Chronique judiciaire du Québec en 1920 : La saisie était valable – En cas de force majeure, la belle-mère paye – Autour d’un bail.
Litige autour d’un bail
Une autre cause très intéressante a été réglée hier après-midi, en Cour supérieure par l’honorable juge Loranger. Il s’agissait d’une poursuite intentée par le demandeur, un nommé Arthur Bélanger contre un nomme Elzéa Dion, en recouvrement d’une somme de $200, pour loyer.
Au mois de février 1918, le demandeur louait au défendeur, une résidence d’été située à St-Joseph de Labelle, et lui signait un bail de trois années en raison de $200 par année, montant qui devait être payé le 1er mars de chaque année.
Le défendeur prit donc possession de la résidence en question le 1er mai 1918.
Il se présenta chez son propriétaire le 1er mars suivant pour lui payer la somme due et ce dernier lui réclame $203 de plus, alléguant que le paiement du loyer devait être fait le 1er mars précédant la date de sa rentrée à la résidence.
Le locataire protesta, et la question dût se régler devant les tribunaux. Le seul point en litige était celui de connaître quelle était, suivant la loi, la date à laquelle le locataire devait faire ses paiements. L’un disait que le premier paiement devait avoir lieu le 1er mars suivant la date de la prise en possession de la résidence, tandis que l’autre prétendait que le loyer était dû le 1er mars précédant la rentrée de son locataire.
L’honorable juge Loranger résuma les faits de la cause et se déclara en faveurs des allégués du défendeur.
Dans son jugement, il déclara que le seul fait pour le propriétaire de n’avoir rien réclamé de son locataire pendant son séjour de douze mois dans sa maison, et d’avoir attendu au 1er mars suivant sa rentrée dans ladite maison, justifiait ledit locataire de lui faire le paiement du loyer qu’à cette date. Il renvoya donc l’action du demandeur avec dépens.
La cité de Verdun perd
L’honorable juge Guérin, de la Cour supérieure, a rendu jugement, hier, dans la cause de la Cité de Verdun contre Ferdinand Charbonneau et L.-J. Lemieux, mis-en-cause.
Le 17 avril 1918, la demanderesse intenta une action contre le défendeur en recouvrement d’une somme de $42,96, pour taxes municipales pour 1916-1917 et 1918. Le 29 juin 1918, la demanderesse a obtenu jugement contre le défendeur et que l’immeuble de ce dernier fut saisie par le shérif et vendu pour la somme de $271.00.
Le défendeur alléguait que cette somme est ridicule comme paiement de son immeuble. Puis il produisit en Cour une requête civile, protestant contre la saisie du dit immeuble et la vente qui suivit cette saisie. Il déclara qu’il n’a pas été notifié de la saisie de sa propriété, et que la demanderesse n’avait pas droit de procéder ainsi à la vente.
L’honorable juge Guérin, après avoir considéré les faits de la cause donna gain de cause au défendeur et déclara nulle la saisie opérée sur son immeuble, ainsi que la vente qui s’ensuivit.
La belle-mère paiera
L’honorable juge Loranger a rendu jugement, hier, dans la cause de Dame E. Séguin vs Dame A. Ritchot. Voici les faits de cette affaire:
La demanderesse, qui est l’épouse de corps et de biens de Georges Lauzon, fils de la défenderesse, se trouve dans une situation telle qu’elle ne peut pourvoir aux besoins de son jeune bébé âgé seulement de dix-huit mois; et cela par une sérieuse maladie, qui l’empêche de travailler. Elle réclamait donc sa belle-mère, une pension alimentaire de $60.00 par mois.
Cette dernière alléguait dans sa défense, qu’elle ne se trouvait nullement responsable d’une pension alimentaire en faveur de sa belle-fille.
Il restait donc à savoir si réellement elle était tenue de payer une telle pension. L’honorable juge Loranger, après avoir examiné les faits de la cause, et l’avoir étudiée à fond se dit d’avis qu’une belle-mère doit, en cas de force majeure, payer une pension quelconque à sa belle-fille, quand sa fortune lui permet de le faire et surtout lorsque cette dernière est mère d’un enfant en bas âge.
Dans le cas présent, le président du tribunal rendit jugement en faveur de la demanderesse et condamna la défenderesse à lui payer une pension alimentaire mensuelle de $40.00.
