Le drapeau canadien et son histoire
Il faut se souvenir que pendant plusieurs décennies, les Canadiens de langue anglaise n’ont pas voulu d’un drapeau distinctif du Canada. Ils préféraient l’Unis Jack. Ce sont les Canadiens français qui ont demandé et revendiqué un drapeau canadien, comme d’ailleurs ils ont exigé une monnaie bilingue, des timbres bilingues et le bilinguisme dans les institutions fédérales. Ce sont eux qui, de la même façon, ont obtenu un hymne national différent de l’impérialiste God Save the King.
À bas le colonialisme!
Ce que cherchent les Canadiens français, c’est un drapeau sans référence au colonialisme. Ils ne veulent pas de symboles étrangers à leur culture, et qui n’ont de sens pour personne. Au contraire, ils réclament un emblème distinctif qui cimentera l’identité du peuple. Les démarches se succèdent. Ligues, associations, corps publics, partis politiques, simples citoyens, toutes les voix canadiennes-françaises s’expriment. Mais les Canadiens anglais réagissent avec une très vive opposition. Bientôt, hélas! le drapeau devient un autre élément de division.
Le red ensign
Rosaire Morin en fait l’historique dans l’Action nationale de décembre 1994. Voici un compte rendu de ses propos. Le Dominion du Canada voit le jour en 1867, mais ce n’est que le 16 juillet 1870 que John A. Macdonald accepte que le Red Ensign flotte sur les navires de l’État canadien. Le 2 février 1892, la marine marchande s’accommode à son tour du drapeau rouge qui, en 1904, est enfin hissé les édifices parlementaires.
Rapidement, le premier ministre du Canada doit affronter sur ce sujet les impérialistes anglais. Ceux-ci multiplient leurs croisades à Londres et en 1911, le secrétaire d’État britannique décrète que c’est l’Union Jack qui servira de drapeau officiel au Canada.
Le drapeau de la Grande-Bretagne devient l’emblème du Canada. Exactement comme si nous étions encore une colonie. Les Canadiens français protestent haut et fort. Pourquoi leur pays, comme toutes les autres anciennes colonies britanniques, de l’Australie à l’Inde, en passant par la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud, n’aurait-il pas son propre drapeau ?
Il ne faut pas longtemps pour qu’apparaisse un grave problème de représentation : partout dans le monde la Grande-Bretagne et les délégations canadiennes arborent le même drapeau. Voilà de quoi provoquer bien des malentendusé Comme solution, le Canada décide, le 26 janvier 1924, de reprendre le Red Ensign. Or, le drapeau rouge n’a jamais été reconnu officiellement comme emblème canadien, et c’est lui qui identifie le pays à l’étranger. Quelle confusion. Elle va durer 20 ans, pendant lesquels le débat se poursuit tant bien que mal. Il faut attendre le 24 novembre 1945 pour qu’un comité parlementaire soit enfin mis sur pied dans le but « de faire étude et rapport sur un motif approprié. »
On raconte que 2695 modèles sont proposés. Le 11 juillet 1946, dans un effort d’originalité sans précédent, le premier ministre King et gouvernement adoptent … un Red Ensign modifié. À cette occasion, Louis Saint-Laurent, ministre de la Justice et Québécois de souche, proclame « qu’il jugerait inconcevable que le Canada se donne un drapeau qui ne conserverait pas l’Union Jack dans ses plis ». Quel homme fier, et si fidèle à sa mère patrie!
Des 600 projets de drapeau soumis au comité parlementaire, ne seront retenus pour étude que ceux qui affichent l’emblème étranger.
La feuille d’érable
Mais les Canadiens français ne baissent pas les bras. Si bien que pour s’attirer leurs votes aux élections de 1962, Lester B. Pearson, chef du Parti libéral fédéral, leur promet de donner au pays un vrai drapeau distinctif. C’est la bombe ! Les Canadiens anglais sont en état de choc, ils n’arrivent pas à en croire leurs oreilles. John Diefenbaker en fait quasiment un arrêt cardiaque. Le 20 février 1964, Pearson tient sa promesse et dépose le projet de loi C-41 demandant à la Chambre des communes de voter pour un drapeau et un hymne national officiels. Un débat épouvantable et acerbe s’ensuit : batilles de couleurs, de nombre de feuilles d’érable (une ou deux ou trois), de présence ou non d’une identification au Commonwealth…
Finalement, après 90 ans de lutte, le Québec oblige le Canada à adopter un drapeau distinctif. Et il faudra attendre le 1er juillet 1980 pour que l’hymne national canadien, Ô Canada (une œuvre québécoise composée par Calixa Lavallée et écrite en français par Adolphe-Basile Routhier, soit dit en passant), soit officiellement proclamé à Ottawa.
(Source : Marcel Tessier raconte, chroniques d’histoire, Éditions de l’homme, 2000. Tome 1).
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