Le code criminel en Nouvelle-France
Le code criminel qui régit la vie des premiers Québécois, durant le régime français, demeure le même qu’en France : « Les colons canadiens, au XVIIIe siècle, sont soumis à la Grande Ordonnance criminelle de 1670 » (André Lachance, La Justice criminelle du roi au Canada au XVIIIe siècle, Québec, P.U.L., 1978, p. 187).
En 1750, l’avocat Guy du Rousseaud de la Combe publie un ouvrage portant spécifiquement sur cette fameuse ordonnance dictée par le roi Louis XIV. Le document s’intitule Traité des matières criminelles suivant l’Ordonnance du mois d’août 1670. Voici donc un aperçu des infractions criminelles du temps. La définition de chaque crime est une citation extraite du texte du juriste Rousseaud :
L’adultère
L’adultère, considéré en lui-même, est un grand crime; respectivement à la société civile, il est des plus mauvais et des plus funestes, soit à cause de l’injure faite au mari, soit à cause de l’injustice qui est faite aux héritiers légitimes. Le lien conjugal a toujours été regardé comme un bien indissoluble institué de Droit divin et élevé à la dignité de sacrement dans le christianisme.
Quant à la femme reconnue coupable d’adultère. On l’enferme pour une période de deux ans dans un couvent ou dans un hôpital. Le choix du lieu revient au mari trompé. Durant cette détention, le mari peut rendre visite à l’épouse. Après le terme de deux ans, il a le choix de la reprendre ou non.
Lorsque le mari refuse de la reprendre, l’épouse demeure à perpétuité dans son lieu de détention. On lui rase la tête et elle perd tous ses droits relatifs au mariage. Le complice de la femme adultère voit tous ses biens confisqués. On le bannit du pays pour une période limitée ou à la perpétuité. Si le complice est un valet ou un domestique de l’employeur rendu cocu, on punit le coupable de mort ou le condamne à servir dans les galères du roi. S’il y a complot dans le but de tuer le mari, c’est la peine de mort.
En matière de poursuite, on retient le principe qu’une épouse ne peut pas intenter une action contre son mari puisque c’est la femme qui est soumise à l’homme; la seule exception est le mauvais traitement de l’épouse par le mari. Enfin, on considère que l’adultère du mari ne donne jamais de successeurs étrangers à la femme.
Le rapt et le viol
Pour donner une idée distinctive du rapt et du viol, il faut observer que le rapt proprement dit est l’enlèvement que l’on fait d’une femme ou fille que l’on séquestre pour en abuser ou pour l’épouser malgré ses parents. Le viol est un attentat qui est fait à la pudeur d’une femme ou fille pour en abuser par force et violence sans l’enlever.
Tout homme qui commet l’enlèvement d’une fille, d’une veuve ou d’une femme honnête et qui fait usage de violence pour en abuser voit tous ses biens confisqués et on le condamne à la mort; tout complice subit un sort identique.
Les prostituées et les femmes aux mœurs douteuses ne sont pas des témoins crédibles aux yeux des juges et leur serment n’a aucune valeur. On expulse du pays tout homme qui ose s’en prendre à une jeune fille non pubère. Il est interdit à une victime d’épouser son ravisseur et on déporte les parents qui donnent leur accord à un tel mariage.
La sodomie ou le péché contre nature
De tous les crimes de luxure, celui-ci est le plus grave et le plus détestable par les lois divines et humaines. L’auteur de la sodomie est passible de peines extraordinaires et c’est l’expulsion automatique du pays.
Le maquerellage
Le crime de maquerellage est un commerce abominable dont on se sert pour débaucher et prostituer des femmes et des filles ou pour entretenir dans la débauche, soit en tenant un lieu de prostitution ou en faisant les intrigues, allées et venues nécessaires pour cela.
Pour empêcher cette activité, on interdit aux propriétaires de louer un logement ou une maison à des proxénètes et on leur demande de choisir des gens de bonne réputation. Quand des proxénètes entraînent dans le vice des femmes de bonne réputation, on les condamne à mort. Si la preuve de sollicitation est démontrée, les solliciteurs mâles iront ramer dans les galères du roi; la sollicitation faite par une femme est punie par le fouet et par l’expulsion du pays.
Dans son traité, Guy du Rousseaud mentionne plusieurs causes dont les juges s’inspirent pour établir une sentence. En France, le cas de Pierre-Alexandre Borbier et d’Élisabeth Boucher est cité en exemple. Le couple fut condamné à porter un chapeau de paille, un écriteau stipulant leur crime, à être battu et expulsé du pays durant neuf ans. Les employés de ce couple, Renée Dupré, Thérèse et Marguerite, filles prostituées, furent condamnées à être renfermées à l’hôpital.
