Crise européenne – Une crise sociale générale
Crise européenne : Jusqu’à la fin du XIIIe siècle, les tensions sociales qui existent au sein de la société féodale prennent le plus souvent la forme de mouvements isolés, dans le cadre du village ou d’une communauté urbaine spécifique; ils visent à modifier la nature des relations entre le seigneur et un groupe de serfs, ou la réglementation fixant la place de chaque catégorie sociale dans la vie de la cité; il se règlent en général pacifiquement par la négociation, ou par procès, et non par l’insurrection armée ou des actes de violence désespérés.
Les troubles de 1358
Durant l’été éclate en France une double insurrection : le soulèvement parisien d’Étienne Marcel, et la Grande Jacquerie paysanne d’Île-de-France et de Normandie. Les deux mouvements ont des causes distinctes : à Paris, il s’agit d’imposer un pouvoir municipal bourgeois et de participer à la réforme des institutions et des finances publiques en l’absence du roi, prisonnier des Anglais depuis la défaite de Poitiers; dans les campagnes, il s’agit d’une révolte des victimes de la hausse des prix industriels, s’en prenant directement à l’aristocratie foncière, aux « gens des châteaux », qui ont perdu leur prestige dans les défaites militaires, mais qui s’accrochent à leurs privilèges économiques.
Les soulèvements européens
Mais, à partir des premières années du XIVe siècle, on assiste à des soulèvements violents, dans les villes et dans les campagnes, qui prennent même parfois l’aspect d’une guerre de classes. C’est le cas en Italie du Nord, où les forces « hérétiques de Fra Dolcino sont écrasés en 1307 par une armée de croisés défendant les intérêts des propriétaires terriens; une autre insurrection éclatera en 1318, à Castoprignano. Puis les grandes villes sont touchées par des troubles : soulèvements à Venise touchée par la famine (1343-47), à Rome et à Sienne (1347). C’est aussi le cas en Flandre, quand en 1323, les paysans s’allient aux milices urbaines de Bruges et d’Ypres, pour combattre le comte de Flandre soutenu par le roi de France; cela conduit à la bataille de Cassel (1328) où l’armée féodale conduite par Philippe VI de Valois écrase celle du petit peuple flamand commandé par un propriétaire paysan, Nicolas Zannequin. Ces événements font suite aux batailles de Coutrai en 1302 (où l’armée du comte d’Artois a été écrasée par les milices de Bruges et de Gand, et a laissé sur le terrain « 4 mille éperons d’or ») et de Mons-en-Pévèle, où Philippe le Bel a pris sa revanche sur les Flamands (1304).
Les troubles en France
En France même, une nouvelle croisade des Pastoraux a lieu en 1320 : elle jette sur les routes des bandes de jeunes pauvres, dont les motivations religieuses passeront vite au second plan; les exactions qu’ils commettent pour survivre et l’absence de perspective à leur mouvement les transforment en bandits de grands chemins.
Peu de temps après les événements de 1358 se produisent en Auvergne et en Languedoc des soulèvements d’artisans, se révoltant contre les charges qui pèsent sur eux, alors qu’ils subissent les exactions des routiers anglais. Le mouvement prend, comme en Île-de-France, une dimension antinobiliaire : des châteaux sont brûles, des nobles et des riches massacrés. L’insurrection gagne le Limousin, le Poitou, la région de Toulouse, et des nobles prennent parfois le commandement des bataillons de paysans et artisans révoltés. En 1382 le duc de Berry écrase ceux qu’on avait surnommées les Tuchins, et le Languedoc tout entier doit payer une forte amende.
Si les dernières années du siècle sont plus paisibles, la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons (1411) puis la reprise de la guerre franco-anglaise prennent le relais de la crise économique et sociale.
L’Europe bouge, les rapports sociaux se tendent; quand la guerre extérieure est là, elle accroît les déséquilibres et attise les conflits internes qui prennent à leur tour une forme violente allant jusqu’à la guerre civile. Les crises économiques et politiques deviennent indissociables.
