Historique de l’Université Laval

Les commencements de l’Université Laval – Par l’Abbé Arthur Maheux

Mgr Ignace Bourget, évêque de Montréal, avait fort à cœur la fondation d’une université catholique, telle, l’Université Laval. Il voyait avec regret les jeunes gens de son diocèse prendre le chemin de l’institution protestante McGill, ou celui d’écoles de droit et de médecine sur lesquelles il ne pouvait exercer aucun contrôle religieux.

D’autre part, un projet d’université couvait depuis 1843, autour de l’appropriation des Biens des Jésuites. Les ministres du gouvernement en parlaient entre eux. Les deux évêques, de Québec et de Montréal, en eurent rumeur et s’occupèrent aussitôt du projet. Ils présentèrent aux ministres Hincks et Morin des notes très détaillées et des requêtes; il s’agissait, pour eux, de rendre à leur destination première les biens des jésuites, et aussi de ne pas favoriser une création du type neutre en religion.

Pour fonder une université

Pour mettre sur pied une institution aussi considérable que l’est une université, il fallait trouver une maison déjà bien établie, bien accréditée dans l’opinion publique, une corporation assez riche en ressources matérielles et académiques. Trois institutions pouvaient répondre à ces exigences, la Compagnie de St-Sulpice, le Séminaire de Québec, la Compagnie de Jésus si on lui remettait ses biens confisqués. Apparemment le Séminaire de Québec parut au plus grand nombre comme le plus capable d’assumer la grande responsabilité de fonder l’université catholique. Ce qui porte à le croire, c’est que dès mars 1849, avant qu’aucune démarche officielle n’eût été faite, le Conseil du Séminaire de Québec déléguait l’abbé Elzéar-Alexandre Taschereau pour aller à Montréal, aux bureaux du gouvernement, procéder à une étude des chartes universitaires déjà existantes en Canada; cela signifie clairement que le Séminaire avait été pressenti auparavant, peut-être dès 1848.

Rapport

Le Rapport de ce délégué est assez élaboré et trace, même, la ligne de conduite à suivre dans les tractations. On peut dire que dès ce moment le Séminaire s’attendait à l’éventualité. Cependant, il ne voulut rien faire avant que l’autorité ecclésiastique eût parlé ouvertement.

Décret du concile plénier

Les évêques du Canada pensaient alors à se réunir en Concile plénier à Québec. Ces évêques étaient ceux de Québec, Montréal, Ottawa, Kingston et Toronto. Au programme du Concile ils inscrivirent ce projet d’université.

Ils l’étudièrent, en effet, décidèrent dans l’affirmative et ils prièrent leurs diocésains de favoriser l’établissement d’une université. Le décret du Concile fut communiqué au Supérieur du Séminaire.

Deux secteurs de l’enseignement au degré universitaire existaient déjà, à savoir celui des Arts, avec plusieurs Séminaires et collèges classiques répandus à travers tout le Bas-Canada, et celui de Théologie, enseignée aux grands Séminaires de Québec et de Montréal. Québec avait déjà une école de Médecine ouverte en 1847 par une loi du parlement canadien. Montréal avait l’École Canadienne de Médecine, et en outre des leçons de droit se donnaient en ville. Il y avait espoir de réunir toutes ces forces en un faisceau.

Mgr Bourget propose

Mgr Bourget n’avait pas attendu le Concile pour proposer le Séminaire de Québec comme le plus en état de se charger de la future université : la lettre où il en fait la proposition est du 31 mars 18 51 et le Concile ne fut tenu qu’au mois d’août. Dans l’intervalle, en avril, le Séminaire avait seulement déclaré son intention de coopérer avec les évêques. Et ce fut le silence pendant les quatre derniers mois de l’année 1851.

En janvier, Mgr Turgeon, archevêque de Québec, pressait Mgr Bourget de donner son avis final. Le Séminaire de Québec, sollicite aussi, déclara de nouveau, le 19 mars 18 52, son acceptation, à condition que les évêques le jugent utile. Il dut se passer quelque chose le même jour ou tôt le lendemain, car le 20 mars, le Supérieur du Séminaire, Louis-Jacques Casault, écrit à l’archevêque de Québec, Mgr F. Turgeon, qu’il acceptait la proposition, sans doute, mais que Mgr Bourget avait changé d’idée. Mgr Turgeon écrit aussitôt à l’évêque de Montréal pour s’assurer de sa pleine coopération.

Conseil du Séminaire décide

Le 29 mars le Conseil du Séminaire jugea prudent de tenir une nouvelle séance pour délibérer sur cette importante affaire. Ces Messieurs avaient probablement conçu quelque suspicion à l’égard de Mgr Bourget, puisque celui-ci avait si vite modifié ses vues. Les directeurs du Séminaire en arrivèrent à la conclusion qu’il serait prudent de ne dépendre que d’une seule autorité et ils consignèrent dans leurs procès-verbaux qu’ils acceptaient d’établir l’Université pourvu que celle-ci dépendît du seul archevêque de Québec ; le lendemain, 30 mars, M. Casault faisait part de cette décision à Mgr Turgeon. Exactement le même jour Mgr Bourget répondait à la lettre de Mgr Turgeon (22 mars) disant qu’il méditait sur l’affaire, en vue de la prochaine réunion des évêques.