La fornication
La fornication est un terme qui comprend toutes les espèces de crimes qui sont contre la pureté qui se commettent entre personnes libres, c’est-à-dire entre personnes de différents sexes, qui ne sont ni l’une ni l’autre liées par le sacrement de mariage, ni par un vœu solennel de religion, ni mâle engagé dans les ordres sacrés.
Ce délit entraîne une peine légère, c’est-à-dire une amende, quand la fornication a lieu avec une personne non mariée, de bonne réputation et non reconnue comme une prostituée. Si la femme devient enceinte, le géniteur aura certaines obligations envers l’enfant.
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À la suite d’une fornication, une fille enceinte, non prostituée, qui demande l’aide du tribunal parce qu’elle est grosse des œuvres d’un tel n’obtient pas automatiquement une pension alimentaire. Cependant, la cour peut accorder une aide minime et temporaire, mais il faut un procès et un jugement final pour condamner le père à nourrir l’enfant et à s’en charger.
Les affirmations ou les déclarations d’une servante contre son employeur sont non valides si elles sont faites durant l’accouchement. Quand un geôlier se permet une aventure sexuelle avec une prisonnière, c’est la peine de mort, et le même sort attend tout employé forniquant avec la fille du maître.
L’avortement
Le crime d’avortement se trouve justement placé après la fornication parce qu’elle donne souvent occasion de connaître ce crime.
Quiconque aide une femme à avorter, au moyen de potions, sera puni de mort. Quel que soit le moyen utilisé, on condamne à mort toute femme commettant elle-même son avortement.
Le blasphème
Le blasphème est un crime énorme qui se commet par des paroles outrageuses et impies contre Dieu. Louis XIV défend très expressément à tous sujets de quelque qualité et condition qu’ils soient, de blasphémer, jurer et détester le saint nom de Dieu.
Selon le nombre d’offenses et la richesse du coupable, la peine est progressive. Une première offense est punie d’une amende. À la deuxième, à la troisième et à la quatrième offense, on double, triple et quadruple le montant de la première amende. Ensuite, à la cinquième fois, c’est la peine du carcan. À la sixième, on coupe la lèvre supérieure avec un fer chaud. À la septième offense, on met le point final au problème finies les niaiseries, on couple la langue.
Le vol et le larcin
Le vol se commet par force et violence, par rupture et par effraction; et le larcin se fait par surprise, clandestinement et en cachette.
À la première offense, la sentence minimale pour un vol est le fouet, et le corps du coupable est marqué au fer rouge de la lettre V. Pour un vol ou un larcin fait dans une église, la peine minimale pour les hommes est d’aller ramer dans les galères du roi, durant une période définie ou à perpétuité; les femmes sont marquées de la lettre V et on les enferme. Pour une première condamnation aux galères, on imprime sur le corps des hommes les lettres GAL avec un fer chaud; à la seconde condamnation, c’est la mort.
Les voleurs ou les voleuses impubères sont arrêtés et mis en prison; comme punition, on les fouette ou encore on les expose un certain temps à une potence, pendus sous les aisselles.
Les hôteliers, les cochers et les propriétaires de navires sont réputés responsables des pertes subies par leurs clients.
Le crime de faux
Le crime de faux est une supposition frauduleuse pour obtenir la vérité et faire paraître les choses autrement qu’elles ne sont.
On mentionne trois manières de commettre ce crime. Par la parole. Un témoin qui ne dit pas la vérité, par exemple. Par l’écriture, comme modifier la date d’un contrat. Par des actions, comme altérer la monnaie ou vendre un produit selon un faux poids ou une fausse mesure.
Pour assurer la sécurité publique, on condamne à mort le serrurier fabriquant sans autorisation des copies de clés. C’est la peine de mort pour les coupables qui dont des employés de l’État, pour ceux rédigeant de faux contrats et pour ceux qui font de faux témoignages.
Les injures
Ce mot est générique et comprend non seulement les injures verbales mais encore les injures par écrit comme les libelles diffamatoires.
L’injure est une insulte pour offenser une personne en lui reprochant un défaut, un vice, réel ou inventé, en parlant en mal d’elle, en sa présence ou non. La réparation s’obtient par une poursuite civile ou criminelle. Des injures sont dites atroces quand elles engendrent le scandale et causent un tort considérable à la victime
Quand on profère des menaces en brandissant un bâton, on aggrave le délit, même si le coup n’est pas porté; en plus des excuses, le coupable doit payer une amende.
