La conquête des Grands Lacs par les missionnaires canadiens
Aucune époque de l’histoire missionnaire n’est plus illustre, peut-être
« La conquête des Grands Lacs par les missionnaires, tel était, hier soir, le sujet de la seconde causerie de l’abbé Groulx. Il en a parlé avec une abondance de détails, de faits et de dates qui font assez voir toute l’étendue de ces connaissances en la matière. En voici un bref résumé.
Très tôt, la région des Grands Lacs a exercé une singulière fascination sur les missionnaires. Dès 1655, ils rêvent d’aller porter la foi à la baie des Puants et dans toute la région du lac Supérieur, et en 1656 les Pères Gareau et Brouillette entreprennent le voyage au cours duquel le Père Gareau devait mourir, tué par un Indien.
En 1660, un autre missionnaire, qui se place parmi les plus grands, le Père René Ménard, devait tenter la même aventure. Partout où il a passé, il a fait preuve de dons admirables, et dix ans après son passage, on a rencontré des chrétiens qui n’avaient pas oublié leurs prières.
Avant son départ, il écrivait à des amis : « Dans trois ou quatre mois, vous pourrez me compter pour mort, vu les habitudes féroces des peuplades parmi lesquelles je m’en vais et ma faible constitution. ». Allait-il tomber dans un milieu favorable ? Non. Au contraire, les sauvages qu’il rencontra possédaient tous les caractères de la barbarie la plus basse et la plus abjecte.
Il réussit pourtant à y former une petite Église où se trouvaient en majorité, des vieillards, des femmes et des enfants. Des Hurons l’ayant prié de venir à leur mission, il entreprit le long voyage qui devait lui coûter la vie. Il disparut mystérieusement et on ne sait pas s’il est mort de faim, s’il a été mangé par les animaux sauvages ou assassiné par les Indiens. C’est un martyre digne des Brébeuf et des Lallemand.
On remarque que souvent l’abondance de la pêche va déterminer l’emplacement des missions autour des lacs. À son tour, le Père Alloués va s’établir sur la rive sud du lac Supérieur, non loin de l’endroit où il il avait bâti sa cabane, quelques années avant. Il y mène une vie très dure et très austère, se nourrissant d’arêtes broyées et de tripes de roches ». En 1667, l’infatigable Allouès se rend jusqu’au lac Nippigon, mais c’était là une conquête prématurée. En 1668, il fonde la mission Ste-Marie que deviendra la capitale des missions, à cause de sa position particulièrement avantageuse et de sa richesse en poisson et en gibier de toute sorte. On y construit un fort, des maisons, une chapelle, on y cultive des champs de maïs et bientôt Ste-Marie a l’aire d’une ruche bourdonnante.
Les voyageurs y viennent de partout. Les conversions sont rares cependant. Chacun y adore le soleil ou le tonnerre, ou même sa propre divinité qu’il a fait surgir de son rêve, étant enfant, et dont il porte l’image tatouée sur son corps. Lors de son voyage, le Père Marquette s’était dirigé vers Michilimakinac, cette petite île qui, placée à la rencontre des lacs Huron et Michigan, commande ces mers intérieures.
Elle constituait si bien un point stratégique que le commandant en chef des Pays d’en Haut la choisit, plus tard, comme résidence. La baie des Puants ou baie Verte est un vrai paradis pour les chasseurs et les pêcheurs. En plus, il y pousse des fruits sauvages en abondance. C’est un pays merveilleux, aux prairies vertes et mamelonnées à travers lesquelles coule une rivière paisible. On y rencontre de nombreux troupeaux de vaches sauvages, et c’est ainsi pendant vingt lieux. Le Père André demeura sur les bords du lac, cependant que le Père Allouès s’enfonçait dans les terres, et là, il se taille de la besogne pour dix missionnaires. Mais les sauvages de la tribu pour laquelle il se dépense sans compter, sont très fiers et méprisent la prière, et la tiennent bonne tout au plus plus pour les femmes et les enfants.
Peu de vocations furent plus précoces et plus fortes que cette du Père Marquette, le héros des missions, l’apôtre des Illinois. À 17 ans, il entre chez les Jésuites, et il n’a pas encore 30 ans quand il s’embarque pour le Canada, « l’âme tendue au vent comme le voilier qui l’emportait ». Il avait une tendance à brûler les étapes. En 1669, il fit son noviciat missionnaire dans une des missions les plus dures au lac Supérieur. Il apprit très vite les langues indiennes et il les parlait avec facilité Tous ceux qui l’approchaient étaient conquis par sa mine virile et le charme qui se dégageait de toute sa personne. C’était le modèle du parfait missionnaire, doué qu’il était d’une piété angélique et d’une foi ardente.
Il arrive chez les Illinois le 25 octobre 1674, et, après Pâques, commence le retour du missionnaire déjà marqué pour la mort. C’est en vain qu’il tentera d’atteindre Michilimakinac : la mort le surprendra en chemin. Le 17 mai 1675, il mourut, à l’âge de 38 ans, il fut inhumé sur le bord d’une rivière déserte et solitaire. Le modeste jésuite est devenu depuis une des plus pures gloires de l’Amérique. Comme on le voit, les missionnaires n’ont pas trahi leur tâche par pauvreté d’âme. Le Père Allouès disait des missionnaires au Canada : « Il faut qu’ils soient morts au monde et qu’ils désirent plus la conversion d’un sauvage qu’un empire » » Tous ont été d’héroïques souffrants. Ils vivaient du travail de leurs mains et ne comptaient pas leurs peines.
Partout ils se sont heurtés à un paganisme profond, à des mœurs crapuleuses et à une débauche effrénée. Les sauvages de ces régions adoraient quelques idoles, mais ils n’avaient aucune notion d’un Dieu spirituel.
Un peu partout surgirent des croix, des églises et des chapelles et presque tout le pays portait le signe extérieur de la foi. On peut se demander si une autre période soutient la comparaison avec celle-ci. On n’y rencontre point de martyres éclatants, mais tous ces évangélisateurs endurèrent un martyre quotidien des plus méritoires.
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