Une crise européenne
D’autres troubles, émeutes ou insurrections, se produisent d’une façon simultanée en Europe après la nouvelle épidémie de peste de 1375 : en 1378 à Nîmes et au Puy, à Dantzig et à Florence (révolte des Ciampi); en 1379, à Gand, à Montpellier, à Aubenas, à Alès; en 1380, en Flandre (Bruges et Gand), à Paris, Saint-Quentin, Compiègne, Laon; en 1381 à Gand, à Béziers, et surtout en Angleterre (grande insurrection des travailleurs en Essex, dans le Kent, à Canterbury et à Londres); en 1382, à Florence (défaite des Ciompi), à Amiens, en Normandie, à Paris (révolte antifiscale des Maillotins réprimée l’année suivante); en 1383 à Rouen et en Flandre.
La crise de la seigneurie foncière
La seigneurie foncière ne bénéficie pas non plus, et pour les mêmes raisons, des hausses ponctuelles des prix agricoles. Elle connaît au contraire une crise tendancielle de ses revenus.
Les besoins seigneuriaux
En effet, avant même que ne s’inverse le mouvement du prix des céréales, le pouvoir d’achat de la rente seigneuriale a commencé à baisser en raison de la hausse du prix des éléments du train de vie ordinaire de l’aristocratie foncière (habits, armes, produits artisanaux, ou services salariés), alors que la coutume a fixé une fois pour toutes le montant des prélèvements en nature ou en argent, dus aux propriétaires du sol. De plus, le montant considérable des dépenses de construction ou d’embellissement des demeures seigneuriales a provoqué un énorme besoin d’argent qui a poussé de nombreux seigneurs à affranchir leurs serfs, ce qui diminue d’autant les revenus futurs. De même, les dons de terres aux monastères ou à l’Église ont réduit l’importance de leurs possessions.
La crise des revenues
La crise des revenues seigneuriaux va donc s’aggraver quand se conjugueront la baisse de certains prix agricoles et la hausse des coûts et des autres prix : c’est le cas de celui du bétail qui progresse de 60 points entre 1351 – 1375 et 1376 – 1400, ou de celui du vin. C’est aussi et surtout le cas du prix des produits non agricoles (textile, matériaux de construction) et des salaires. Les conséquences en sont claires : l’élevage et la vigne s’étendent au détriment de la culture des céréales, la rente foncière des propriétaires de terre à blé, comme les revenus des paysans qui le cultivent, diminuent, et leur pouvoir d’achat en autres denrées baisse sensiblement. Inversement, ceux qui peuvent et qui veulent reconvertir leur exploitation ainsi que les artisans et les salariés voient leurs revenus et leur pouvoir d’achat augmenter, tout au moins en dehors des périodes de mauvaise récolte, de destruction ou de marasme des affaires provoqués par la guerre.
En effet, ceux qui ont survécu aux épidémies et aux guerres, peuvent, durant les périodes de paix, monnayer dans de bien meilleures conditions leur force de travail, ou obtenir une terre à cultiver contre un loyer réduit : ainsi, en réduisant d’environ un tiers la population européenne, et par la même les surfaces exploitées, l’épidémie de peste de 1348 aura bouleversé le monde féodal, en faisant de la terre un bien abondant, et de la main-d’œuvre un facteur de production recherché.
Les nouvelles routes
Les nouveaux axes commerciaux vont pénaliser la France. Ainsi, l’ouverture des routes alpestres, par le Saint-Gothard, le Simplon et le Brenner permettent au début du XIVe siècle la liaison directe entre l’Italie et les villes suisses, bourguignonnes, allemandes et autrichiennes : la route du Rhône perdra de son importance, les grandes foires se déplaceront vers l’Est, au détriment de celles de Champagne. D’autre part, une route maritime entre les ports italiens, Bruges et Londres devient régulière vers 1320 (la mer est plus sûre et sans péages). Bruges, ville de la Hanse, devient le grand carrefour commercial entre la Baltique et le proche Orient, via l’Italie, alors que les laines anglaises peuvent fournir plus facilement les ateliers italiens.
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