Jacques Cartier et les Indiens
Jacques Cartier et les Indiens : Un peu avant l’île d’Orléans, que Cartier commence par appeler île Bacchus avant de lui attribuer le nom qui lui est resté, à cause, dit-il des vignes qu’il y trouva, commence le royaume de Canada (ce mot veut dire aussi ville, agglomération, village – en iroquois moderne on dit kanata). La première entrevue avec le seigneur ou agouhanna du lieu est des plus cordiales. Qu’on en juge : « Donnacona… vint avec douze barques, accompagné de plusieurs gens, devant nos navires. Puis, en fit retirer dix en arrière, et vint seulement avec deux de ces barques à bord des navires, accompagné de seize hommes. Et commença ledit agouhanna, par le travers du plus petit de nos trois navires, à faire une prédication et prêchèment, à leur mode, en démenant son corps et ses membres d’une merveilleuse sorte qui est une cérémonie de joie et d’assurance.
Et lorsqu’il fut arrivé à la nef générale, où étaient lesdits Taignoaguy et Domagaya, ledit seigneur parla à eux, et eux à lui; et ils commencèrent qui leur avait été fait, de quoi ledit seigneur fut fort joyaux, et pria le capitaine de lui donner ses bras pour les baiser et accoler, qui est leur mode de faire chère et cette terre. Alors le capitaine entra dans la barque de l’agouhanna et commanda qu’on apportât du pain et du vin pour faire boire et manger ce seigneur et sa bande; ce qui fut fait; de quoi ils furent fort contents. »
Le 14 septembre, Cartier embosse sa flotte à l’embouchure d’une rivière qu’il appelle Sainte-Croix, selon la fête du jour (Aujourd’hui, la Saint-Charles), en face du rocher où est bâtie Stadaconé (Québec), résidence-capitale de Donnacona. Le lieu est enchanteur, « qui est aussi bonne terre qu’il soit possible de voir, et bien fructifiante, pleine de beaucoup de beaux arbres, de la nature et sorte de France, comme chênes, ormes, frênes, noyers, pruniers, ifs, cèdres, vignes, aubépines, qui portent le fruit aussi gros que prunes de Damas, et autres arbres, sous lesquels croît d’aussi bon chanvre que celui de France, lequele vient sans semence ni labour ».
Le Malouin a décidé d’hiverner; auparavant il ira jusqu’au Hochelaga. Mais à partir de ce moment il sent chez Taignoagny et Domagaya une sourde hostilité. Devra-t-il s’en méfier? En tout cas, les sauvages s’efforcent de le dissuader d’aller en Hochelaga. Voici leur dernier argument que, sans doute, ils croient péremptoire :
« Ils firent habiller trois hommes en la façon de trois diables, lesquels étaient vêtus de peaux de chien, noirs et blancs, et avaient des cornes aussi longues que le bras, et étaient peints par le visage de noir, comme charbon; ils les firent mettre dan une de leurs barques à notre insu. »
Ce sont les envoyés du dieu Cudouagny, venant annoncer aux étrangers qu’à Hochelaga « il y aurait tant de glace et neige qu’ils mourraient tous. » A cette sortie, Jacques Cartier et ses compagnons éclatent de rire. A Taignoagny et à Domagaya, qui se sont chargés de transmettre le message céleste, le capitaine répond que « ces prêtres avaient parlé à Jésus et qu’il ferait beau temps ». Sur ce, les messagers se retirent en feignant la plus grande joie. Mais Taignoagny qui devait guider Jacques Cartier jusqu’au royaume voisin se récuse, et met son refus sur le compte de Donnacona. Qu’importe! Le navigateur partira sans lui! Avec le galion et deux barques, il quitte Stadaconné le 19 septembre, emmenant Pointbriand, La Pommeraye, Jehan de Goyon, Poullet (c’est probablement Poullet qui sous la direction de Cartier rédigea la Relation), Jalobert, Le Breton et vingt-six marins. