Un drame judiciaire

Un drame judiciaire, en 1833

Par Hector Berthelot (1884)

Adolphus Dewey, en 1833, tenait un magasin de nouveautés sur la rue Saint-Paul, près de l’encoignure de la petite rue Saint-Vincent. M. Dewey était âgé d’environ 30 ans et d’origine allemande. C’était un homme aux traits distingués et il avait une physionomie franche et ouverte. Il jouissait d’une bonne réputation parmi ses concitoyens et il était admis dans la meilleure société.

Il avait épousé, quelques années auparavant, une jeune fille de dix-sept ans d’une grande beauté, Mademoiselle Euphrosine Martineau, fille de Louis Martineau, meublier de la rue Saint-Laurent. Madame Dewey avait été élevée par un de ses oncles, M. Simon Delorme, qui résidait au coin des rues Saint-Laurent et Craig. Les premiers mois du ménage de Dewey furent heureux, mais plus tard, Félix Mercure, le même qui incendia le Palais de la justice de Montréal, en 1844, remplissant le rôle d’Iago, distilla dans son cœur le venin le plus corrosif de la jalousie.

Une fois en proie aux noirs soupçons, Dewey ne connut plus de jours heureux. La jalousie qui était entrée dans son cœur brisa tellement son bonheur domestique qu’il dût se séparer de sa jeune femme. Écoutant les bons conseils de ses amis, convaincus de l’innocence de son épouse, in consentit à des raccordailles.

*

Le dimanche 24 mars, quelques jours après être rentré en ménage avec sa femme, Dewey l’amena à la messe basse de Notre-Dame. Après le service divin, Dewey conduisit sa femme à son magasin pour un prétexte quelconque. Il ferma les portes de son magasin. Par la suite, s’emparant d’une hache, il en asséna un coup à la malheureuse.Il prit ensuite un rasoir et lui coupa la gorge.Il se rendit sur la rue Mignonne. Là-bas il engagea un maître charretier, Toussain Lecompte, pour le conduire à Burlington, New-York.

Madame Dewey ne succomba pas immédiatement aux coups terribles qu’elle avait reçus. Elle réussit à ouvrir une des fenêtres du magasin et donna l’alarme au voisin, M. Charles Roy, qui la conduisit chez lui. On transporta la malheureuse après avoir reçu les premiers pansements à la résidence de son oncle, M. Delorme, chez qui elle rendit le dernier soupir cinq ou six jours plus tard, ayant révélé avant de mourir les détails navrants du crime dont elle victime. Décédée le 20 mars 1833, elle fut enterrée le 2 avril 1833, âgée de 20 ans et 10 mois.

* Drame judiciaire

Le meurtrier fut arrêté à Burlington par le bailli Louis Malo. Il déclara à l’officier qu’il s’était laissé arrêter parce que sa femme était morte. Si elle avait survécu à ses blessures, il n’aurait jamais consenti à être appréhendé. « J’aimais ma femme à la folie, dit-il, mais maintenant qu’elle est morte, il ne me reste plus qu’à mourir ».

Le procès d’Adolphus Dewey commença à huit heures et demie du matin, le 16 août 1833, à Montréal, devant la cour d’Oyer et Tezrminer. Le juge en chef Reid présidait la cour. Les juges Pyke et Guy M. C. Ogden représentait la couronne. MM. W. Walker, C.S. Chénier et Charles Mondelet étaient au banc de la défense. Les témoins à charge étaient les docteurs Daniel Arnoldi, Pierre Beaubien, et Robert Nelson. MM. David Laurent, François Leclerc, Isidore Leclerc, Charles Fleury Roy, Louis Martineau, Simon Delorme, le révérend M. Nicolas Dufresne, deux cochers de place nommés Joseph Globensky et Narcisse Globensky et Toussaint Lecompte. Les petits jurés étaient tous Canadiens-Français.

Le procès dura deux jours. Le 17 août 1833, la cour trouva Dewey coupable et le condamna à la pendaison le vendredi, le 30 du même mois. En ce temps-là les condamnés à mort n’avaient pas le même confort qu’ils ont aujourd’hui dans leurs cellules. On les attachait au mur du cachot par des chaînes aux pieds. Le geôlier était le capitaine Holland qui était père de trois jolies filles. Une de ces dernières offrit à Dewey tous les moyens d’effectuer son évasion, mais celui-ci ne voulut pas échapper à la potence et refusa de se servir des instruments que la jeune fille lui avait procurés pour briser ses chaînes. Dewey manifesta le désir de porter un habillement noir le jour de son exécution.

*

Ses amis lui donnèrent la veille l’habillement qu’il demandait et il marcha à l’échafaud avec une toilette de gala.

On a dressa l’échafaud au-dessus d’une galerie de la prison du côté du Champs-de-Mars. Vendredi, le 30 août 1833, une foule de plus de dix milles personnes s’était massée sur le Champs-de-Mars pour assister à l’exécution. Le condamné avait puisé dans la religion une force et un courage extraordinaire. En fait, il marcha à l’échafaud d’un pas ferme. Lorsqu’on le plaça sur la trappe, il fit une courte allocution au peuple, disant qu’il était content de mourir pour son crime et demandant aux chrétiens de prier pour son âme. Quelques instants après, la trappe se déroba sous ses pieds et son cadavre balança dans l’espace.

drame judiciaire
Drame judiciaire. Ces rues cachent d’innombrables drames… Photo pour le texte Un drame judiciaire : © Histoire-du-Québec.ca.

19 décembre 1884.

Voir aussi :

Laisser un commentaire

Exit mobile version