Débardeurs du port de Québec au XIXe siècle
Le commerce du port de Québec et la construction navale battaient leur plein au milieu du XIXe siècle. L’hiver, les chantiers maritimes travaillaient sans répit. L’été, les navires arrivaient et les débardeurs étaient très recherchés. Ces ouvriers se recrutaient surtout parmi les immigrants irlandais, tandis que la presque totalité des ouvriers des chantiers navals étaient des Canadiens français.
En 1859, les débardeurs irlandais fondent leur première association ouvrière qui s’appelle la Quebec ship laborer benevolent society.
À cette époque, plus de mille navires fréquentaient le port de Québec tous les ans et plus de 6 mille débardeurs permanents travaillaient dans le port, sans compter les débardeurs temporaires.
Le salaire de ces ouvriers n’était que de $1.50 pour 10 heures de travail quotidien. Parfois, un navire partait sans payer les salaires. Alors, pour se protéger les débardeurs s’organisent et fondent la première association ouvrière de Québec.
Presque tous les membres de la Société étaient des Irlandais et les règlements stipulaient d’ailleurs qu’il s’agissait d’un syndicat d’ouvriers d’origine irlandaise. Il faut admettre que cette société a réussi à imposer ses règles: dès sa fondation, elle fixe le prix d’une journée de travail à 3 et 4 dollars, et c’est elle qui force les arrimeurs à prendre le nombre de débardeurs nécessaires pour charger ou décharger un bateau.
Vers le début des années 1860, un propriétaire, M. Dobell, décide de s’opposer aux ouvriers et engage des débardeurs qui ne font pas partie de la Société. Le lendemain, la grève générale dans le port de Québec est déclenchée et on empêche par la force les hommes de M. Dobell de continuer le transbordement des marchandises. M. Dobell résiste quatre semaines, les navires ne bougent pas et personne ne travaille… Après quatre semaines, Dobell rend les armes et invite la Société à envoyer ses propres ouvriers. Les ouvriers non-syndiqués sont renvoyés sans aucun salaire.
En 1876, la Société fait un pas de plus et décide de contrôler tout le travail dans le port de Québec, établissant un monopole. Sur la plupart des quais, on ne fait plus rien sans le consentement de la Société. On pourrait définir cela comme une lutte pour la cause ouvrière si la Société ne s’obstinait à engager que des Irlandais. Tout Canadien français ou anglais était mal vu dans le port et la Société s’opposait également à l’embauche de marins non-Irlandais par les compagnies de navigation. Et les autorités ne font rien par crainte de ce puissant syndicat ouvrier.
Alors, les débardeurs Canadiens français forment leur propre Société de bord. Le premier résultat en fut la réduction immédiate des salaires de 4 à 2$. Une échauffourée s’ensuit dans le centre-ville de Québec avec la participation de milliers d’Irlandais et de Canadiens français. Plusieurs sont armés de fusils ou de pistolets et on utilise même un canon à mitraille. Deux ouvriers perdent la vie et le nombre de blessés est considérable.
Après cette bataille malheureuse et honteuse pour les deux parties, pendant une dizaine d’années le cri «v’là les Irlandais!» suffit pour que les rues se vident. Les Canadiens français et les Irlandais vivent à couteaux tirés… Les charpentiers de Saint-Roch, armés des gournabes (un outil de charpentier), se rendent dans les quartiers irlandais de Fort Pick et du Cap-blanc pour en découdre. Les Irlandais paient ces visites de retour… Parfois, les hôpitaux de Québec sont pleins à craquer de blessés des deux camps. Une sorte de trêve est observée dans les chambres et les couloirs des institutions médicales.
Il fallut l’intervention du cardinal Taschereau, archevêque de Québec, pour mettre fin au conflit ethnique. Le cardinal Taschereau publie une lettre pastorale condamnant les injustices et menaçant de peines sévères tous les catholiques qui entravent par la force le travail d’un ouvrier. Les Irlandais et les francophones étant catholiques, cette lettre réussit à faire évoluer la situation.
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