On commet une injure quand on bat, frappe ou excède une personne; en défendant sa cause, on peut produire le rapport d’un médecin. Quand des coups ont causé des blessures dans la chaleur d’une rixe ou querelle, on ne paye qu’une amende si la victime ne décède pas dans les quarante jours suivant l’évènement; s’il y a décès, le coupable est condamné à mort.
Le meurtre et l’homicide
Le code criminel prévoit différentes catégories de meurtres et d’homicides.
Un homicide est casuel quand l’auteur le commet par pur accident, sans négligence et sans préméditation. Un accident de chasse, par exemple.
L’homicide est nécessaire quand on doit le faire pour protéger ses biens, sa vie ou celle de ses proches. Rousseau donne l’exemple d’un cas réellement survenu. « Le père qui, surprenant sa fille en flagrant adultère dans sa maison les a tués tous les deux ». Soit sa fille et son amant. Dans ce cas, selon le juriste, « le père est exempt de punition ».
L’homicide est commis par imprudence quand le décès n’est pas le résultat d’une intention. Pour une peine minimale, Rousseaud donne cet exemple :
Une nourrice par sa faute et imprudence, a suffoqué l’enfant qu’elle nourrissait. On ne doit pas la punir de mort mais de peines plus légères. Par Arrête du Parlement de Toulouse, on peut condamner une nourrice pour un tel fait à faire amende honorable devant la maison du père de l’enfant. Cela au fouet et au bannissement pour cinq ans de la ville de Toulouse. Avec défense de ne plus prendre charge de nourrir enfant à la mamelle.
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L’homicide volontaire ou simple est celui qui survient dans « la chaleur d’une rixe, dans le premier mouvement de colère ». Bien que la sentence soit la mort, la manière de tuer le coupable doit être douce. De plus, le coupable doit payer une amende ainsi que des messes pour le repos de l’âme de la victime.
L’homicide devient un meurtre ou un assassinat quand l’auteur avait l’intention de tuer. Les coupables subissent des peines atroces. Si une femme est roturière, « on doit seulement la condamner à la pendaison ». Quand la femme appartient à la noblesse, « on doit la condamner à avoir la tête tranchée ».
On punit très sévèrement le parricide, le meurtre d’un membre de sa famille : père, grand-mère, cousine, tante, gendre, etc. Selon les circonstances, on pourra condamner le coupable à « être rompu vif, faire amende honorable et avoir le poing coupé ».
Le sortilège
Le sortilège est un maléfice. On le commet par un mauvais chrétien et contre la foi et la religion. La sorcellerie, le sortilège, la magie sont des synonymes.
Le traité de Rousseau mentionne qu’en France on ne punit pas ces criminels comme des sorciers. Mais bien comme des imposteurs « qui abusent de la religion pour tromper les gens simples. Ou qui, par quelques mauvaises herbes, compositions de drogues, maléfices ou poisons, donnent ou causent la maladie ». On n’oublie pas non plus « les pronostiqueurs. Ceux-ci se mêlent de prophétiser, deviner et qui font entendre qu’ils savent la pensée des hommes. Ce qui est une grande erreur ». Pour les pronostiqueurs, c’est le fouet et le bannissement de la ville ou du pays. Quant aux premiers, les sorciers imposteurs, c’est la mort. « À Genève, on les brûle vifs; en France, on les pend et ensuite on les brûle. »
Le crime d’incendie
On définit deux types. Ne paye qu’une amende la personne qui cause un incendie par négligence, sans en avoir eu l’intention. Pour l’acte prémédité, on prévoit une punition corporelle.
La lèse-majesté
Est une offense qui se commet contre les rois et les princes souverains. Ceux-ci sont les images vivantes de Dieu sur la terre.
La liste des crimes étant beaucoup trop longue, on ne citerait que quelques cas. Par exemple, fabriquer de la fausse monnaie. Injurier ou diffamer l’honneur d’un roi. Ou encore inciter le peuple à la révolte. Le suicide, appelé homicide contre soi-même, ainsi que duel font aussi partie de cette catégorie.
Procédure pour le moins étonnante pour nous. Pourtant normale pour nos ancêtres. On fait un procès au cadavre d’une personne morte à la suite d’un duel ou d’un suicide. Le juge désigne un curateur représentant le décédé : « Le curateur saura lire et écrire, fera le serment. On instruira le procès contre lui en la forme ordinaire. On comprendra son nom dans toutes les procédures mais la condamnation se rendra contre le cadavre. Le curateur pourra interjeter appel. »
(Par Guy Giguère, La Scandaleuse Nouvelle-France, histoires scabreuses et peu édifiantes de nos ancêtres, 1958).
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