Le clergé et la noblesse

Le clergé et la noblesse

Malgré quelques concessions fiscales, le clergé et la noblesse restent les deux ordres favorisés, détenant l’essentiel des terres, bénéficiant d’un statut particulier, et sachant défendre leurs privilèges jusqu’en 1789 (en France).

Le clergé

La catégorie sociale dont la place dans la société française est la moins bouleversée est sans doute le clergé, au contraire des autres grands pays d’Europe du Nord. En Allemagne, en Suisse, aux Pays-Bas, en effet, l’autorité de l’Église est ébranlée par l’essor de la Réforme protestante. En Angleterre, Henri VIII rompt avec Rome et l’énorme superficie des terres d’Église est vendue au profit de la couronne ou distribuée à l’aristocratie fidèle au roi. À l’inverse, l’instauration d’un pouvoir monarchique unique et fort se fait en Espagne en liaison étroite avec le renforcement du rôle de l’Église catholique, cherchant à éliminer définitivement Juifs et Musulmans de cet ancien « royaume des trois religions » : en 1492, les Espagnols prennent Granade, dernier califat arabe, expulsent les Juifs et découvrent l’Amérique.

Le catholicisme triomphant

En France, les guerres de Religions déchirent bien le pays, mais l’Église catholique en sort peut atteinte. Des ventes de biens appartenant au clergé ont pourtant lieu sous Charles IX et Henri III, de 1563 à 1588, pour renforcer le trésor royal. Mais les premières terres vendues sont rachetées par l’Église, alors que les autres aliénations servent en fait à financer la guerre contre les huguenots. Au total, les terres perdues par l’Église représentent moins de 10% du territoire national et ce sacrifice est le faible prix payé pour la défense de l’essentiel : la France reste catholique, le clergé maintient ses privilèges, la morale traditionaliste triomphe et trouve un nouveau souffle avec le jansénisme.

Le poids de l’Église

En 1789, le clergé possède environ 10% des terres, alors que la population religieuse est constituée d’à peu près 130 000 personnes (soit environ 2% de la population française) dont la moitié appartient au clergé régulier (au deux tiers féminins), le nombre de prêtres composant le haut clergé étant inférieur à 8 000.

La noblesse

Le sort de la noblesse reste favorable durant toute la période puisqu’il faut attendre la nuit du 4 août 1789 pour que soient abolis les privilèges attachés à cette classe. Sur le plan économique elle dispose du quart environ de la superficie du royaume et bénéficie d’une quasi-exemption fiscales et des revenus provenant de la propriété du sol et des rapports féodaux. Si la majorité des anciens droits a désormais pris la forme de taxes et redevances en argent, ils constituent une source de revenu encore considérable à la veille de la Révolution, bien que très différents d’une région à l’autre, voire d’un domaine à l’autre : les estimations de la part des revenus liés aux droits féodaux dans le revenu total des seigneuries font apparaître une fourchette qui va d’environ 10% à plus de 60%.

Mais que ces revenus proviennent des reliquats du servage ou de la simple propriété du sol, le résultat est le même : ils bénéficient, d’une façon ou d’une autre, de l’héritage de la société féodale qui en fait la classe privilégiée. De plis l’appartenance à la noblesse donne accès à des postes élevés dans la hiérarchie militaire ou ecclésiastique et, éventuellement, à la cour du roi. Elle permet à certains de bénéficier de pensions qui entretiennent leur train de vie et récompensent les fidèles courtisans. Être noble c’ est aussi être cultivé, raffiné, respecté, et continuer à exercer, surtout dans les campagnes, un pouvoir de justice ou de conseil, qui subsistera en fait bien longtemps après que la Révolution l’ait aboli en droit.

La diversité des situations

Bien sûr, la situation d’un petit seigneur campagnard n’est pas comparable à celle d’un membre de la famille du roi, ou d’un prince régional, et toute la noblesse française ne vit pas à Versailles au frais des contribuables roturiers. Bon nombre de ces petits nobles de province sont amenés à vendre au moins une partie de leurs terres et rêvent de voir leurs fils accéder à une modeste place sous-officier dans l’armée du roi.

De plus, les nobles adeptes de la Réforme courent le risque d’être assassinés la nuit de la Saint-Barthélémy, tués durant les guerres de religion, affamés lors du siège de La Rochelle, ou exilés après la révocation de l’Édit de Nantes.

La classe dominante

Mais, malgré ces réserves, le sort de la noblesse reste d’autant plus enviable qu’elle bénéficie, en tant que propriétaire du sol, de la lente remontée de la rente foncière. Nous avons vu que les revenus réels tirés de la propriété foncière ont baissé au début du XIVe siècle, et que la dépopulation due aux épidémies et aux guerres a déprécié le prix de la terre et celui de sa location : de 1315 à 1350 environ, la réduction des ressources seigneuriales est estimée à plus des deux tiers.

Or la rente foncière commence à se rétablir à partir du milieu du XVe siècle; ce mouvement se poursuit jusqu’au XVIIIe siècle, à un rythme toutefois très lent (le niveau des années 1300 n’étant retrouvé que vers la fin du XVIe siècle semble-t-il), et avec des formes diverses suivant les périodes, les régions et l’utilisation du sol. L’amélioration des revenus fonciers provient tantôt de la hausse des prix du sol, tantôt de celle des loyers, de l’augmentation de la part des récoltes dues par les métayers, ou encore à la baisse des salaires des ouvriers agricoles employés sur la réserve seigneuriale.

En définitive, si la noblesse, est amenée à s’endetter ou à vendre une partie de ses propriétés pour satisfaire ses besoins luxueux, elle reste la classe dominante, sur le plan économique, politique et idéologique, bien qu’elle ait progressivement transformé ses anciens droits sur les personnes en simples impôts fonciers.

Elle parvient de même à ne payer que partiellement les impôts (capitation et vingtième) que les ministres de Louis XV et Louis XVI tentent de lui faire accepter.

Privilèges, déficit public et révolution

Les exemptions fiscales de la noblesse et du clergé expliquent en partie le déficit structurel du budget de l’État (estimé par Brienne à 160 millions de livres en 1788, sur un total des dépenses de 625 millions), en provoquant un endettement cumulatif. Cette même année, 1788, le poids total des remboursements liés à la dette représente en effet environ 46,3% des dépenses publiques. Les emprunts fournissent quant à eux 21,4% des recettes, les impôts directs 24,6%, les impôts indirects 32,5%, les douanes 8%.

L’insolvabilité du problème fiscal est à l’origine de la convocation des États Généraux, les ordres privilégiés refusant de supporter les frais de la nécessaire réforme.

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Toute douleur qui n'aide personne est absurde (André Malraux, écrivain et homme politique français). Photo : Megan Jorgensen.
Toute douleur qui n’aide personne est absurde (André Malraux, écrivain et homme politique français). Photo : Megan Jorgensen.

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