Combat de rencontre entre les Amérindiens que sont en guerre
Le sieur de Champlain, suivi de quelques autres Français, ayant accompagné les Sauvages algonquins et montagnais, qui allaient en guerre contre les Iroquois, nous a laissé la description d’une de ces rencontres, laquelle peut faire sentir qu’ils ont de la valeur, et même une certaine noblesse de courage, dont on se ferait honneur en Europe. Voici ce que j’ai recueilli de sa narration que j’ai un peu abrégée.
Champlain et sa troupe s’étant embarqués sur le lac, qu’on a depuis appelé de son nom le lac de Champlain, et continuant leur route en silence, et sans faire de bruit, ils virent sur les dix heures du soir, à la pointe d’un cap, déborder les Iroquois, qui venaient aussi en guerre de leur côté (Samuel de Champlain, Les Voyages de la Nouvelle-France occidentale, dicte Canada, III, 9, Paris 1632, p. 149. et s.) Dès que les deux partis se furent aperçus, on jeta de part et d’autre de grands cris, et chacun se prépara au combat. Les Iroquois mirent pied à terre, rangèrent tous leurs canots sur le rivage, pour être en état de se rembarquer en cas de besoin; et ayant abattu du bois avec leurs haches, ils barricadèrent fort bien. Les autres de leur côté se mirent à la portée d’un trait de flèche de la barricade de leurs ennemis, serrèrent leur canots au large les uns contre les autres, les attachèrent avec des piquets, et se mirent en état de se battre.
Dès que ceux-ci furent en ordre, ils détachèrent deux canots avec des hérauts pour aller offrir le combat aux Iroquois, qui l’acceptèrent avec joie; mais pour le lendemains seulement, disant qu’il n’y avait pad d’apparence qu’ils pussent le commencer dans l’obscurité de la nuit, laquelle ensevelirait leurs belles actions; qu’il fallait attendre le jour pour se reconnaître, et qu’au moment que le Soleil se montrerait sur l’horizon ils iraient leur livrer la bataille. Après cette réponse qui fut agréée, les deux canots rejoignirent le gros de leur petite armée, et de part et de l’autre la nuit se passa à chanter des chansons de mort: à vanter ses hauts faits, et ceux de la nation, et à dire, selon la coutume, bien des choses méprisantes pour ses ennemis, dont chaque parti se promettait une victoire aisée.
Le jour étant venu, les Iroquois sortirent de leur fort au nombre de près de deux cents hommes, marchant au petit pas en ordre de bataille, avec une gravité et une contenance lacédémonienne, dont le sieur de Champlain fut fort content. Ils avaient trois chefs à leur tête, qui avaient trois grands pennages pour se distinguer dans l’action. Ceux du parti contraire, qui avaient débarqué, se rangèrent dans le même ordre. Champlain s’étant avancé, les Iroquois firent halte pour se remettre de leur surprise, et après avoir contemplé un moment, ils s’ébranlèrent pour décocher leurs flèches, et l’action commença de bonne grâce. Elle aurait continué de la même manière, mais Champlain ayant tué deux des chefs iroquois du premier coup d’arquebuse qu’il tire; un autre Français ayant aussi tiré en même temps de dedans le bois, l’effet inopiné de ces armes à feu, qui étaient nouvelles pour ces barbares, les déconcerta; ils ne disputèrent pas la victoire, que sans cela ils auraient peut-être remportée. Il abandonnèrent le champ de bataille et leurs retranchements; ils se sauvèrent dans les bois, où leurs ennemis les poursuivirent, en tuèrent plusieurs, firent quelques prisonniers, et le reste se sauva comme il put.
Dans ces sortes d’occasions, leur petit nombre leur permet assez de s’attacher, pour ainsi parler, corps à corps, et de battre comme en duel, ainsi que faisaient les héros de l’Iliade et de l’Enéide. Ils se connaissent assez souvent et se parlent. Ils se demandent des nouvelles, se haranguent et ne s’assomment point sans s’être fait auparavant quelque compliment, pareil à ceux que Virgile fait faire à son Enée.
Quoique les Sauvages soient faits à se battre dans les bois, et courant d’arbre en arbre, ils ne laissent pas de comporter fort bien en plaine et à découvert. Ils ont même entre eux une manière d’exercice pour faire leur évolutions militaires, qui fait voir qu’ils ne combattent point à la débandade, et qu’ils savent garder leurs rangs. Champlain nous en donne aussi cette description :
« Les chefs, dit-il, prennent des bâtons de la longueur d’un pied, autant en nombre qu’ils sont, et signalent par d’autres un peu plus grands leurs chefs, puis vont dans les bois, et déblaient un espace de cinq ou six pieds, en carré, où le chef, comme sergent-major, met par ordre tous ces bâtons, comme bon lui semble, puis appelle tous ses compagnons qui viennent tous armés, et leur montre le rang et l’ordre qu’ils devront tenir lorsqu’ils se battront avec leurs ennemis, ce que tous ces Sauvages regardent attentivement, remarquant la figure que leur chef à faite avec ces bâtons, et après se retirent de là, et commencent à se mettre en ordre, ainsi qu’ils ont vu lesdits bâtons; puis se mêlent les uns parmi les autres, et retournent derechef en leur ordre, continuant deux ou trois fois; et font ainsi à tous leurs logements, sans leurs rangs, qu’ils savent fort bien garder sans se mettre en confusion. Voilà la règle qu’ils tiennent en leur guerre ».
(Tiré du Mœurs des Sauvages Américains, comparés aux mœurs des premiers temps, par Joseph-François Lafitau).
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