Début du voyage de 1534

Début du voyage de Jacques Cartier en 1534

En ce 20e jour d’avril 1534 le soleil de printemps dardait ses rayons déjà chauds sur la vieille cité maritime de Saint-Malo; mais d’épais nuages blancs, poussés par bon vent du nord-est, roulant vivement dans l’espace, venaient de temps à autre en tempérer l’ardeur et jetaient sur la terre quelques averses drues et plutôt froides.

Une foule bruyante avait envahi les rues de la ville qui conduisaient du château au port; mais un observateur impartial, occupé à scruter les visages pour deviner les pensées, aurait constaté sans peine qu’elle était agitée de sentiments divers et peut-être contradictoires. En effet, si les uns laissaient éclater par leurs rires une franche gaieté, les autres, en plus petit nombre il est vrai, ne cachaient pas leur dépit et faisaient des mines longues. Quelques-uns se contenaient d’être graves sans irritation, comme s’ils supputaient dans leur for intérieur les chances bonnes ou mauvaises d’une entreprise hardie.

Du haut des remparts on se montrait deux petits navires qui seraient d’ailleurs facilement passés inaperçus au milieu des voiliers de toutes dimensions, barques, nefs, caraques, galions, caravelles, ancrés dans le port ou amarrés aux quais, car ce n’étaient que des courlieux d’environ soixante tonneaux chacun. Tout brillants de leur peinture fraîche, encore immobiles sur leurs ancres, les basses voiles déjà larguées, ils ressemblaient, au milieu du bassin, à deux oiseaux marins prêts à prendre leur vol. Un nom courait de bouche en bouche, celui de Jacques Cartier; et l’on regardait aussi le pavillon de vice-amiral qui claquait au vent tout en haut du Grand Donjon.

Cependant, une cérémonie se déroulait dans la salle d’armes du château. Là, une soixantaine de matelots se trouvaient réunis, en rangs, devant un fauteuil d’honneur que surmontait un dais brodé aux armes de la cité: de gueules à la herse d’or mouvant de la pointe et sommée d’une hermine passante d’argent, lampassée de sable, accolée et bouclée d’or, cravatée d’hermine. Sur le fauteuil avait pris place, entouré du prévôt, des échevins et des membres du Conseil de Ville, messire le chevalier Charles de Mouy, seigneur de La Meilleraye, vice-amiral. En avant des matelots, se tenaient, respectueusement, chapeau à la main, plusieurs capitaines, maîtres et contremaîtres.

Au nom de Sa Majesté François Ier, roi de France, disait solennellement le vice-amiral dans un silence impressionnant, je requiers de vous le serment de bien et loyalement vous comporter au service du roi sous le charge du capitaine et maître-pilote Jacques Cartier, de Saint-Malo, ici présent à mes côtés.

Tous étendirent la main droite et crièrent d’une seule voix:

Nous le jurons !

Juste récompense aux efforts de celui qui rêvait de trouver par l’ouest passage vers la Chine, et de donner de surcroît à son roi terres d’outre-mer égales à celles de souverains d’Espagne et de Portugal, lesquels s’étaient arrogés le droit de se partager le globe! Mais en même temps son front se creusait de rides quand il pensait aux jalousies, aux rivalités, aux haines qui l’entouraient. Pour lui permettre d’enrôler les équipages de ses deux malheureux courlieux, le vice-amiral n’avait-il pas dû faire interdire par la Cour de Saint-Malo à tout navire du port d’armer pour quelque destination que se fût, jusqu’à la fin de son propre armement? En effet, les ennemis de Jacques Cartier avaient exercé des pressions terribles sur les marins, allant jusqu’aux violences, pour les empêcher de s’enrôler. C’étaient bourgeois et marchands et armateurs, qui envoyaient des navires à la pêche aux Terres-Neuves, lesquels se livraient en outre au troc des fourrures; aussi craignaient-ils des ingérences indiscrètes et nuisibles dans leur commerce quasi-secret (pêcheurs bretons et basques fréquentaient les côtes de Terre-Neuve depuis au moins un siècle).

Maintenant, ayant pris congé du vice-amiral, Jacques Cartier, à la tête de ses équipages, s’en allait vers le port. À la Grande Porte des remparts, Katherine des Granches, dame Cartier, sa fidèle compagne, l’attendait. Il la serra dans ses bras une dernière fois avec tendresse, tandis que la pauvre femme éclatait en sanglots, puis il descendit sur le quai.

Les Français au Canada (du Golfe Saint-Laurent aux Montagnes-Rocheuses, par Cerbelaud Salagnac, Éditions France-Empire, 68, rue Jean-Jacques Rousseau – Paris (1er), 1963.

Lire aussi :

voyage de Jacques Cartier
Parc de la Croix, Oratoire Saint-Joseph. Photo: Histoire-du-Quebec.ca.

Laisser un commentaire