Québec prend la relève urbaine dans le Grand Nord
Développement du Grand Nord du Québec : Le ministère de l’Environnement du Québec vient de lancer officiellement son programme de régionalisation des services en inaugurant son premier bureau régional à Radisson dans le territoire de la municipalité de la Baie-James. Cette région administrative dite «# 10» comprend une partie de la municipalité de la Baie-James et tout le Nouveau-Québec; elle englobe plus de la moitié du territoire du Québec.
Le geste du gouvernement revêt un caractère symbolique. Il arrive au moment où les sociétés paragouvernementales, créées pour réaliser les grands ouvrages hydroélectriques, se retirent graduellement du site principal LG2 — Il ne reste plus que 1,000 ouvriers sur ce chantier. La question se posait donc de décider quoi faire avec les milieux urbains créés de toute pièce pour mener le projet de harnachement à bon terme.
En ouvrant un bureau régional de l’Environnement à Radisson, le gouvernement du Québec ne fait pas qu’assumer la responsabilité qui lui revient maintenant en vertu des dispositions de la Convention qui le lie aux autochtones: celle d’assurer l’hygiène du milieu. Il annonce aussi sa volonté de faire de Radisson, la petite ville administrative centrale actuelle, un centre administratif permanent devant desservir l’ensemble des populations du Grand Nord.
Il montre qu’il n’a pas l’intention d’évacuer tout le champ de l’aménagement territorial et de la protection du milieu nordique.
Il parait évident que les autorités de la Société de la Baie James n’avaient pas, pour Radisson, et pour les autres centres urbains d’où les ingénieurs-cadres dirigeaient les opérations, un projet novateur de ville-nouvelle permanente. Elles se confinaient à réaliser les objectifs d’un mandat bien précis celui de faire de l’électricité , d’opérer une industrie qui ne nécessitera pas la présence de plus de 500 personnes dans tout le complexe de production. Les mines, la foresterie, la pèche, la recherche, le tourisme justifient pourtant la présence, dans le Grand Nord, d’une population variée, d’une population qui voudra vivre en liaison, sinon en symbiose, avec les autochtones de façon à éviter de créer des ghettos.
Les difficultés
L’installation du ministère de l’Environnement à Radisson indique que le gouvernement a fait son choix. Toutes les activités et services utiles au Grand Nord se dérouleront et seront offerts à partir de Radisson, dans ce secteur «subarctique moyen » du territoire. La Société d’énergie de la Baie James devra donc tenir compte de cela dans les opérations de démantèlement qu’elle effectue maintenant. Ceci dit on peut déjà percevoir les difficultés. La première concerne l’urbanisation elle-même.
Dans l’annonce qu’il a faite le ministre de l’Environnement, M. Marcel Léger, a précisé que ses fonctionnaires tenteront de relever la qualité du milieu de vie à un niveau «acceptable» chez les autochtones; ils surveilleront d’autre part l’exploitation des ressources du milieu, celle des mines notamment en accord avec les lois de l’environnement. On peut croire ainsi que les préoccupations du ministère, relativement à l’hygiène publique, seront divisées. On pourra avoir une politique pour les Indiens et les Esquimaux et une autre pour les Blancs.
Pour éviter tout risque de promouvoir une société coupée en deux on pourrait au contraire souhaiter que la politique gouvernementale d’hygiène et de salubrité s’applique à toutes les personnes du Grand Nord sans trop de distinction d’origine. La plus grande critique qui a été formulée à l’endroit de la Société d’énergie de la Baie James avait justement trait à la conception même des agglomérations créées pour réaliser les ouvrages hydroélectriques.
Radisson, disent les observateurs les plus scolarisés, aurait pu être le champ d’expérimentation de la ville nouvelle adaptée aux conditions de vie du Grand Nord. Le gouvernement du Québec avait ainsi une occasion rêvée de faire concourir les architectes pour concevoir une petite ville où les grappes de maisons auraient été reliées aux services centraux par des passages intérieurs, où les services récréatifs auraient mieux été intégrés et où la qualité de la vie aurait pu être supérieure encore à celles des villages traditionnels. Au lieu de cela, on a organisé, par simple calcul d’ingénierie mathématique, un réseau de campements de type roulotte aux fausses pelouses, dont le caractère éphémère saute aux yeux.
Encore une occasion ratée, sans que cela ne grève trop les budgets de l’État, de faire de l’architecture valable. Le Québec ne se gâte pas trop à cet égard.
Les fonctionnaires du gouvernement qui commencent maintenant à assumer la responsabilité de la salubrité dans le Grand Nord sont bien motivés. Ils nous montrent les. photos des dépotoirs sauvages et des étangs contaminés qui parsèment le pourtour de la péninsule québécoise et ils nous annoncent qu’ils vont régler cela.
On ne peut toutefois s’empêcher de constater que le délabrement des établissements autochtones n’a pas une cause bien différente de celui des Blancs. Il vient d’une absence de réflexion sur l’aménagement général des villages; la saleté de ces lieux est le résultat d’un manque de planification par des personnes formée s pour régler ce type de problèmes. Les dépotoirs sauvage s ne sont qu’un symptôme de la maladie urbaine.
La quinzaine de fonctionnaires québécois qui s’intéresseront à la propreté des villages vont-ils pouvoir aller aux causes véritables des maux ; à celle de la mauvaise réglementation fédérale notamment, qui a produit le type de logement indien qu’on voit aujourd’hui? Us le pourront difficilement car la définition que le ministère de l’Environnement donne lui-même de l’environnement est limitée à la seule dimension des nuisances; à l’eau sale, aux poisons et aux poussières. Pour créer un meilleur environnement dans le Grand Nord il faudra ainsi que les autres ministères, celui des Affaires municipales, entre autres, qui a une responsabilité en architecture, agisse en commun avec les autres instances sur le bâti communautaire.
(Ce texte date du 15 octobre 1980, publié dans le journal La Presse).
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