s’y mariant dans la cathédrale Saint-André).
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Rouen, centre de l’industrie du drap, est très liée à l’Angleterre, et possède dès le XIe siècle sa commune, constituée par les marchands de la hanse de cette ville. Elle a bénéficié du dynamisme des Vikings, installés en basse Seine en 911 et restera un grand port commercial puis aussi militaire. Dès le XIIIe siècle, une cour des aides y est établie (1370), puis une chambre des comptes (1380). Si la Normandie conteste longtemps l’autorité du roi de France (Louis X dut même concéder en 1315 une Charte aux Normands), l’importance de la ville est telle que son contrôle symbolise la mainmise sur le duché. C’est ainsi que la victoire sur les Anglais en 1450 fait suite à une entrée solennelle dans la ville.
Toulouse déjà capitale du royaume des Wisigoths, connaît aussi son essor au XIIe siècle, et une administration de capitouls. Les comtes de Toulouse, qui ont dès le XIe siècle élargi leurs possessions vers le Languedoc et le littoral méditerranéen, restent attachés à leur ville (résidence du Château narbonnais). Ce sera un des enjeux de la croisade des Albigeois (à partir de 1209). L’installation de l’Inquisition, la création d’une Université (1229) puis de l’administration royale (1271) font de la cité un centre à partir duquel s’affirme le pouvoir central, mais aussi un lieu de grande activité intellectuelle.
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De nombreux autres exemples nous montrent le rôle des villes dans la vie seigneuriale, attestée par la présence d’un château en leur cœur. On peut mentionner parmi bien d’autres : Bourges, Caen, Tours, Avignon, Nantes, Rennes, Dijon, Narbonne, Béziers, Montpellier, Carcasonne… pour ne citer que les plus grandes.
Elles vont en définitive attirer tous ceux qui ne sont pas prisonniers de l’héritage service, et ceux qui cherchent à créer ou à amplifier des activités économiques non féodales, et à trouver de nouvelles formes d’enrichissement.
La densité urbaine
Pour la mesurer citons les villes d’une certaine importance au cœur du XIVe siècle.
Au nord du royaume on trouve Lille, Valenciennes, Calais, Bruges…
Entre Flandre et Loire, c’est le cas de Mantes, Le Mans, Évreux, Meulan, Vendôme, Meaux Reims, Verneuil, Vernon, Breteuil, Conches, Beaumont, Pont-Audemer, Cherbourg, Caen…
Au sud de la Loire et à l’ouest du Massif Central, on peut mentionner Limoges, Montauban, Milleau, La Roche-sur-Yon, Moissac, Agen, Poitiers, Angoulême, Cognac, Sarlat, Ussel, Saintes, Tulle, Brive…
Pour la Bretagne, citons Saint-Malo, Rennes, Fougères, Dinan, Vannes, Quimper, Concorneau, Brest, Nantes, Saint-Brieuc, Marlaix…
Églises et Cathédrales
Avant l’un 1000, les constructions d’églises de grande dimension sont rares (Aix-la-Chapelle, Germigny).
Au XIe siècle, les exemples sont plus nombreux, mais les édifices restent de taille modeste. C’est le cas de Cahars, Cluny, Le Puy, Vézelay, Caen, Conques, Tournus, Toulouse (Saint-Sernin).
Au XIIe siècle, par contre, les mises en chantier de cathédrales. Ils ne seront souvent pourtant terminées qu’au siècle suivant et modifiées par la suite. Mais ils se multiplient : citons Angers (St-Maurice), Angoulême (St-Pierre), Autun (St-Lazare), Bordeaux (St-André), Chartres (Notre-Dame), Laon (Notre-Dame), Le Puy (Notre-Dame). Aussi Paris (Notre-Dame, à partir de 1163), Saintes (St-Pierre), Senlis (Notre-Dame), Sens (St-Étienne), Soissons (St-Gervais), Strasbourg (Notre-Dame), Toulouse (Saint-Étienne).
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Au XIIIe siècle, le mouvement de construction ne se ralentit pas. Les cathédrales commencées au siècle précédent s’achèvent, alors que de nouvelles commencent à s’ériger à Albi (Ste-Cécile), Amiens (Notre-Dame). De plus Bayeux (Notre-Dame), Bayonne (Ste-Marie), Beauvais (St-Pierre), Bourges (St-Étienne), Calais (Notre-Dame), Clermont-Ferrand (Notre-Dame), Narbonne (St-Just), Orléans (St-Croix), Reims (Notre-Dame), Tours (St-Gatien)…
Les autres villes d’Europe connaissent le même phénomène : au XIe siècle, c’est le cas de Venise (St-Marc); Spire et Mayence; au XIIe siècle, c’est celui de Canterbury, Lincoln et Salisbury, Ferrare, Parme et Pise, Avila, Salamanque, Worms et Brunswick; au XIIIe siècle, ce sont Exeter, Wells, Florence, Bruges, Burgas, Fribourg, Magdebourg et Bamberg, pour ne citer que les plus importants.
Villes d’hier et d’aujourd’hui
À l’époque féodale la plupart des villes sont d’importance comparable. Alors qu’aujourd’hui certaines sont devenues de grandes cités. D’autres ne sont que des agglomérations modestes. Mais bien rares sont les villes du XXe siècle qui n’existent pas à cette époque.