Différends entre Frontenac et gouverneurs de la Nouvelle-France
Différend Frontenac – Perrot
Frontenac et gouverneurs : On sait que le gouverneur Perrot prenait avantage de sa charge pour promouvoir ses intérêts personnels. Faire la traite des fourrures, en marge des règlements et ordonnances. En dépit des multiples défenses aux coureurs de bois d’échanger des boissons enivrantes pour des fourrures. Un grand nombre continuaient toujours leur illicite mais payante industrie. D’affreux désordres se répétaient sans cesse parmi les nations sauvages.
Perrot eut toujours plusieurs coureurs de bois à son service. Il accordait à la moindre occasion de nouveaux « congés de traite » à ses affidés. Cela malgré toutes les défenses portées par le Conseil Souverain et le Conseil d’État du roi.
La justice parfois sévissait avec rigueur contre les contrevenants à la loi. (En 1674, la Justice condamne un coureur de bois, Jean Thomas dit le Breton, fut pendu à Québec. — Un autre, Guillaume Yvelin dit Crosson à faire amende honorable, la corde au cou, une torche ardente au poing, à genoux devant la porte du Château St-Louis. Puis on le mena assister à la pendaison de Thomas). Pourtant les abus continuaient toujours.
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M. de Frontenac, au fait de la conduite répréhensible de son subalterne, l’avait mis en garde contre d’aussi graves abus. Perrot, qui se moquait de tout le monde, ne tint aucun compte des sages avertissements de son supérieur. Frontenac se décida à faire un exemple pour imposer le respect de la loi. Il envoya le sergent Bizard avec ordre d’arrêter à Montréal un nommé de Carion. Cela pour avoir donné asile à des trafiquants louches. Ainsi pour s’être opposé par la violence à leur capture, ordonnée par un juge de Ville-Marie.
Perrot, compromis sans doute en cette affaire, prit la défense de Carion. Il mit effrontément aux arrêts le sergent, envoyé par Frontenac. Ensuite il devait payer cher cette folle imprudence. Il fit même emprisonner un respectable citoyen, Jacques Le Ber, coupable à ses yeux d’avoir fait son devoir, en donnant asile au représentant de la justice.
Irrité de la provocante audace de son subordonné, le comte de Frontenac lui ordonna de se rendre à Québec, pour se justifier de sa conduite. À son arrivée au Château, le gouverneur de Québec le salue poliment et le désigne à l’instant à ses gardes, qui le conduisent en prison, (26 janvier 1674). Il y traîna dix longs mois sans obtenir d’être entendu en défense, de la manière qu’il prétendait imposer à son supérieur. Perrot avait rencontré son maître. (Le 10 février 1674, Frontenac nomma, au gouvernement de Montréal, M. de La Nouguère, malgré les protestations des Seigneurs.)
* Frontenac et gouverneurs
Au mois de novembre, il fut expédié en France, où le roi l’envoya passer quelques semaines à la Bastille. Après quoi Perrot, que l’on croyait assagi, fut renvoyé dans son gouvernement de Montréal, (mai 1675) .(Archives de la Marine, «Collection Moreau St-Méry,» vol. 11. pp. 127 à 391.)
Il ne devait guère être plus sage après cette dure leçon. Dans un réquisitoire, écrit probablement par l’intendant Duchesneau en 1681, il est accusé de mauvais traitements infligés à plusieurs, et d’être l’auteur des troubles qui se seraient produits l’année précédente. « Il ruine le commerce et le pays, fait publiquement négoce, possède une boutique dans la commune et tient magasin ouvert. Il autorise ses valets et ses soldats à faire la traite dans les camps des sauvages. De plus, il force ceux-ci à lui vendre leurs fourrures, et les habitants n’ont que les restes. Il a traité avec les sauvages jusqu’à son chapeau, son épée, son baudrier, son justaucorps, etc., a équipé grand nombre de coureurs de bois. Son commerce lui a valu l’année dernière 40 000 livres de revenus.» (« Conduite du sieur Perrot » 1681 — Archives de la Marine: «Collection Moreau St-Méry»: Mémoires, folio 76.)