Une vente sans seing privé
Plusieurs jugements ont été rendus hier après-midi en Cour supérieure, par l’honorable juge Martineau dans la cause de J. H. Gareau vs Geo. W. Faust et al. Et Henry E Plante et al. Mis-en-cause.
Le demandeur alléguait : Que par vente sans seing privé, du 8 novembre 1915, consentie au demandeur par Mx. Frank, James McEnnis et Charles Crook, le demandeur a acquis une certaine quantité de machines et accessoires, pour la somme de $990.00. Le 13 novembre de la même année, c’est-à-dire quelques jours plus tard, Geo. W. Faust a fait émaner un bref de saisie-conservatoire adressé à un nommé Wibrod Greier, de Verdun, comme défendeur, et à Dlle Cécile Deguire, et J. H. Gareau, comme mis-en-cause et il a allégué dans sa procédure, la vente ci-haut mentionnée avec conclusion pour la faire annuler comme ayant été faite illégalement.
Au cours du mois de janvier 1916, Maurice Gabias, qui avait alors jugement contre le nommé Grenier, pour la somme de $35.00, fit opérer une tibia sur les machines et accessoires, desquels, d’après la connaissance de Faust, étaient la propriété du demandeur et en sa possession, dans l’immeuble plus haut mentionné.
Le 14 juin 1916, Gabias fit procéder à la vente par autorité de justice des biens ci-haut mentionnés et à laquelle vente n’assistaient que les trois défendeurs qui ont acheté tous les dits biens pour la somme modique de $90.00. Le demandeur allègue en plus que les nommés Délisle et Bougie, défendeurs, en cette cause, s’étaient concertés avec Faust pour être présents à la vente et faire l’acquisition des objets qui furent vendus à vil prix.
Que cette vente est le résultat de la fraude et la collusion des défendeurs qui ont détaché après cette vente, tous les objets mentionnés, en pénétrant illégalement dans la propriété du demandeur.
Que la dite vente est illégale, frauduleuse, faite en fraude du droit de propriété du demandeur, et doit être mise à néant.
Que le dit demandeur en cette cause est informé que les machines et accessoires en litige ont été transportés chez les mis-en-cause et que le demandeur est bien fondé à faire mettre lesdites machines et accessoires sous la garde de la justice pour assurer l’exercice de ses droits sur eux.
Que sans le bénéfice d’une saisie conservatoire, le dit demandeur en cette cause perdra son recours pour exercer son privilège sur les dites machines et accessoires.
Le demandeur demande donc, en conséquence que par le jugement, il soit déclaré : que la présente saisie conservatoire est bonne et valable; que le demandeur est seul propriétaire dans le présent bref; que la vente du 14 janvier 1916 soit déclarée illégale et frauduleuse et mise à néant, le tout avec dépens contre les défendeurs conjointement et solidairement, mais sans frais contre les mise-en-cause, au cas de contestation de leur part.
Le défendeur Délisle n’a pas jugé à propos de comparaître.
Le défendeur Bougie déclara avoir agi de bonne foi, et que le demandeur aurait dû se protéger en faisant une opposition à la saisie pratiquée par le demandeur, M. Gabias contre M. Grenieer, et qu’il ne peut être tenu responsable.
Quant au défendeur Faust, il nie toute responsabilité et ajoute dans son plaidoyer :
Que le demandeur n’est pas propriétaire des effets plus haut mentionnés et qu’il est mal fondé en loi à intenter la présente saisie-conservatoire lorsque son titre de propriétaire est attaquée et discuté devant les Cours de Justice; que le demandeur a poursuivi sans cause, ni raison probables et que lui-même n’a ni directement, ni indirectement, été partie dans la saisie et la vente des machines et accessoires, dans la cause de Gabias vs. Grenier.
Dans ses considérants, le président du tribunal déclare :
Que le demandeur a prouvé son titre à la propriété des effets antérieurement à la vente attaquée de nullité. Qu’il ressort de la preuve que les défendeurs Faust et Bélisle sont allés trouver Maître Trudeau, avocat de Gabias, et qu’ils lui ont demandé l’autorisation de faire exécuter un jugement que son client avait contre Grenier, lui représentant qu’ils connaissaient à ce dernier des biens qu’ils pouvaient saisir.