Une université « provinciale »

Apparemment, c’est là le premier conflit. Mgr Bourget semble avoir toujours pensé à une université « provinciale », sorte de consortium de toutes les institutions existantes, de Québec, de Montréal, et autres lieux où se trouvaient des collèges classiques, le tout sous la direction immédiate des évêques. Il n’avait peut-être pas pensé aux difficultés d’une pareille Entreprise. Il devait avoir dans l’esprit le cas de l’Université catholique de Louvain, où les évêques belges avaient la direction immédiate. Ce régime convenait bien à un territoire restreint comme la Belgique, mais serait d’application difficile en Canada, à cause des distances et des difficultés de communication.

Le Séminaire diocésain

Par ailleurs, le Séminaire, quelle que fût sa bonne volonté, ne pouvait trahir la pensée de son fondateur. De par sa constitution il était un « séminaire » diocésain et comme tel il relevait de l’autorité épiscopale du lieu.

Par ailleurs, si les évêques belges se montraient capables d’entente et d’union il y avait lieu de redouter qu’en Canada H pourrait en être autrement, et l’avenir prochain démontra bien la justesse de leur jugement sur ce point.

Notons, aussi, que l’épiscopat canadien comprenait, outre Québec et Montréal, Kingston, Toronto et Ottawa, régions encore plus éloignées, districts où l’élément non-français avait son importance et dont les intérêts – différents – pourraient produire éventuellement des divergences de vues et des complications administratives très grandes, voire dangereuses.

Une supplique au Pape

Peu de temps après, le 11 avril, M. Casault écrivait à Mgr Turgeon pour représenter les objections faites par le Séminaire au nouveau plan de Mgr Bourget. Les directeurs du Séminaire avaient déjà commencé l’étude d’un projet de charte universitaire et Mgr Turgeon s’empressa d’exposer ce projet à son collège de Montréal, et le lendemain il adressait à tous les évêques une circulaire pour les inviter à signer une supplique au Pape pour l’érection d’une université catholique en Canada.

Mgr Bourget dut maintenir ses vues, puisque le 27 avril Mgr Turgeon lui écrivait pour réfuter ses objections au projet de charte ; ses explications réduisirent l’opposition de l’évêque Bourget, puisque celui-ci, comme les autres évêques, signait la supplique au Pape pour obtenir l’érection canonique et le privilège de conférer les degrés en théologie. En même temps Mgr Turgeon cherchait à obtenir l’appui du gouverneur Lord Elgin, par une lettre du 3 mai. Il ne s’attendait pas au désappointement que lui apporterait le courrier du lendemain. En effet, Mgr Bourget écrivait à Mgr Turgeon, le 4 mai, qu’il voulait une université « diocésaine » à Montréal.

Idée de deux universités

C’était déjà l’idée de deux universités, et c’était une idée redoutable. M. Taschereau, dans son mémoire de mars 1840, laisse entrevoir que ce sera difficile d’obtenir une université catholique. Le clergé avait refusé le projet neutre de 1792 ; il y avait lieu de craindre que, par représailles, l’élément anglo-protestant refuserait une université nettement catholique ; ce serait vraiment beau si on en obtenait une.

Mgr Turgeon continuait ses conversations avec quelques-uns des ministres du cabinet ; il obtenait l’appui de ceux-ci ; par eux il espérait faire pencher le gouverneur en faveur du projet. Fort de ces espoirs il répondit à Mgr Bourget, le 5 mai, pour lui en faire part.

Les privilèges des collèges

En même temps il introduit dans sa lettre un élément nouveau, quand il déclare que les collèges auront des privilèges. C’est la première fois que la correspondance sur le projet d’université fait mention des collèges. Or, c’était là un point sensible.

Jusque-là, chacun de ces collèges s’estimait l’égal, tout au moins, des autres ; mais si l’un d’eux était élevé au rang d’université, que deviendrait cette « égalité », cette indépendance ? Il y avait lieu de ménager de telles susceptibilités. Le Séminaire de Québec et l’archevêque n’oubliaient pas cet aspect délicat du problème.

Supplique au Pape

Mgr Bourget se contenta de répondre, le 6 mai, qu’il avait signé la supplique au Pape ; cela signifiait qu’il acceptait les vues de Québec. Mgr Turgeon devinait, cependant, que le malentendu pouvait persister. Le 7 mai il envoyait une note à Mgr Bourget lui disant qu’il lui dépêchait son coadjuteur, Mgr Baillargeon, pour lui donner les explications utiles. L’évêque de Montréal s’en déclara satisfait dans sa lettre du 10 mai. L’horizon s’éclaircissait de ce côté, mais pour s’obscurcir sur un autre ; en effet, le gouverneur, à qui M. Casault avait remis le projet de Charte, fit savoir qu’il voulait plus de détails.

