Le combat de la bicoque et la fin de la guerre iroquoise
La furieuse attaque contre l’Hôtel-Dieu, par plus de deux cents ennemis, trahissait les intentions évidentes des Iroquois de frapper sur Ville-Marie de grands coups.
Le péril sauvage se faisait donc de plus en plus menaçant. On en eut une nouvelle preuve dans le combat qui eut lieu le 14 octobre 1652, à la bicoque, située à quelques arpents du fort. Ce jour-là, les chiens, comme d’habitude, décelèrent par leurs aboiements la présence des ennemis dans les bois environnants.
M. d’Aillebout des Musseaux, qui commandait à Montréal, durant l’absence du gouverneur, envoya Lambert Closse avec vingt-quatre hommes à la découverte des sinistres maraudeurs. Etienne Thibault dit La Lochetière, un nommé Baston et un autre soldat prirent les devants en éclaireurs. La Lochetière, monté dans un arbre pour découvrir les caches iroquoises, s’aperçoit avec stupeur qu’il est tombé au beau milieu d’un vrai guêpier de peaux-rouges. À ce moment, il voit qu’un sauvage le couche en joue et va l’abattre.
Épaulant à l’instant son arquebuse, il fait feu sur l’indigène pour prévenir son dessein; mais les deux décharges se croisent et tuent en même temps le Français et l’Iroquois.
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À ce moment, Baston réussit à gagner une chétive maison de terre qu’on appelait la bicoque, où Louis Prud’homme venait de se réfugier. Ce dernier, voyant le danger où se trouvaient ses compatriotes d’être encerclés et faits prisonniers par une bande de deux cents ennemis sortant de partout, crie au major et aux siens de se retirer au plus vite, car ils étaient assaillis de tous côtés. Mais le brave Closse, au lieu de fuir, commanda à ses gens de se percer à tout prix un chemin à travers la nuée de barbares pour pénétrer dans le méchant réduit; ce qui est tout de suite exécuté avec succès. Les murs croulants de la vieille masure sont alors percés de meurtrières, d’où l’on pourra faire grand feu sur l’ennemi, dispersé dans les broussailles.
Les sauvages, émergeant de partout, se portent aussitôt à l’attaque de ce fort improvisé; mais leurs balles vont se perdre dans la boue séchée de la bicoque.
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Les Français ripostent avec vigueur et leurs décharges meurtrières font chaque fois des trouées dans cette forêt craignant sans cloute la venue de nouveaux renforts, se décident enfin de retraiter, emportant leurs morts et leurs blessés. L’ennemi avoua dans la suite qu’il avait chez lui trente-sept guerriers, estropiés dans cette action.
M. de Belmont, dans son « Histoire de Montréal », affirme que vingt sauvages avaient été tués. Les Français n’avaient eu qu’un homme de tué, le soldat Etienne Thibault dit La Lochetière, et un autre gravement blessé, un nommé Laviolette.
Lambert Closse, que cette journée mémorable met en belle évidence dans l’histoire, nous paraît être la plus grande figure militaire de cette époque.
Fin de la guerre iroquoise
Au mois de juin 1653, soixante délégués des tribus sauvages Onnontagués et Onneiouts descendaient à Montréal pour faire la paix avec les Français.
L’on s’imagine bien que des propositions aussi opportunes furent reçues avec faveur. Malheureusement trois des cinq nations iroquoises, celle des Agniers surtout, n’étaient pas représentées dans ces pourparlers de paix.
Elles conservaient toujours leur indépendance farouche et leurs belliqueuses dispositions. En effet, quelque temps après six cents guerriers étaient signalés, maraudant dans les bois aux alentours de Ville-Marie et menaçant la ville d’une complète destruction. On ne connaît cependant aucun détail de cette attaque de six cents sauvages, repoussés, dit-on, par une cinquantaine de Français en état de porter les armes. Nous croyons plutôt que cette petite armée des ennemis n’a fait que passer devant Montréal et que son objectif réel était le bourg des Trois-Rivières, où les Iroquois vers ce temps-là frappèrent de vilains coups.