Que Maître Trudeau a consenti à cette saisie, à condition que les dits Faust et Bélisle se rendent responsables des frais, ce à quoi ils ont consenti.
Que les dits défendeurs ont alors pris une exécution et fait saisir les machines, précédemment vendues le 8 novembre 1915, et qu’ils s’en sont portés adjudicataires avec Bougie.
Que Faust savait que ces machines avaient été vendues par autorité de justice et qu’il avait même attaqué la validité de cette vente devant les tribunaux.
Que dans les circonstances, les défendeurs commettaient un acte frauduleux.
Que le défendeur Bougie a confessé jugement.
En conséquence, l’honorable juge Martineau renvoya les plaidoyers des défendeurs avec dépens, déclara bonne et valable la saisie-conservatoire, déclara le demandeur seul propriétaire des dites machines et accessoires et illégale et frauduleuse la vente du 14 janvier 1916, et la mit à néant, le tout avec dépens de l’action contre les défendeurs, conjointement et solidairement, la Cour réservant, cependant, aux défendeurs tout recours qu’ils peuvent avoir comme créanciers hypothécaires suivant ce qu’ils alléguaient dans une cause antérieure.
La saisie était valable
Un autre jugement a aussi été rendu par l’honorable juge Martineau, dans un procès où les mêmes parties étaient en cause mais à des positions différentes. Il s’agissait d’une cause de Geo. W. Faust vs W. Grenier et Dame Cécile Déguire, mis-en-cause.
Le demandeur demandait la nullité des saisie et vente de machineries faite sur exécution « bonis » dans une cause antérieure, dans laquelle Dame Déguire, était demanderesse et partie saisissante contre le présent demandeur, alléguant que ces machineries étaient immeubles par destination et comme telles hypothéquées en sa faveur avec l’immeuble auquel elles étaient attachées, en vertu d’un acte d’obligation passé par le défendeur le 5 mars 1915 devant Me Charbonneau, notaire.
Le défendeur et la mis en cause Déguire n’ont pas comparu. Par contre le mis en cause J. H. Gareau a plaidé en substance; qu’il n’a pas acheté les dites machineries à la vente de l’huissier, mais bien de MM. Frank, Hennis et Crook, et que l’action du demandeur est mal fondée en faits et en droit.
L’honorable juge Martineau, après avoir résumé les faits de la cause, considéra que le propriétaire qui a des immeubles par destination et des biens mobiliers, peut les vendre ou les laisser vendre par autorité de justice comme meubles, sans préjudices cependant aux droits de créancier qui ont une hypothèque sur l’immeuble auquel ces meubles sont attachés;
Que le défendeur sur la saisie en litige ne s’est pas opposé à la saisie des dits meubles et que cette abstention constitue un acquiescement tacite à la vente de ces effets comme meubles.
Que le demandeur a obtenu une hypothèque sur l’immeuble auquel les dits effets étaient destinés et sur les dits effets aux-mêmes.
Que le demandeur n’allègue nulle part dans ses procédures que cet acte a été enregistré et qu’il n’y a en plus aucune preuve au dossier de cet enregistrement et qu’il n’appert point que le demandeur ait intérêt à demander l’annulation de la dite saisie.
Que le mis-en-cause Gareau a attiré l’attention de la Cour sur ce point et que le demandeur n’a pas jugé à propos de faire la preuve du dit enregistrement.
En conséquence, le président du tribunal renvoie l’action du demandeur, sauf à se pourvoir, s’il y a lieu, avec dépens.
L’honorable Juge Surveyer
L’honorable juge Édouard Fabre-Surveyer a siégé hier, en la chambre 22, pour la première fois depuis sa nomination comme juge de la Cour Supérieure. Il a entendu la cause de Eagle Lumber Co. Contre Canadien Express Co. Il s’agit en cette cause d’une réclamation au montant de $200 de la première contre la seconde pour retard dans la livraison de machines et marchandises consignées par express.
Les parties, de part d’autre, font entendre leurs témoins.
Au début de la séance, le juge reçut les félicitations de Maîtres Beckette et Fortin.
Texte publié par le journal Le Canada, le 3 février 1920
3 février 1920.
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