Le 10 mai, toujours 18 5 2, le Conseil du Séminaire de Québec se réunissait pour réétudier le projet de charte et pour considérer le texte d’une requête à la Reine Victoria. Les deux textes furent approuvés. Le gouverneur les étudia, les approuva en principe, mais insista pour avoir plus de détails ; la lettre est du 13 mai. Mgr Turgeon y répondit le même jour, insistant, de son côté, pour obtenir l’approbation. Trois semaines passèrent avant que vînt la réponse ; mais elle fut favorable ; l’arrêté est daté du 5 juin.

L’autonomie en cause

Un autre nuage s’éleva, à l’est cette fois. Le supérieur du collège de Sainte-Anne de la Pocatière exprima ses craintes sur le projet : l’autonomie était en cause. Mgr Turgeon, dans une lettre du 15 mai, s’employa à le rassurer.

M. Casault était déjà rendu à Londres avant que le texte de l’arrêté du gouverneur n’y parvînt. Il avait présenté sa requête et le texte de la charte. On lui répondit, le 26 juin, qu’on attendait l’approbation du gouverneur.

Elle ne tarda pas à arriver

Le 7 juillet Parkington avisait M. Casault, à Londres, que la Reine accordait la charte demandée ; le 16 juillet Parkington en avertissait le gouverneur Elgin, et celui-ci l’apprit à Mgr Turgeon le 9 août ; le lendemain, les remerciements écrits de l’archevêque parvenaient au gouverneur Elgin.

La charte de l’Université Laval signée le 8 décembre 1852

La charte fut signée le 8 décembre ; cette date fut choisie, sans doute, par les Messieurs du Séminaire de Québec à cause de leur culte pour l’Immaculée Conception. L’un des premiers actes du nouveau Conseil universitaire fut d’élire la Vierge Immaculée comme patronne de l’Université Laval.

Mgr Bourget en fut très heureux, car il avait lui-même une très grande dévotion à la Vierge Marie.

Le 10 décembre, un officiel de Londres annonçait à M. Casault le départ du précieux colis contenant le grand parchemin de la charte, à l’adresse du gouverneur. Le 14 janvier 1853, le secrétaire du gouverneur transmettait à M. Casault la charte avec… la note à payer. Le paiement ne tarda pas, car le reçu fut signé à Londres le 3 1 janvier. L’officiel de Londres est un M. Smith ; sa lettre du 3 1 janvier est en anglais, mais sa première, du 10 décembre, est en excellent français.

Le premier février 1853, Mgr Turgeon communiquait aux évêques copie de la charte universitaire, ajoutant que le Séminaire procédait immédiatement à l’organisation des facultés selon les termes de la charte. Ce fut une explosion de joie. Le secrétaire de Mgr Bourget répondit, le même jour, que son supérieur, momentanément absent, serait très heureux de lire le texte de la charte.

Félicitations

L’évêque des Trois-Rivières écrivait ses félicitations le 4 février ; celui de Saint-Hyacinthe le fit le 6 février. Mgr Bourget écrivit lui-même le 10 février ses chaleureuses félicitations. L’évêque de Toronto écrivit le 11 février ; à ses félicitations il ajoutait le souhait que les collèges catholiques du Haut-Canada fussent affiliés ; ceux-ci, apparemment, tenaient moins à leur « autonomie » que ceux du Bas-Canada. L’évêque d’Ottawa répondit le 17 février ; il déclarait que l’Angleterre s’était, en l’occasion, montrée « extraordinairement libérale ». Il ne manque que la lettre de l’évêque de Kingston.

Tout cela était beau, cependant, il restait une ombre. Rome ne marchait pas aussi vite que Londres. M. Casault s’y était rendu en juillet et avait présenté la supplique de l’épiscopat canadien pour l’érection canonique. Le Pape fit des objections, et M. Casault dut soumettre, par écrit, au Cardinal Barnabo – de la Propagande – des réponses a ces objections. Le 21 janvier 18 5 3, M. Casault écrivait de Québec au Cardinal Barnabo ; il lui envoyait copie de la charte et il insistait pour obtenir au moins un induit temporaire ; Mgr Turgeon ajoutait ses objurgations.

Autorisation de Rome retarde

L’archevêque aurait été heureux d’obtenir réponse favorable, de façon à en avertir ses collègues de l’épiscopat par sa lettre du 1er février ; il dut se contenter de dire que l’autorisation de Rome retarderait. Le retard ne fut pas trop long, car l’induit espéré est daté du 6 mars 1853.

Désormais la nouvelle université Laval pourrait conférer des grades en théologie, en droit, en médecine et dans les Arts. Entre le 31 mars 1852 et le 6 mars 1853 on avait fait beaucoup de chemin. D’autant que l’Université avait déjà, le 18 février 185 3, dressé un projet de règlement pour le baccalauréat ès-arts.

Tels furent les débuts de la première université catholique – et française – en Canada.

(Texte paru dans l’Action Universitaire, une revue de l’Université de Montréal, en 1951).

Pavillon Palacis-Prince de l'Université Laval
Pavillon Palais-Prince de l’Université Laval. Photo : Histoire-du-Québec.ca.

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