Conquête de Québec : Les premières résistances
Ce fut une cérémonie sans faste qui se déroula le 16 mars 1766 dans la petite église de Suresnes, village d’Île-de-France aux maisons étagées à flanc de couteau entre la Seine et le Mont Valérien, à une lieue de Paris. Et pourtant, il s’agissait d’un sacré épiscopal, mais un sacré discret et en somme caché : celui du nouvel évêque de Québec. Depuis six ans déjà, les Anglais étaient maîtres du Canada, et depuis le 10 août 1764 ils avaient doté leur conquête d’une administration civile, sous l’autorité du général James Murray.
Le traité de Paris, par lequel la France perdait à jamais ses territoires dans l’Amérique du Nord, sauf les îles Saint-Pierre et Miquelon, stipulait que « Sa Majesté britannique convient d’accorder aux habitants du Canada la liberté de la religion catholique ; en conséquence, elle donnera les ordres les plus précis et les plus effectifs, pour que ses nouveaux sujets catholiques romains puissent professer le culte de leur religion selon le rite de l’Église romaine… » mais il ajoutait aussitôt : « En tant que le permettent les lois de la Grande-Bretagne », terrible restriction qui annulait en fait une déclaration aux allures si formelles.
A ces soixante-dix mille paysans français, disséminés de Tadoussac à Frontenac, livrés sans défense aux autorités anglaises, n’ayant plus pour chefs que quelques seigneurs, officiers de milice, et les curés de leurs villages, deux choses seules importaient pour rester eux-mêmes : la religion catholique et a langue française, qu’ils tenaient de leurs ancêtres. Or le secret désir des vainqueurs était bien, en définitive, de les assimiler, comme ne le prouvent que trop ces instructions du roi George III à Murray en date du 7 décembre 1763 : « Vous ne devez admettre aucune juridiction ecclésiastique émanant du siège de Rome ni aucune juridiction ecclésiastique étrangère dans la province confiée à votre gouvernement. Et enfin de parvenir à établir l’Église anglicane, tant en principe qu’en pratique, et que les dits habitants puissent être graduellement induits à embrasser la religion protestante et à élever leurs enfants dans les principes de cette religion.
Nous déclarons par les présentes que c’est Notre intention… que tout l’encouragement possible soit donné à la construction d’écoles protestantes… et vous devrez vous enquérir et Nous informer… par quels autres moyens la religion protestante pourra être favorisée, établie et encouragée dans Notre dite province confiée à votre gouvernement. » (D’après Histoire du Canada par les Textes, par M. Brunet, G. Frégault et M. Trudel, Montréal 1956.)
Or Monseigneur de Pontbriand, évêque de Québec, mort à Montréal le 8 juin 1760, n’avait pu être remplacé. Trois vicaires généraux administraient provisoirement le diocèse.
Après maintes démarches, James Murray finit par donner son agrément à la candidature de l’abbé Jean-Olivier Briand, vicaire général de Québec, sans aucunement préjuger de la décision du roi.
À l’automne de 1764, l’abbé Briand partit pour Londres ; il y passa près d’un an et demi, et, en bon Breton têtu, arriva à vaincre les oppositions et les répugnances.
Il se fit admettre, non comme évêque, ce qu’on lui refusa absolument, mais comme supérieur majeur de l’Église du Canada.
Le nouveau prélat, après être passé par Suresnes, débarqua à Québec le 28 juin 1766 à minuit. À cinq heures du matin toutes les cloches de la ville se mirent à carillonner pour annoncer son arrivée, « ce qui causa une si grande satisfaction à tous les Canadiens, qu’on en vit plusieurs pleurer de joie. C’était quelque chose de touchant de les voir se féliciter les uns les autres partout ou ils se rencontraient, et se dire sans cesse : « C’est donc bien vrai, nous avons un évêque ! Dieu a eu pitié de nous. » (La Gazette de Québec, premier journal canadien bilingue, fondé en 1764 par les Écossais William Brown et Thomas Gilmore.
Les Français au Canada (du Golfe Saint-Laurent aux Montagnes-Rocheuses, par Cerbelaud Salagnac, Éditions France-Empire, 68, rue Jean-Jacques Rousseau – Paris (1er), 1963.
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