Conspiration de silence sur les résultats des voyages
La répugnance des gouvernements à publier des renseignements susceptibles d’aider les marins des autres nations ralentissait de surcroît les progrès des connaissances maritimes. Cette politique du secret permettait aussi aux gouvernements de maintenir sous leur tutelle financière les activités des armateurs, désireux de commencer avec les terres nouvellement découvertes. Elle avait été inaugurée par Jean II, roi du Portugal à l’époque d’Henri le Navigateur. Il décréta que la peine de mort s’appliquerait aux actes de trahison relatifs aux découvertes.
Tôt ou tard, tout ou partie des détails d’une exploration n’en transpirait pas moins. Pilotes et capitaines servaient successivement sous divers pavillons et chacun apportait avec soi son bagage de connaissances. Comme le font toujours les marins et les négociants sur une terre étrangère, les voyageurs frayaient entre eux dans les ports. De plus, les cartes étaient l’objet d’un trafic clandestin permanent. Celle de Cantino (1502), le premier document à retracer les voyages des Portugais, fut ainsi transmise en secret par Albert Cantino au duc de Ferrare. Comme tous les autres princes italiens, le duc était conscient de la menace que constituait, pour le contrôle italien du commerce des épices, la circumnavigation de l’Afrique réalisée par Vasco de Gama.
Vers la fin du XVIe siècle, les effets de cette conspiration du silence commençaient à s’atténuer, en particulier grâce à l’action de Richard Hakluyt, un géographe et clergyman anglais qui recueillit et publia des récits de voyage ainsi que des instructions détaillées concernant la navigation en divers points du globe. Bien que sincèrement désireux de répandre ces connaissances, il souhaitait intéresser se compatriotes à la glorieuse expansion outre-mer.
Hakluyt réunissait infatigablement les informations maritimes et tirait un excellent parti des archives que les capitaines avaient ordre de tenir. Arthur Pet et Charles Jackman, par exemple, avant d’appareiller en 1580 à la recherche d’un passage par le nord-est pour atteindre la Chine, reçurent les instructions suivantes : « En vue d’une terre ou d’une côte quelconque… relevez-la au compas de route, notez la distance estimée à laquelle elle se trouve, consignez des voues de côte dans votre livre ». Ces observations devaient être répétées à divers relèvements et comportaient aussi des descriptions des points remarquables, à la suite de quoi « vous leur choisirez des noms à votre guise ».
En cas de descente à terre, il leur était prescrit de consigner des descriptions détaillées du pays, de ses produits, des indigènes et de voir dans quelle mesure les marchandises anglaises les intéressaient. Avant le départ de l’expédition, son chef réunissait le commandant du navire amiral, ses capitaines et les pilotes, afin, de leur fixer des ordres de route. On enjoignait à ces officiers de tenir un journal de bord détaillé, d’observer régulièrement le soleil, la Polaire, la Croix du Sud, de veiller à la célébration des offices religieux, d’interdire le jeu. Sébastien Cabot, par exemple, prescrit de prohiber l’emploi des jurons, « des propos licencieux, des histoires pornographiques, des blasphèmes ». À moins que le marin d’aujourd’hui ne soit très différent de celui de l’époque, ces ordres ne devaient pas être pris au pied de la lettre.
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