Enlèvements et captivité des enfants anglais en Nouvelle-France
La guerre entre la France et l’Angleterre s’étant terminée par le traité de Ryswick du 20 septembre 1697, le gouverneur de la Nouvelle-France travailla à négocier la paix avec les Iroquois. Ils signèrent, le 8 septembre 1700, un traité préliminaire, qui fut confirmé le 4 août de l’année suivante dans une grande assemblée des nations amérindiennes tenue à Montréal. Avec cette paix prirent fin les incursions iroquoises qui avaient ensanglanté le sol de la colonie.
Mais la paix de Ryswick entre la France et l’Angleterre ne dura guère plus de quatre ans. Jacques II étant mort en France, le 16 septembre 1701, Louis XIV reconnut pour roi d’Angleterre le fils du monarque détrôné. Ce geste blessa l’orgueil anglais et la guerre éclata de nouveau en Europe, le 4 mai 1702. Elle fut portée immédiatement aux colonies.
En Amérique du Nord, n’étant que 16 mille contre 262 mille, les Français reprirent leur tactique de frapper d’épouvante les populations dont ils pouvaient avoir à craindre les attaques. Les alliés amérindiens avaient également à venger les déprédations commises par les Anglais et les Iroquois contre leurs frères en Acadie. Alors recommencèrent les expéditions contre les villages de la Nouvelle-Angleterre.
Comme auparavant, les expéditionnaires revinrent avec des chevelures et ramenèrent les prisonniers, des enfants surtout. Le but de ces captures était d’obtenir de fortes rançons. Mais souvent ces prisonniers étaient adoptés par des familles canadiennes et se convertissaient à la foi catholique. Ils entraient même dans des communautés religieuses. Lorsque par la suite il était question de les racheter ou de les échanger, ils préféraient se fixer en Nouvelle-France. On a publié des pages entières de noms d’Anglais ainsi naturalisés.
Par exemple, encore le 6 janvier 1691, le père Louis-André baptisa dans la chapelle domestique du premier seigneur Crevier de la seigneurie de Saint-François trois jeunes Anglais : John Gray, 16 ans, fils de George Gray et de Sara (nom de famille illisible?), Jacques Ritchot, 9 ans, fils de Ritchot de Gyane et de Suzanne Calquet, et Joseph Michel, 15 ans, fils de Jean Michel et de Sara Mene. Notons en passant que tous les Ritchot du Québec descendent de Jacques Ritchot.
À Notre-Dame de Montréal, le 29 juin 1693, le curé Et. Guyotte baptisa sans conditions « Marthe Mills, née à Sacco, en la Nouvelle-Angleterre, le 8 janvier 1653, du mariage de Thomas Mills, natif d’Excester en la vieille Angleterre et de Marie Wadelo, native de Bristol proche Londres et mariée à Jacques Smith habitant de Berwick en la Nouvelle-Angleterre, y ayant été prise le 18 mars de 1690 par M. Artel, demeure depuis trois ans au service de Monsieur Crevier, à Saint-François.
Parmi les cent onze prisonniers faits lors de l’expédition de J.-B. Hertel de Rouville contre Deerfield, en février 1704, se trouvait le pasteur protestant John Williams avec sa famille. Dans le récit qu’il a fait de sa captivité au Canada, « The Redeemed Captive Returning to Sion », Williams parle de son arrivée à Saint-François, au fort des Abénakis, où il trouva plusieurs enfants anglais enlevés l’été précédent lors d’un raid sur les établissements du Maine. De Saint-François les prisonniers furent conduits à Montréal et vendus. Un des fils de ce pasteur, Samuel Williams, se fit catholique en 1705, et une de ses filles, Eunice Williams, épousa un « Sauvage » du Sault-Saint-Louis.
Le 3 août 1704, fut célébré le mariage de Charles Dubuois, fils de feu Pierre Dubois et de défunte Anne Dumont, avec Marie-Ursule, « baptisée dans son enfance dans cette paroisse et adoptée par M. de Plagnol ». Le nom de cette captive était Mistrot ou Mistret. Plus tard, en mai 1710, elle reçut ses lettres de naturalisation, en même temps que Richard Naason, « marié à une Française et ayant des enfants ».
Margaret Huggins, fille de John Huggins et d’Experience Jones, fut baptisée à Notre-Dame de Montréal en 1705. Elle avait été prise l’année précédente par les Abénakis, à Pascommuck, près de Northampton, et amenée à Saint-François, puis rachetée par le marquis de Crisafy, gouverneur des Trois Rivières.
