Enlèvement de Pierre Laporte
Mitraillettes en mains, les terroristes répondent au refus de Québec de se plier à leurs exigences
Enlèvement de Pierre Laporte : Il est 17 heures 50, samedi soir, 10 octobre 1970, et le ministre de la Justice du Québec vient d’annoncer que «les autorités en place» ne peuvent se plier aux exigences des ravisseurs de James Richard Cross.
Le FLQ a fixé à 18 heures précises l’exécution du diplomate britannique si on n’accède pas à ses conditions… les deux dernières.
On laisse la vie à M. Cross, mais à 18h. 18, les terroristes donnent leur réponse.
C’est un coup de cymbales si violent que tout le monde en frémit à l’instant. Pierre Laporte, le ministre du Travail et de l’Immigration, est enlevé devant sa demeure, au 725, rue Robitaille, à Saint-Lambert.
Ruée es forces de l’ordre, des media d’information et du simple public dans la paisible et bourgeoise rue.
La Sûreté du Québec prend immédiatement les rênes des mains de la police de Saint-Lambert.
Parents et amis affluent chez les Laporte. Journalistes, reporters, photographes, caméramen et badauds couvrent le terrain de la résidence comme une nuée de sauterelles. La Tour de Babel n’était qu’un cloître… À la fin, on s’entend.
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Pourvu que tout ce monde s’éloigne un peu, on admettra dans le domicile bourdonnant conne une ruche tragique, un représentant des media, un seul, celui de La Presse, délégué par ses collègues.
Il entre dans le vaste bungalow, dont la porte se referme comme sous l’effet d’un courant d’air.
C’est une atmosphère de salon funéraire.
Le journaliste est conduit au chargé de l’enquête, l’inspecteur Paul Benoît, un calme géant. Voici les faits qu’on vient de glaner :
Pierre Laporte et son épouse s’apprêtaient à aller «souper en dehors».
M. Laporte sort le premier, descend au trottoir et son neveu, Claude, 17 ans, qui jouait dans la rue, lui lance un ballon de football. Attrape et relance. Mais une Chevrolet 68, bleu foncé, dans laquelle se trouvent quatre – peut-être cinq – hommes, est plantée au milieu de l’intersection des rues Robitaille et Tiffin.
Subitement, deux individus masqués, l’un armé d’une mitraillette, en descendent et en un tour de main forcent M. Laporte à monter dans l’auto, qui démarre en trombe vers l’est et boulevard Taschereau.
Un voisin sidéré a cependant la présence d’esprit de noter l’immatriculation : 9J-2420.
«Mais ça n’a encore rien donné, note l’inspecteur Benoît, comme un basset patient.
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Non, M. Laporte n’a jamais reçu de menaces de mort auparavant – sauf les menaces d’usage, que connaît tout homme politique.
L’épouse et la mère de M. Laporte ont été témoins du drame, et toutes deux sont sous le coup d’un choc terrassant.
Un des policiers qui mènent l’enquête confie au journaliste, après qu’on eut complète l’interrogatoire des témoins, qu’on possédait un fort bon signalement de certaines des ravisseurs.
Ceux-ci auraient même eu le culot, quelques minutes avant le rapt, d’arrêter à une station de service voisine pour demander, où, au juste, se trouvait la résidence de M. Laporte. Un pompiste a été considérablement ébahi de voir certains des occupants de l’auto portant des mitraillettes en bandoulière, mais il lui a fallu trop de temps pour reprendre ses sens.
(Texte paru dans La Presse le 11 octobre en1970)