Discussion sur la construction des ponts au Québec

Le gouvernement a vendu le vieux fer du pont de Trois-Rivières à $15,000

L’hon. J. – S. Bourque a révélé, hier soir (le 22 février 1960), que le gouvernement a vendu à la Dominion Bridge, pour une somme d’environ $15,000 à $20,000, le vieux fer du pont de Trois-Rivières. Ce sujet a été abordé durant la discussion des crédits du ministère des Travaux publics, et M. René Hamel, député libéral de St-Maurice, a profité de la circonstance pour demander à l’hon. J. – S. Bourque, qui pilotait l’étude des estimés budgétaires de M. Roméo Lorrain, si le gouvernement avait retrouv les communistes qui ont fait tomber le pont de Trois-Rivières. On a discuté longuement sur une somme de $16,000,000 que le gouvernement demande pour la construction des ponts permanents.

M. Hamel a déclaré que le gouvernement de renseigne pas les députés et qu’il faut à ceux-ci tirer les réponses du ministre, fouiller les comptes publics, pour savoir combien a coûté tel ou tel pont.

Dans le cours du débat, Me René Hamel a lu une lettre d’un employé du ministère du Travail, M. Achille Tremblay, officier des justes salaires, qui aurait permis, d’après une plainte portée par le comité paritaire de Sherbrooke, à un entrepreneur de payer des salaires moindres que ceux fixés par les décrets. L’hon. Antonio Barrette a déclaré qu’il fera enquête et que si cet employé a véritablement envoyé cette lettre, il sera destitué.

Le député de St-Maurice a soulevé cette affaire par une question posée à l’hon. J. – S. Bourque.

M. Hamel – Dans les contrats que donne le ministère des Travaux publics, est-il question des salaires?

M. Barrette – Ce sont les salaires des décrets d’extension juridique des conventions collectives qui s’appliquent. Dans les territoires qui ne sont inclus dans aucun décret, on applique la cédule des justes salaires.

M. Hamel — Arrive-t-il qu’on permette à des entrepreneurs de payer des salaires inférieurs à ceux des décrets ?

M. Barrette — Pas à la connaissance de celui qui parle.

M. Hamel — J’ai ici une lettre adressée à M. Roger Cusson, qui a travaillé pour le compte de l’entrepreneur Robert Guay. En réponse à une plainte formulée par le comité conjoint de Sherbrooke, on apprend à cet employé que l’entrepreneur a eu la permission de payer à un certain nombre de journaliers un salaire moindre, avec le consentement du Dr. A. Lefebvre qui s’occupe du patronage à cet endroit. Et la lettre est signée par M. Achille Tremblay, officier des justes salaires.

M. Barrette – Que le député produise la lettre. Je vais faire enquête et si l’employé en question a permis de payer des salaires moindres, je vais recommander son congédiement à la Commission du Service civil.

M. Hamel – Je ne voudrais pas me départir de la lettre, mais je puis la montrer au premier ministre. à la condition qu’il me la remettre. Si ça fait son affaire…

M. Barrette — Ça fait mon affaire. Je vais en prendre moi-même une copie et si, après enquête, je constate que les faits sont exacts, je vais demander le congédiement de cet employé.

M. Hamel — Je serais surpris que ce soit la seule lettre du genre. Tantôt 1e premier ministre se disait certain que tes salaires payés étaient toujours ceux du décret, C’est le genre de renseignements qu’on a dans cette Chambre!

À d’autres questions du député de St-Maurice, M. Bourque répond que le pont de St-Jean, sur le Richelieu, a coûté en tout $6,063,231. Il a té construit par la Cie de Construction Crémazie Ltée, agissant comme agent du gouvernement. La compagnie a reçu un pourcentage de 5 pour cent. La machinerie louée a été payée au taux de 6 pour cent de sa valeur par mois, tous les frais d’opération, de réparations, de dépréciation, etc. compris. M. Hamel observe qu’à ce compte, une machine se paye vite. M. Barrette répond que les compagnies privées payent jusqu’à 8,9 et même 10 pour cent par mois quand elles louent des machines semblables. Les comptes de l’entrepreneur ne sont pas payés qu’après avoir été vérifiés par le comptable des Travaux publics et approuvés par l’Auditeur.

