L’Église et la paix, le rôle de l’Église dans la société féodale
Rôle de l’Église : En condamnant la guerre entre chrétiens, en inventant la croisade et en faisant du chevalier le protecteur des faibles, l’Église contribue fortement à pacifier le monde féodal.
Le rôle de l’Église va être considérable dans la façon de concevoir la vie en société, en développant une idéologie et en proposant des moyens tendant à faire régner la paix civile à l’intérieur du monde chrétien.
Si les moines offrent par leur mode de vie une image totalement contraire aux mœurs des classes dominantes aimant la guerre et le luxe, et si les constructions religieuses mobilisent pacifiquement une part importante des ressources matérielles et des énergies de la chrétienté, l’Église va aussi mener une action directe contre les velléités agressives de l’aristocratie guerrière occidentale. Elle va pour cela agir de trois manières : en condamnant la guerre entre chrétiens, en imposant le respect de l’ordre établi et en prêchant la guerre sainte, entraînant les guerriers loin de l’Europe combattre les ennemis du christianisme.
L’éthique de paix
La lutte contre la violence entre chrétiens va être une préoccupation permanente de l’Église qui développe à partir de la fin du Xe siècle et, tout au long du XIe siècle, une éthique de paix. Elle s’inscrit dans le contexte des efforts de l’Église pour faire reconnaître la primauté du pouvoir spirituel sur celui des seigneurs laïcs à qui l’Église attribue un rôle central dans la pacification, mais qui tiennent leur légitimité de la volonté divine.
Si l’interdiction des violences n’est pas toujours respectée, le caractère systématique des interventions de l’Église et des princes, surtout au XIe siècle, ne reste pas sans effet : Concile de Carroux (989), Synode du Puy (990), serment de seigneurs à Anse-sur-Saône (1025), propagande pour la paix de de l’abbé de Cluny (1040), constitution par l’archevêque de Bourges d’une armée de paix (1038), interdit pour un chrétien de tuer un autre chrétien, par les évêques de la province de Narbonne (1054), début du mouvement communal français au Mans (1070), trêve de Dieu proclamée par l’évêque de Liège (1082), confirmée par les barons du diocèse et par l’empereur Henri IV. Évoquons aussi l’évêque Garin qui fait prêter par les guerriers, dans son diocèse de Beauvais, un serment de paix, en 1024.
La même année, une secte d’Arras, jugée hérétique car critiquant la fonction de l’Église, prêche l’égalité, l’abstinence et surtout le non-recours aux armes.
De même, dans l’Angleterre du XIe siècle , qui semble pourtant moins pénétrée de cette nouvelle idéologie, une chronique raconte que la grande paix apportée par Guillaume le Conquérant permet que « désormais nul homme ne peut en mettre un autre à mort, quelque tort qu’il a reçu de lui; chacun peut parcourir l’Angleterre, sa ceinture pleine d’or, sans danger.
La théorie des trois ordres
L’importance de la nouvelle idéologie de la paix tend à s’élaborer en liaison étroite avec la théorie des trois ordres : guerriers, paysans et prêtres.
On assiste en effet, dans le nord de la France, et dans les mêmes années au développement des deux phénomènes. C’est ainsi que le thème de la paix est développé par le comte-évêque Gérard d Cambrai à la suite d’une entrevue entre Robert e Pieux et Henri II (1023), où se pose le problème de la « réforme du monde chrétien ». Il développe ainsi l’idée que seul le Roi a le droit de mener légitimement une action répressive, sans encourir les peines ecclésiastiques. Mais c’est le même Gérard de Cambrai qui défend l’idée « que le genre humain, depuis l’origine, est divisé en trois, les gens de prières, les cultivateurs et les gens de guerre ». Ainsi, « défendus par les guerriers, les cultivateurs doivent aux prières des prêtres de recevoir le pardon de Dieu. Quant aux gens de guerre, ils sont entretenus par les redevances des paysans, par les taxes qui paient les marchands; ils sont, par l’entremise des gens de prière, lavés des fautes qu’il commettent en usant des armes ».
Cette représentation trifonctionnelle de la société conduit à légitimer l’ordre social, mais aussi à condamner l’action violente des seigneurs, car la fonction militaire est réservées à l’office royal, administrateur des châtiments (« pugnator »). Il revient aux prêtres de « ceindre les rois du glaive » pour punir les criminels. La théorie des trois ordres est donc conçue, au moins à l’origine, comme étroitement liée à la condamnation des guerres privées.
L’idéal de la croisade
Il va profondément marquer les mentalités des grands du monde chrétien.
On peut expliquer de différentes façons le succès extraordinaire de cette invitation à aller combattre les « infidèles » en Terre sainte : certains ont évoqué l’essor démographique qui tend à rétrécir l’espace dont chacun dispose en Occident, rétrécissement d’autant plus grave que le temps des conquêtes est terminé et que l’Église s’efforce depuis un siècle de faire triompher l’esprit de paix comme nous venons de le voir. Ce problème peut être être d’autant plus important, pour la classe possédant le sol, que le désir de ne pas morceler indéfiniment les fiefs rejette hors de la propriété foncière une partie de ses fils. Ils trouvent alors dans l’aventure lointaine un moyen de s’employer et la possibilité de conquérir de nouvelles terres. D’autres ont voulu voir dans les croisades le produit du développement économique de l’Europe, désireuse de trouver de nouvelles routes commerciales, de pousser plus loin les premières victoires remportées sur les Arabes (en Espagne et en Sicile) pour recréer des relations d’échanges plus intenses avec le monde méditerranéen. D’autres enfin ont simplement insisté sur le mysticisme conquérant des hommes de ce temps, prêts à s’enflammer pour une aventure religieuse, qui leur permette de mettre en accord leur foi avec leurs pulsions agressives et leur statut social de guerrier.
Quoi qu’il en soit, de 1095 à 1270 se succèdent une série d’expéditions témoignant d’une aptitude renouvelée à quitter son château et son confort pour aller guerroyer au loin et risquer de perdre sa vie, et éloignant d’Europe les éléments les plus belliqueux.
La paix de Dieu
L’Église essaie de faire respecter la « paix de Dieu », qui interdit de pénétrer dans les églises par la force, d’enlever le bétail aux paysans, de frapper les clercs, les femmes, les enfants… Puis les protections s’étendent aux marchands, aux moulins, aux vignes. De même, la « trêve de Dieu » interdit de combattre du mercredi soir au dimanche, et durant les fêtes religieuses.
La théorie d’Adalbéron
La vision trinaire de la société est celle de l’évêque de Laon, Adalbéron, au début du XIe siècle : « les uns prient, lest autres combattent, les autres encore travaillent ». L’objet d’Adalbéron semble double : défendre l’idée que les clercs sont les conseillers des rois et, comme Gérard de Cambrai, faire des rois les responsables de la paix, « projection sur notre monde imparfait de l’ordre qui règne en haut, de la loi : rex, lex, pax. Pour tenir son double rôle de législateur et de pacificateur, le roi doit mettre en œuvre ses deux natures, venger, punir, redresser, s’il le faut avec violence, mais en réfléchissant sagement… » C’est ce même Adalbéron qui favorise l’accession de Hugues Capet au trône de France.
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