Les chemins de colonisation sont une nécessité
La première chose que fait un aspirant-colon en arrivant à l’Abitibi ou ailleurs, c’est de s’informer des lots à prendre, de consulter les cartes détaillées de l’agent des Terres, puis de pénétrer sous bois, à la recherche d’un site qui lui convienne.
Il a pu remarquer sur la carte des cantons beaucoup d’espaces restés en blanc, entourés de bariolages et de noms, au-delà desquels c’est le grand blanc, la forêt, qui n’est pas encore concédée. S’il veut savoir pourquoi on n’a pas tout pris les lots voisins, pourquoi on en saute, on lui répond que ces lots restés vides sont moins avantageux, parce qu’ils sont situés dans une baissière ou trop forts en roches, et qu’on les prendra plus tard, quand le premier choix sera épuisé. Actuellement, les premiers venus sont bien servis : ils longent les rivières et les lacs, puis, s’ils sont bons bûcherons, ils retiennent les lots bien boisés où le défrichement est rémunérateur et le carroyage facile.
Le gouvernement de la province de Québec, peut-être un peu trop soupçonneux et sévère pour ces gens-là, crie tout de suite au faux-colon, qui vend l’épinette et ne fera pas la terre.
Et il s’indigne qu’on demande des chemins pour ce galeux, qui n’est ni plus ni moins, à ses yeux, qu’un voleur public…
Eh bien ! Le bon sens et l’expérience démontrent plutôt que, la moitié du temps, le faux-colon non protégé n’est autre chose qu’un découragé, qu’un défricheur aux reins trop faibles pour se monter une; ferme à cinq, dix ou vingt milles des chemins. Il s’était établi sur un coin de terre qu’il aimait ; il avait travaillé des années, attendant les routes d’un printemps à l’autre, et le découragement était venu.
C’est le cas d’une bonne moitié des faux-colons, de presque tous les faux-colons non protégés, car il faut dire, d’après les informations qui nous viennent, qu’il y a les faux-colons protégés, qui sont, eux, la peste de la colonisation et dont l’histoire vaut tout un poème…
Non, l’échelonnement des acheteurs de lots n’est pas un obstacle à la colonisation, au contraire : ce sont des jalons qui se plantent de distance en distance; la consolidation, le bloc se fera par l’accession de cultivateurs moins hardis, moins hommes «le bois, comme ils disent, qui rempliront ces vides, et, souvent même, achèteront les lots à moitié faits.
Qu’un chemin soit tracé de la voie ferrée à ces cantons qui s’ouvrent dans les profondeurs, et l’on verra bientôt les rangs s’épaissir ; les familles n’hésiteront plus à venir habiter le shack, les écoles se dresseront partout, et les paroisses se multiplieront.
Actuellement, sur ce territoire dont chaque côté du carré pourrait s’étendre de Québec à Montréal, il n’y a pas plus de 200 milles de chemins dont moins du tiers est carrossable. Et encore, il faut voir les chevaux pris dans ces fondrières, où ils s’embourbent jusqu’au ventre.
(Texte paru dans le journal La Presse, le 17 octobre 1918).
Lire aussi :