Pour l’humain
Politiques et menus propos. Opinions Libres.
Dans mi article paru récemment dans Amérique Française, un compatriote rapportait ses impressions d’une cérémonie vaticane.
Malgré sa légèreté, peut-être à cause d’elle, et sans que l’auteur semble s’en douter, cet article soulève, un triple problème, à la fois artistique, psychologique et religieux.
L’histoire est simple : deux canadiens assistent à une cérémonie au Vatican. La tenue bariolée et désuète des gardes les incommode parce qu’elle jure avec les temps pauvres et les complets usés, ainsi qu’avec les luttes que l’Église soutient aux quatre coins du monde. Leur conclusion est que l’Église, jeune, actuelle, vivante n’a pas besoin de ces oripeaux. Cela en soi n’aurait rien qui fixe l’attention et serait tolérable sous la plume d’un correspondant bien pensant du Time, si cela n’impliquait quelque chose de plus : si cela n’était pas un signe symptomatique.
En effet, un bref regard sur l’histoire de l’Église nous montre que le premier signe de l’erreur est la négation de l’humain.
C’est toujours sur une méconnaissance profonde de la nature de l’homme que se fondent les hérésies, qu’elles soient manichéennes ou autres. Et c’est un désir inhumain et morbide d’épuration, de primitivisme qui est au fond de la Réforme. Le même phénomène se manifeste de nos jours chez beaucoup de catholiques par un modernisme étrange qui voudrait faire de l’Église une idéologie du 20e siècle, poussé jusqu’au non-sens de l’anticléricalisme.
Or, l’Église a vingt siècles et l’Église est humaine. Problème artistique : Les costumes des gardes, comme les statues, comme les fresques, comme les églises même qui jurent à côté des gratte-ciels ou des conciergeries, sont des œuvres d’art.
Heureuse ville où l’on peut voir quelque chose de plus coloré. Les complets stéréotypés de notre civilisation terne dont la mécanique et la série priment trop souvent le goût et la joie. Heureux homme escorté de hallebardes plutôt que de mitraillettes ! C’est un homme de paix en memo temps que de force.
Dans un monde do misères et de ruines, où les vêtements sont usés, où la Foi est trop souvent contrariée, quel réconfort pour des Ames simples, pour des hommes, que ces riches costumes, que cette pompe, que ce triomphe . . Que le passé désuet est nécessaire à la marche temporelle de l’Eglise ! Car l’Église est ici-bas une chose temporelle, une chose de l’histoire, de toute l’histoire, et la Renaissance qui marque pour elle un sommet artistique, une fécondité sans précédent en est une phase importante.
L’Église a eu un commencement, elle a été fondée dans le temps et la liturgie de ses sacrements nous rappelle ce temps.
L’Église a grandi et c’est pendant la Renaissance italienne qu’elle a formé la cour de son chef. Ce triomphe temporel n’est pas faux : il est humain. Le vicaire du Christ, à cause du Christ, s’est entouré de la pompe la plus magnifique qui soit. Il a demandé au génie de son temps un décor tel que le service de Dieu l’exige. Pa r quel autre nos modernes pourraient-ils le remplacer ?
Quelles armes sont moins meurtrières que ces hallebardes : plus faites pour impressionner que pour tuer ? Que les trompettes d’argent résonnent ! Elles seules sont assez poétiques, assez « universelles » pour annoncer l’entrée du Pape.
Problème psychologique : il est au fond de l’autre. L’artiste est d’abord un homme. L’homme est une créature faible mais intelligente, assez intelligente pour tenter de compenser cette faiblesse. Elle se fabrique des symboles, des signes : du rouge, du jaune, de l’or, des sons éclatants, un pavois pour signifier la supériorité et la gloire. Sans doute, cela aussi est faible, inadéquat, mais si pauvre, cela répond .quand même à un besoin profond de manifester, de dire, d’inscrire… Vendre le Vatican pour le donner aux pauvres est un sophisme grossier. C’est, en tout cas méconnaître le grand besoin de « gratuité » et de magnificence qu’il y a dans le cœur des hommes.
L’Église est actuelle : c’est évident; mais c’est, le Christ qui l’a fondée, ce n’est pas Luther ni Calvin, ce ne sont pas les réformateurs du 20e. L’Église n’est pas un produit spiritualiste inventé pour tenir tête au communisme. L’Église est jeune sans doute, elle est très vieille aussi puisent il y a plus de mille neuf cent ans que le Verbe s’est fait chair. Nous entrons ici dans le problème religieux.
Il peut sembler étrange d’en arriver à l’Incarnation en partant d’un uniforme de garde . . . Le Verbe s’est fait chair (c’est ça notre passion, notre conviction de base !) En assumant ainsi notre nature humaine, le Christ voulut non seulement réconcilier
Dieu avec les hommes, mais aussi les hommes avec Dieu et les hommes avec eux-mêmes. Le Christ a pris la nature humaine non dans l’universel mais dans le singulier d’un temps, d’une époque, d’une mode et d’une coutume : Dieu est devenu historique.
De l’homme, Il a tout assumé sauf les péchés et les erreurs, le réconciliant ainsi avec lui-même. Il ne lui demande pas des hommages d’ange, mais des prières humaines où le sensible, par lequel l’homme s’élève au spirituel, a sa place : les trompettes d’argent sont nécessaires à la marche de l’Église puisqu’elles sont un élément de sa prière, et le Christ ressuscité a des oreilles pour les entendre.
En résumé; il ne s’agit pas ici de prendre partie pour telle ou telle mode, pour un bonnet plutôt qu’un autre, mais de souligner et de défendre, puisque cela est devenu nécessaire, l’humain de tout cet apparat.
L’Église ne date pas dans ses usages, pas plus que dans ses dogmes puisqu’elle est de tous les temps. — « Nous ne lui demandons pas d’avoir été ceci ou cela, nous croyons… qu’elle seule peut sauver les hommes d’aujourd’hui. » — Quelle énormité !
Trop longue à analyser. Ce qui étonne surtout, c’est l’assurance, qu’on ne peut que qualifier de naïve, avec laquelle tout cela est dit ! On se demande pourquoi le père Pinard de la Boullaye a écrit de si gros livres sur l’histoire comparée des religions et le problème se règle si vite !
Parce que l’Église est humaine, le ton de cet article « puriste » qui parle du faux triomphe temporel de l’Église, m’a émue.
J’aurais voulu que mes compatriotes, si doués par ailleurs, aient autre chose à dire de leur visite au Vatican que ces réflexions tout imprégnées d’un esprit critique propre à l’adolescence.
FRANÇOISE-M. LAVIGNE (Amérique française, avril 1947).
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