Atteindre Cathay

Cathay, une chimère persistante

Les expéditions maritimes de ces grands ouvreurs de routes que furent Christophe Colomb et Vasco de Gama provoquèrent, dès le début du XVIe siècle, une succession de voyages d’exploration en direction de la Chine. Certains navigateurs s’élancèrent vers l’ouest à l’exemple de Colomb, d’autres, imitant Vasco da Gama, choisirent la route orientale; ces deux directions réservaient aux navigateurs le même genre d’embûches, mais ceux qui mirent le cap à l’est éprouvèrent en définitive des difficultés bien moins grandes.

Les marins de la Renaissance qui contournaient l’Afrique disposaient de cartes offrant une image assez claire du continent asiatique. Certes, le tracé des côtes, établi d’après les enseignements de Ptolémée et les indications rapportées par Marco Polo, demeurait très trompeur, mais il pouvait néanmoins servir de guide approximatif aux marins. Comme Vasco de Gama l’avait découvert, le voyageur qui atteignait la côte occidentale d’Afrique pénétrait dans une zone où les liaisons maritimes entre l’Afrique, l’Inde et même la Chine, étaient bien établies. Les informations que les commerçants et les marins de ces pays leur fournissaient furent plus que précieuses pour les navigateurs venus d’Europe.

Les successeurs de Colomb eurent, de leur côté, à affronter de nombreuses difficultés. Les Amériques n’existaient sur aucune carte; le voyageur ne pouvait recruter des pilotes ou prendre en considération des cartes locales, ou encore s’appuyer sur des organisations commerciales connaissant la région. La largeur de ces terres nouvelles, leur longueur nord-sud, leur position par rapport à l’Asie, tout était à découvrir. Compte tenu de ces handicaps, la vitesse avec laquelle les Amériques se dégagèrent des fantasques conjectures, émises à leur sujet après le voyage de Christophe Colomb, demeure plus remarquable que le rythme précipité du levé des cartes de la côte d’Afrique et de l’exploration de l’océan Indien réalisés par les navigateurs au XVIe siècle.

Dès 1500, les explorateurs espagnols avaient dressé la carte de l’Amérique du Sud, de l’actuel port de Maracaïbo (Venezuela), jusqu’aux parages de Récife, l’avancée orientale du Brésil. La seconde moisson d’informations relatives au continent américain fut peut-être le résultat d’un hasard, qui provoqua d’ailleurs le déferlement d’une nouvelle vague d’explorations le long de la côte orientale et en direction du sud. Dans sa descente le long de la côte occidentale de l’Afrique, Vasco de Gama avait essuyé de violentes tempêtes, bien qu’il ait piqué vers le large pour les éviter.

En conséquence, lorsqu’en 1500 il reçut pour mission de compléter l’exploration de Vasco de Gama, Pedro Alvares Cabral se vit conseiller de s’éloigner davantage encore de la côte africaine. Il s’écarta si loin vers l’est qu’il rencontra la côte de l’Amérique du Sud par 17 degrés de latitude sud. Le fait que ce Portugais ait dédaigné d’explorer la région renforce la thèse selon laquelle sa découverte fut fortuite. Cependant, en demandant au Pape de reculer de 270 lieues vers l’ouest la ligne de séparation des zones d’influence espagnole et portugaise, le roi du Portugal pensait, semble-t-il, à l’éventuelle découverte de terres continentales dans cette région. Dès son arrivée en vue de l’Amérique, Cabral renvoya un de ses navires au Portugal, ce qui tendrait à faire croire qu’il avait reçu des instructions concernant la découverte du continent sud-américain, mais ses ordres de route ne sont, hélas, pas parvenus jusqu’à nous.

Son rapport concluait à l’opportunité de l’installation d’une colonie portugaise au Brésil, `ne serait-ce que pour servir de point de relâche aux futures traversées à destination de Calicut », précisa-t-il. Cabral ne savait pas s’il se trouvait en présence d’une île ou d’un continent, à tout le moins son rapport ne nous éclaire pas sur ce point précis. La puissance du flot de l’Orénoque à son embouchure avait prouvé à Colomb que le Venezuela faisait partie d’une masse de terre extrêmement importante (qu’il s’obstinait à appeler Cathay). Île ou continent ? Cabral ne disposait d’aucun point de repère qui pût le renseigner sur la nature de sa découverte. La Chine ou quel qu’autre continent ? La réponse à cette double question devait attendre l’entrée en scène d’Amérique Vespucci, un géographe florentin à l’esprit d’analyse froid et lucide.

Le désir d’atteindre Cathay

Au cours de la première moitié du 16e siècle, diverses expéditions, partant les unes d’Angleterre, les autres des Açores, reconnurent les côtes du Groenland et celles du Labrador, toujours à la recherche de l’empire de Cathay. On ne possède que peu de renseignements sur les régions explorées, mais le Portugal et l’Angleterre, ne trouvant ni soie, ni métaux précieux sur ces terres, s’en désintéressèrent. Cependant, la découverte par Cabot des grands bancs de Terre-Neuve, aux eaux si poissonneuses, fut à l’origine de l’établissement de voyages réguliers et très profitables entrepris par les pêcheurs.

