L’avenir du cinéma français chez nous
Nous lisions récemment, avec beaucoup d’intérêt, une série d’articles consacrés au cinéma français et à son avenir au Canada, comme en Amérique. Articles très bien faits, ils exprimaient des opinions savantes, et parfois compliquées, sur les raisons du succès futur des productions parisiennes.
Après une apologie de la technique cinématographique et de nombreuses considérations d’ordre culturel, l’auteur affirmait sa confiance aux nouveaux talents dramatiques, dont quelques-uns nous ont été révélés ces derniers temps, pour en rehausser le prestige chez-nous.
Il a peut-être absolument raison, mais nous ne le croyons pas. C’est pourquoi nous nous sommes permis une petite enquête sur les goûts locaux. Nous les partageons.
S’il a plu énormément aux habitués américains du cinéma français d’admirer le talent d’un Jean Marais, ou d’une Madeleine Sologne, nouvelle édition, il n’en reste pas moins vrai que la plupart préfèrent de beaucoup applaudir les grandes vedettes d’avant-guerre comme Renée St-Cyr, Edwidge Feuillère, et tant d’autres qu’il nous tarde de revoir. Pas que nous ayons des préjugés contre les plus jeunes, mais tout simplement, parce que les « vétérans » nous ont fait passer trop d’heures inoubliables pour ne pas y rêver encore.
Continuant notre enquête, nous nous sommes informés des vedettes d’avant-guerre que l’on aimerait le mieux retrouver. La réponse en surprendrait plus d’un.
Deux jeunes femmes semblent avoir laissé beaucoup de nostalgie dans les cœurs d’Amérique ; et le nôtre en est.
L’une d’elles est la charmante Danielle Darrieux, que nous avons vue à maintes reprises. Jusqu’ici, rien de très surprenant. L’autre, eh bien! l’autre est née au début de 1921. Nous ne l’avons vue que dans deux grands films, mais quels films! Elle n’avait pas beaucoup plus de 15 ans quand Prison sans barreaux nous révéla l’une des plus grandes artistes françaises Corinne Luchaire. Un peu plus tard, elle s’affirmait encore aussi magistralement dans Altitude 3,200. Puis vint la guerre et nous ne la revîmes plus. Hélas, pourtant, nous en avons beaucoup entendu parler.
Quand, en 1940, l’Allemand s’installa à Paris, la jeune Corinne n’avait que 19 ans. Ce que furent pour clic ces années de guerre est indescriptible. En butte à toutes les intrigues de l’envahisseur, épuisée, minée par la maladie, elle dut s’obliger à un séjour d’un an dans un sanatorium. A peine sortie de la grande tourmente, elle eut à subir tic nouvelles épreuves plus cruelles encore que les premières. Cette fois, ce fut la haine politique qui s’acharna sur sa famille et aujourd’hui, on semble chercher à créer l’oubli autour d’elle qui pourtant fut « au ciel cinématographique français une des plus brillantes étoiles.
Corinne Luchaire, Raymond Rouleau, son partenaire de « Prison sans barreaux » et « Altitude 3,200 », dans une œuvres de même calibre, dirigée par son premier metteur en scène Léonide Moguy, ce serait un spectacle à faire courir le monde entier.
On nous croira peut être égaré loin du sujet suggéré par notre titre, non. Si nous nous sommes arrêté un peu à une vedette que nous chérissons, c’est que sa personnalité si attachante, son jeu si sincère et si nuancé demeure pour nous un gage de succès pour le cinéma français en Amérique.
Si la France veut augmenter la popularité de son cinéma chez nous, elle ne devra pas, croyons-nous, se contenter de nous adresser des films techniquement supérieurs et des vedettes nouvelles. Il faut de nouvelles vedettes, c’est certain. Nous en voulons, mais nous aimerions les voir évoluer aux côtés des St-Cyr, Feuillèrc, Ducaux, Darrieux, et – pourquoi pas, puisque c’est le désir des cinéphiles – Corinne Luchaire?
Toutes ces artistes nous ont habitués à des représentations de choix. Nous les avons aimées et nous désirons les acclamer à nouveau. Et puis, pour une raison ou une autre, leurs films sont généralement de meilleure facture que ceux des vedettes plus récentes. Nous n’en nommerons que quelques-uns, pour preuve. Falbalas nous ramenait Raymond Rouleau et Micheline Presle, La femme perdue Renée St-Cyr et Roger Duchesne, La symphonie fantastique Barreault et St-Cyr, La symphonie pastorale Michèle Morgan et Blanchard, Le Père Tranquille permet à Noël Noël d’écraser tout le reste de la distribution – il ne fait pourtant pas exprès le pauvre Noël -, et que d’autres. On admettra facilement n’est-cc pas la supériorité incontestable de ces productions sur certaines à la distribution un peu plus jeune. Point n’est besoin de les nommer. Il s’avère formellement que les vedettes d’avant-guerre le sont encore, et le public les demande. Nous ne pouvons comprendre alors pourquoi les cinéastes français nous priveraient d’un talent que nous souhaitons tous admirer à nouveau.
Peut-être préfèrent-ils laisser ce soin à Hollywood, ou Montréal ? Qui sait ? Drôle de politique, quand on s’efforce tant à amplifier l’emprise de la production parisienne.
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