Ville-Marie ne fut pourtant pas tout à fait négligée par ces barbares. On en surprenait souvent dans les bois, guettant l’occasion de tenter un coup de main contre des colons occupés aux travaux des champs. Un jour, un parti de Hurons prévinrent leurs mauvais desseins au moment même qu’ils allaient exécuter leurs sauvages manigances. On fit prisonniers cinq des chefs iroquois. On les mit dans les fers au fort de Ville-Marie. La prise était bonne et opportune.
* Combat de la bicoque
M. des Musseaux, gouverneur intérimaire, sur l’avis des notables de la ville, décida d’en profiter pour faire des ouvertures de paix aux ennemis. II proposa donc au grand chef huron d’aller parlementer en son nom avec les Agniers, réunis en grand nombre aux TroisRivières; et le brave Annontaha accepta volontiers cette dangereuse mission. Il descend en canot avec quelques compagnons seulement, et, d’aussi loin qu’il peut se faire entendre des Iroquois, il leur crie d’une voix assurée et convaincue: ((Ne vous avisez pas de faire de mal aux Français; je viens de Montréal, nous y avons pris plusieurs de vos capitaines, que vous y aviez envoyés. Ils sont maintenant à notre discrétion, et si vous voulez leur sauver la vie, il faut faire la paix.
Les barbares entendirent favorablement ce fier langage. Ainsi l’audace subjuguait plus sûrement que la diplomatie. Ils répondirent sans plus délibérer qu’ils feraient volontiers la paix à la condition que l’on leur rende leurs chefs. Les pourparlers de la paix se poursuivirent à Québec et l’échange des prisonniers de guerre se fit à la conclusion de la paix définitive.
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M. des Musseaux, opportunément servi par les circonstances et habilement secondé par l’énergique démarche du vaillant chef huron, termina six années de guerre, à l’heure où l’on peut dire que toute la colonie française paraissait devoir sombrer sous la vague montante de la férocité iroquoise.
Que faisait tout ce temps le gouvernement de Québec pour aider Montréal à soutenir la lutte contre l’ennemi commun ? On ne constate malheureusement aucune intervention opportune, aucun secours en hommes ou en argent, aucun encouragement quelconque. de la part du pouvoir central ou des personnages influents. Québec est trop loin pour entendre les coups de fusil et pour voir tomber les victimes de sa propre défense. Comment pourrait-il s’en émouvoir ? Aussi bien laissa-t-on Ville-Marie supporter seule et avec ses seuls moyens les furieuses attaques des Iroquois. L’on sait que Ville-Marie se défendit d’héroïque façon.
* Combat de la bicoque
Si l’on savait se battre à Montréal, on mesquinait à Québec. Le gouverneur d’alors nous apparaît comme une synthèse vivante et parfaite de l’égoïsme général de ce temps.
Le 17 janvier 1651, l’administration remplaça M. d’Aillebout de Coulonge par le secrétaire général de la Compagnie des Cent-Associés, M. Jean de Lauson. Ce brave homme ne paraît avoir eu toute sa vie qu’une seule ambition. Celle d’établir ici sa famille sur de vastes domaines. Entre autres seigneuries, il s’était fait donner celle de la Citière, s’étendant de la Prairie de la Madeleine aux terres de Nicolet. Soit plus de soixante milles de front sur le fleuve Saint-Laurent.
Dès son arrivée, M. de Lauson s’employa à annuler ce que M. d’Aillebout avait pu faire d’avantageux pour Ville-Marie. Il réduisit les appointements du gouverneur de cette ville à 3000 livres et augmenta les siens de 2000. Ainsi il porta ceux du gouverneur des Trois-Rivières à 5000 livres. Dans le même temps le Conseil de Québec accordait des pensions sur les fonds d’État aux Dames Ursulines, aux sœurs Hospitalières, aux pères Jésuites, à la fabrique de Québec, au chirurgien, au boulanger et à d’autres encore, ce qui était très bien.
On crut être généreux envers Montréal en lui consentant alors une gratification de 400 livres. Soit $80.00 du cours actuel. En effet, cela pour l’entretien et la garde du magasin de la Compagnie des Habitants. Le bon gouverneur n’avait trouvé que cette gâterie pour Ville-Marie, qui connut, dans ces temps d’égoïsme et de jalousie, toutes les angoisses de l’abandon et de l’isolement.