Vu de nos jours, le fait que ce désir d’atteindre Cathay au constamment survécu à tant de déceptions paraît remarquable. Depuis longtemps déjà les navigateurs avaient démontré que l’Amérique du Sud était un continent, mais de nombreux Européens s’obstinaient encore à confondre certaines notions géographiques concernant les positions relatives de l’Asie, l’Amérique et l’océan Pacifique. La découverte du Pacifique en 1513, le périple de Magellan six ans plus tard, étaient bien connus et auraient pu lever certains doutes, mais on s’entêtait à espérer que les terres, découvertes en 1497 par Cabot, faisaient partie de la région septentrionale de la Chine. Un quart de siècle plus tard, en 1524, Giovanni da Verrazzano, un navigateur et géographe florentin, au service de François 1er, se lança à la poursuite de l’éternelle chimère et, à son tour, appareilla pour l’Amérique du Nord.

À la cour de Cathay. Marco Polo s’agenouille devant Kubilay Khân. Le récit du voyage de Marco Polo (XIIIe siècle) demeure encore, du temps de Christophe Colomb, le plus lus et le mieux renseigné des ouvrages consacrés à l’Asie. Il influença pratiquement tous les explorateurs des siècles qui suivirent. Gravure ancienne.
À la cour de Cathay. Marco Polo s’agenouille devant Kubilay Khân. Le récit du voyage de Marco Polo (XIIIe siècle) demeure encore, du temps de Christophe Colomb, le plus lus et le mieux renseigné des ouvrages consacrés à l’Asie. Il influença pratiquement tous les explorateurs des siècles qui suivirent. Gravure ancienne.

Les Portugais et les Indes

Pour opérer dans des régions évoluées comme la côte des Malabar, les portugais possédaient comme atout leur puissance de feu supérieure; dans des régions moins civilisées comme Ceylan, ils bénéficiaient de l’effet de surprise. À propos de l’apparition des premiers Portugais, dans l’île, un chroniqueur local écrit : « Ils sont d’une race d’hommes très blancs de peau, chapeaux en fer et ne s’arrêtent nulle part. Ils mangent une sorte de pierre blanche (des biscuits), boivent du sang (du vin)… Leurs canons font un bruit de tonnerre et, à une lieue de distance, un de leurs boulets démolit un château aux murs de marbre ».

Les Portugais balayèrent toute résistance, mais uniquement dans des préoccupations d’ordre commercial. Ils ne s’éloignaient pas du littoral, se contentaient de défendre leurs comptoirs. C’est seulement en 1602 qu’un voyageur, le jésuite Bénédicte de Goes, quitta Agra pour remonter vers le nord et, par Lahore, gagner l’Afghanistan. De là, il se rendit en Chine, en longeant l’Himalaya par le nord. La première véritable reconnaissance de l’hinterland indien attendra le XVIIIe siècle et l’entrée en scène de la France et de l’Angleterre comme puissances coloniales.

Une fois bien établis sur le littoral indien, les Portugais tournèrent leurs regards plus loin vers l’est, sur des terres plus riches encore. C’est au cours de cette période qu’ils établirent des comptoirs aux Moluques, parfois appelées les îles aux Épices. Leurs cartes, ils s’en aperçurent, étaient très trompeuses ; les unes confondaient toutes les îles en une vaste péninsule à l’est des Indes, les autres les distribuaient au hasard ça et là, sans aucun rapport avec la réalité. Par un coup de chance extraordinaire, une grande carte de l’océan Indien et de l’Indonésie, dressée par un pilote javanais, tomba entre leurs mains, en 1511. Joyeusement, Alphonse d’Albuquerque, le Gouverneur des Indes, s’écria : « C’est la meilleur chose que j’aie jamais vue! » Sans doute les marins auraient-ils découvert les Moluques, mais la possession de cette carte explique la rapidité avec laquelle les Indes orientales et la partie méridionale de la mer de Chine prirent forme sur les cartes européennes de la Renaissance. En 1511, une base fortifiée fut installée à Malacca et la même expédition poursuivit sa route pour explorer la côte de Java. En 1526, on avait atteint l’immense Nouvelle-Guinée.

Les cartographes utilisaient les renseignements que leur fournissaient les expéditions officielles, mais recueillaient aussi des informations auprès des marchands, voyageant isolément de port en port, et des marins, qui après quelque naufrage s’étaient enrôlés au service de chefs indigènes. Informations, faits et rumeurs aussi étaient rassemblés à Malacca, étudiés à Lisbonne. Du point de vue cartographique, le résultat laissa à désirer; des confusions de noms se produisaient et les îles qui avaient été l’objet d’un seul atterrage étaient mal dessinées à d’autres vues de côtes. Cependant, l’ensemble prit forme petit à petit. La concurrence croissante des Espagnols, la variété des produits et les marchandises précieuses qui attendaient les marins entreprenants, entretenaient cette fièvre d’exploration.

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