En 1682, nouveau mémoire à son sujet, portant des accusations à peu près semblables.« (Conduite du sieur1 Perrot ». 1682 — Archives de la Marine: «Collection Moreau St-Méry». Mémoires, folio 97.)
On croit que ce triste bonhomme ne débarrassa Ville-Marie de son administration scandaleuse qu’en 1684. Alors que la malheureuse Acadie le reçut comme gouverneur.
Différend Frontenac – Fénelon
À l’affaire Perrot se rattache un autre incident regrettable, dont la conséquence fut de priver notre ville d’un homme de haute valeur et de grand prestige.
L’emprisonnement du gouverneur de Montréal avait paru à plusieurs un acte d’autorité discutable, un procédé peu courtois. (Le roi écrivit à Frontenac (22 avril 1675) qu’il n’aurait pas dû prendre ses premiers procédés contre Perrot sans lui en donner avis. — Archives de la Marine. «Collection Moreau St-Méry,» vol. Il, folio 378.) Le Sulpicien François de Salignac – Fénelon, contre toute habitude de ces Messieurs, s’immisça dans cette affaire avec plus de zèle que de prudence. Il entreprit de recueillir parmi les habitants des témoignages en faveur de l’inculpé.
Dans un sermon de Pâques, le digne abbé paraît même faire allusion à la conduite autoritaire du gouverneur général. « Celui, dit-il, qui est nanti de l’autorité … ne doit pas troubler le commerce du pays, en maltraitant ceux qui ne lui font pas une part dans le gain qu’ils y peuvent faire. Il ne doit pas fouler les peuples par des corvées qui ne servent que ses intérêts.» («Déclarations au sujet d’un sermon de l’abbé de Fénelon » — Archives de la Marine: «Collection Moreau St-Méry,» vol. II. folio 165.) Ces dernières paroles étaient une franche allusion aux corvées arbitraires, ordonnées par Frontenac l’année précédente, pour les travaux de son fort à Cataracoui.
* Frontenac et gouverneurs
Tout cela fut rapporté par Cavelier de La Salle à l’irascible gouverneur, qui n’hésita point à traduire M. de Fénelon devant le Conseil Supérieur. L’abbé Rémy, son confrère, fut aussi appelé à Québec et gardé à vu, pour avoir refusé de livrer à Frontenac le texte même du sermon.
M. de Fénelon Se présenta devant le Conseil, présidé par Frontenac lui-même. Mais pour montrer qu’il n’y venait pas en accusé, il s’approcha d’un siège, comme pour s’asseoir. Le président prévint son geste. Il lui dit qu’il devait rester debout pour entendre ce que le Conseil avait à lui demander.
De Fénelon, s’asseyant quand même, lui répondit qu’il ne voulait pas déroger aux privilèges que les rois reconnaissent aux ecclésiastiques de parler assis et couverts. (( Oui, répliqua Frontenac, aux ecclésiastiques, mandés pour donner des éclaircissements, mais non à ceux qui sont cités pour les crimes dont on les accuse.»
M. de Fénelon, qui s’était déjà couvert pour protester, enfonça alors son chapeau sur la tête et se mit à se promener de long en large dans la grande
salle du Conseil, en disant que son prétendu crime n’était que dans la tête du gouverneur. Exaspéré d’une aussi énergique résistance à ses ordres, Frontenac dit à l’abbé qu’il n’avait qu’à sortir s’il ne voulait pas prendre l’attitude ordonnée. (Abbé Failion : «Histoire de la Colonie française,» vol. Ill, pp. 514 et suivantes.)
De Fénelon, récusant toujours la juridiction du Conseil en la matière, à cause de son caractère ecclésiastique, fut envoyé en France. Pour être jugé par le roi, en son Conseil d’État.
L’incident n’eut pas d’autre suite que de faire perdre au séminaire et à Ville-Marie un excellent homme de bien. Il s’était imprudemment compromis pour défendre Perrot, qui ne le méritait pas.