Le cas de Cordélia Poirier
«Y’a pas que des saints à Saint-Canut !»
Saint-Canut, à l’aube du 22 novembre 1897, Cordélia Poirier, née Viau, rentre chez elle de retour d’un voyage à Saint-Jérôme. N’ayant pas ses clés, elle frappe à la porte de son domicile sur la rue Principale. Son mari doit encore dormir… Elle frappe de plus en plus fort, sans aucun résultat. Cordélia s’adresse alors à son voisin, M. Bouvrette, qui s’introduit par une fenêtre à sa demande. Quelques secondes plus tard, il ressort horrifié: Isidore, le mari de Mme Poirier, est bien dans sa chambre, mais il est mort ! Oui, il est mort Isidore !!! La gorge tranchée et un bras transpercé d’un coup de couteau de boucher. Quelques meubles sont cassés et une bouteille de whisky vide se trouve près du corps.
Une demi-heure plus tard, la population de Saint-Canut est réveillée. La foule se précipite sur les lieux du crime et les autorités municipales postent des gardes pour empêcher les badauds de pénétrer dans la maison.
Cependant, les fins psychologues de la ville remarquent un fait bizarre. Cordélia ne semble pas tellement affligée par les évènements. Elle va d’ailleurs, le jour même, jouer de l’harmonium à l’église pour un mariage. Et elle raconte à qui veut l’entendre que son mari vient de se suicider.
*
L’ensemble du village de Saint-Canut est au courant que, depuis un certain temps, le ménage Poirier «branlait dans le manche». Cordélia a même eu une liaison avec un journalier alors que son mari était parti en voyage en Californie.
La rumeur publique se propage. On commence à gratifier feu M. Poirier de toutes les vertus. On parle aussi d’une assurance contractée par la victime pour la somme de 2 mille dollars au bénéfice de sa femme.
Et la chère Cordélia, sans montrer la moindre affliction, continue à dire pis que pendre de son défunt mari. De plus, elle refuse d’aller voir le corps et achète un cercueil bon marché.
C’est le comble! Trois jours après le début de l’enquête, Cordélia Poirier est arrêtée ainsi que son amant, le journalier Sam Parslow. On les emmène à la prison de Sainte-Scholastique, où les enquêteurs arrachent des aveux à la veuve: «c’est Sam Parslow qui a fait le coup». Puis, la dame change de version, se contredit…
*
Tout le Canada suit avec passion ce drame. Le jour du jugement arrive, la salle est pleine à craquer et les dames de la haute société québécoise sont au premier rang (du moins, celles qui ont pu trouver une place dans la salle).
L’avocat de Sam Parslow clame que son client est victime de la perfidie de cette femme diabolique. (Suite à sa performance lors du procès, on élira Maître Calixte Éthier député libéral). Apparemment moins inspiré, Maître Leduc, avocat de Cordélia, contredit sa cliente en rejetant ses aveux et en plaidant le suicide du mari. Enfin, le juge Taschereau, décontenancé mais éloquent, fait ses recommandations au jury dans un discours de quatre heures!
La décision est unanime. Reconnus coupables, la Justice les condamne à la pendaison. La sentence s’exécute le 28 avril 1900.