M. Hamel : Il n’y a pas moyen en discutant le budget d’une année, d’avoir le prix d’un pont dont la construction a pris deux ou trois ans.

M. Bouque : On n’a qu’à poser des questions au feuilleton. D’ailleurs l’opposition le fait, mais ce qui arrive, c’est que le gouvernement produit les documents demandés et que l’opposition ne les lit pas.

M. Barrette : Les comptes publics ont été déposés en novembre, cette année. Jamais cela ne s’était vu auparavant. C’est la preuve que nous n’avons rien à cacher. Si on veut savoir à quoi tel montant a servi, on n’a qu’à poser des questions comme le ministre l’a dit. Mais l’opposition qui obtient des informations ne prend pas la peine de les lire. Ce n’est pas sérieux. On questionne le ministre sur les ponts qu’un même entrepreneur a obtenus depuis six ou sept ans pour donner l’impression que ce même homme a beaucoup obtenu et dans la même année. Le député de St-Maurice va se faire mal juger. C’est triste, car nous aimerions le revoir en Chambre après les élections Mais s’il continue comme ça, on ne le reverra pas…

M. Hamel : Vous deux prédécesseurs ont dit ça… et je suis encore ici.

M. Barrette : L’un de nous finira bien par avoir raison…

M. Hamel : Pour revenir à ce que je disais tout à l’heure, on ne peut trouver les renseignements complets dans les comptes publics pour un pont donné.

Le député demande ensuite certains renseignements sur les montants apparaissant au nom de certains entrepreneurs, puis cite une série de montants apparaissant sous le nom de diverses compagnies, au total sept, qui appartiendraient toutes à M. Georges Gagné, de Montréal. On dirait, soutient-il, une bête à sept têtes. C’est la même personne déguisée sous six ou sept noms. Cette même personne, sous ses diverses raisons sociales, a reçu environ $3,000,000 du gouvernement d’après les derniers comptes publics. C’est une bête à sept têtes qui mange le budget de la province. A-t-elle sept têtes pour décrocher plus de contrats du même ministère?

M. Bourque: Les travaux effectués par ces compagnies sont excellents. Le député peut-il le nier?

M. Barrette: C’est le député qui prétend que le même homme a sept compagnies. J’ai déjà rencontré M. Gagné et je n’étais pas au courant de la chose.

M. Hamel : C’est le ministre qui l’a admis et nous l’a appris.

M. Barrette : Je ne connais pas les entrepreneurs, mais la tactique du député de St-Maurice vise à laisser croire que c’est M. Gagné qui construit tous les ponts. Il y a, en réalité, quatre ou cinq grands constructeurs de ponts, qui ont autant de contrats que M. Gagné. Plusieurs de ces ponts sont donnés en règle. Le constructeur agit alors comme agent de la province, permettant ainsi de sauver la taxe fédérale de vente. Si l’on tient compte de cette économie la commission versée au constructeur ne dépasse guère 3 pour cent.

Le premier ministre continua en faisant remarquer que l’opposition reproche souvent au gouvernement de ne pas procéder par demandes de soumission publiques. Le système est en vigueur à Ottawa. Or, il y a quelques années, on a accordé la construction d’un bureau de poste à Joliette, au plus bas soumissionnaire pour la somme de de $179,000. Il y a eu tellement d’extras, par la suite, que le bureau de poste a effectivement coûté $365,000. D’ailleurs, un ministre du cabinet Godbout, M. T. – D. Bouchard, alors qu’il était ministre, a déjà dit dans cette chambre, que ce système des soumissions publiques était de la pue hypocrisie, qu’i était, en réalité, plus économique de procéder en demandant des soumissions aux entrepreneurs dans une région donnée.

(Cette affaire a été fait publique et décrite dans la presse québécoise en février 1960).

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Place Pierre Boucher à Trois-Rivières. Photo de Megan Jorgensen. Dominion Bridge
Place Pierre Boucher à Trois-Rivières. Photo de Megan Jorgensen.

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