De Gaulle au Québec en 1967
Le 23 juillet 1967, le général Charles de Gaulle débarque à l’Anse-au-Foulon. Souvenons-nous que 1967 marquait à la fois le centenaire de la Confédération, le 350e anniversaire de l’arrivée du premier colon, Louis Hébert, et le 325e anniversaire de la fondation de Montréal.
La visite du président de la France aura dans noter histoire des échos exceptionnels et divisera longtemps les politiciens québécois et canadiens. Les uns s’en féliciteront, les autres la regretteront amèrement. Encore aujourd’hui, on se demande ce que voulait exactement dire de Gaulle quand, du balcon de l’hôtel de ville de Montréal, il lança son fameux « Vive le Québec libre! »
Maurice Custeau et son ami Chrstian Viens sont les deux organisateurs de la venue du général à Montréal.. Le journaliste et biographe Pierre Godin rapporte que ce jour-là, assis confortablement au club Renaissance où ils sablent le champagne, le premier glisse au second : « Mission accomplie! Daniel voulait un show, il ‘a eu! »
En effet, c’est Daniel Johnson, le premier ministre du Québec, qui a peufiné la visite du président de la France et qui l’accompagne dans sa royale promenade. Et quelle promenade! Le général vient visiter les Québécois et pourtant c’est Roland Michener, gouverneur général du Canada, qui l’accueille sur le quai! Quelle ambiguïté! Hommes politiques, fonctionnaires et gens du peuple roucoulent déjà quand de Gaulle accoste à l’Anse-au-Foulon, au pied des plaines d’Abraham. Mais au moment où le célèbre visiteur, quittant le « Colbert », met pied à terre, la fanfare lance puissamment le God Save the Queen! Le peuple répond par des huées et se met à chanter La Marseillaise assez fort pour enterrer la fanfare. Quel début! La guerre des nerfs ne fait que commencer.
En fait, le général avait déjà annoncé ses couleurs. Dès le 9 décembre 1966, sept mois auparavant, il écrivait cette note : « Il n’est pas question que j’adresse un message au Canada pour célébrer son centenaire. Nous pouvons avoir de bonnes relations avec l’ensemble de l’actuel Canada, nous devons en avoir à féliciter ni les Canadiens ni nous-mêmes de la création d’un État fondé sur notre défaite d’autrefois et sur l’intégration d’une partie du peuple français dans un ensemble britannique. Au demeurant, cet ensemble est devenu bien précaire. »
Après les politesses d’usage à Michener, de Gaulle se tourne vers Johnson : « Monsieur le premier ministre, lui dit-il, c’est avec une immense joie que je suis chez vous, au Québec, au milieu des Canadiens français. » Et la visite débute. À la Citadelle, le président fleurit la tombe du général Vanier. C’est l’euphorie à l’hôtel de ville où la foule accueille le dignitaire, veut le toucher et boit ses paroles : « Cette fidélité, cette constance, aujourd’hui elles refleurissent. Elles refleurissent ici, dans cette capitale du Canada français. Elle relfurit à tous égards, de toute façon. »
À Sainte-Anne-de-Beaupré, le général est applaudi et les vivats fusent de partout. Après le déjeuner en plein air, il s’adresse à ses hôtes : « L’essentiel pour vous, c’est de rester vous-mêmes, de ne pas vous dissoudre, car dans L’hypothèse où vous vous laisseriez faire, cette valeur que vous avez, cet exemple que vous donnez auraient tôt fait de se diluer et de disparaître. Vous avez une tâche à remplir demain comme vous l’avez eue hier, comme vous l’avez aujourd’hui, une tâche qui est la vôtre, qui est à vous. »
Après une réception qu’il offre au nom de la France sur le « Colbert » (réception que le premier ministre Pearson, par ailleurs, a tout tenté pour faire annuler) et le dîner officiel au château Frontenac à l’issue duquel il insiste sur la survivance et l’autonomie du Québec, Charles de Gaulle s’engage le lendemain sur le Chemin du Roy dont le pavé s’orne de fleurs de lys peintes. À chacune des étapes, et tout au long du parcours, il portera son message.
À Donnacona, il évoque un Canada français responsable de sa destinée. « Cela, insiste-t-il, est indispensable, Aujourd’hui votre peuple canadien-français ne doit dépendre que de lui-même et c’est ce qui se passe, je le vois, je le sens. »
À Sainte-Anne-de-la-Péerade, il parle de l’âme du Canada français, l’âme du Québec, c’est-â-dire d’un pays, d’un peuple, d’un morceau du peuple français qui veut être lui-même, disposer de son destin. Vous serez ce que vous voulez être, c’est-à-dire maître de vous ».
À Louiseville, il lance : « Je vois, je sens, je sais qu’à Louiseville en particulier comme dans tout le Québec, dans tout le Canada français, une vague s’élève. Cette vague, c’est une vague de renouveau, c’est une vague de volonté pour que le peuple français du Canada prenne en main ses destinées! »
Berthier, Repentigny, Montréal… partout le même message. Et son « Vive le Québec libre! » aurait dépassé sa pensée? »
(Source : Marcel Tessier raconte, chroniques d’histoire, Éditions de l’homme, 2000. Tome 1).