Le 1er janvier 1713, le père Joseph Aubery baptisa un garçon d’environ douze ans, Jean-Baptiste, fils d’un père anglais et d’une mère française de la Nouvelle-Angleterre, qui avait été enlevé par les Amérindiens. Ces enlèvements continuaient le long du XVIIIe siècle : en effet, le 11 février 1736, Marie Anne Seaman (prise vers 1724) épouse à Trois-Rivières Louis Joseph Godefroy de Tonnancour, adopté par les Abénakis. L’adjuration de Marie-Anne Seaman avait été reçue par le père Dupont (Histoire des Ursulines des Trois-Rivières, I, p. 193).
Dans leur lettre du 5 novembre 1737, le gouverneur M. de Beauharnois et l’intendant Hocquart écrivent au ministre du roi : « Nous avons l’honneur de vous adresser le placet ci-joint par lequel les nommées Marie-Anne Jordan (prise vers 1716) et Marie Seaman, Anglaises prises autrefois en guerre par les Abénakis, nous supplient de leur procurer des lettres de naturalité. Leur attachement à la religion catholique leur a fait préférer de rester en Canada, quoique leurs familles les aient fort sollicitées de retourner en la Nouvelle-Angleterre. Elles ont mené une conduite très religieuse et sont sur le point de s’établir ». Ces lettres de naturalité furent accordées le 13 avril 1740.
En 1750, un lieutenant fut envoyé par le gouverneur de New-York, Clinton, à celui du Canada, le marquis de la Jonquière, pour échanger des prisonniers. Il nota sur sa liste : « Jean (nom de famille illisible) a voulu rester avec les Abénakis, comme il paraît par le procès-verbal du 23 juin 1750 ».
À l’été de 1752, Phineas Stevens et le major Nathaniel Wheelwright furent envoyés au Canada par le gouverneur Phipps de Boston pour racheter des prisonniers anglais. Ils payèrent 600 livres pour Amos Eastman et Seth Webb (les deux se trouvaient en possession du M. Gamelin) et 300 livres pour Over Hancock qui travaillait pour Mme Hertel. Le total de la somme fut versé aux Amérindiens.
Au cours de leur expédition du mois d’août 1754, les Abénakis tombèrent sur le fort de Charlestown (appelé par les Anglais Number 4, parce que c’était le quatrième établissement de ce côté) sur la rivière Connecticut et en ramenèrent huit prisonniers : James Johnson et sa femme, leurs trois enfants, Silvanus, Suzanne et Polly, âgés respectivement de 6, 4 et 2 ans; Marie-Anne Willard, sœur de Madame Johnson, un engagé du nom de Labarre et un nommé Farnsworth, qui se trouvait chez les Johnson à ce moment-là.
Madame Johnson et son fils aîné Silvanus demeurèrent à Saint-François, jusqu’au mois de novembre suivant, chez Joseph-Louis Gill. Les autres captifs furent vendus à Montréal.
Soit dit en passant que Samuel Gill, né le 16 (ou le 26) septembre 1687, fils d’un sergent anglais du même nom et de Sarah Worth, fut un prisonnier et de lui descendent tous les Gill du Québec. Il fut enlevé, à l’âge de 10 ans, le 10 juin 1697, à Salisbury, village du Massachusetts à environ douze milles de Dover, New Hampshire (Charles Gill, juge de la Couronne. Notes historiques sur l’origine de la famille Gill, 1987; Notes additionnelles sur l’origine de la famille Gill, 1889, et Nouvelles notes sur l’histoire de la famille Gill, 1892). M. Samuel Gill se maria, en 1715, à Mlle James, elle-même enlevée près du moulin à Quenibanc (Kennibunk, village situé sur le bord de la mer dans l’État du Main).
Beaucoup plus tard, dans l’ouvrage qu’elle publia à Boston, en 1798, sur sa captivité en Nouvelle-France, A Narrative of Mrs Johnson’s Captivity among the French and Indians, madame Johnson se plaît à mentionner les bons soins reçus par elle dans les familles que son maître lui permettait de visiter, celles de Charles d’Estimauville, ancien officier français, et de Jacques-Joseph Gamelin, riche marchand et capitaine de milice, un personnage très important.
On trouve dans les registres des baptêmes des enfants anglais jusqu’à la chute de la Nouvelle-France : le 31 juillet 1757, Joseph, un Anglais appartenant à Mme Despins est baptisé par le père Audran, et le 15 août suivant, est baptisé par le même père Michel Sales, Anglais âgé de 18 ans, appartenant à Claude Cartier et Agathe Renou.
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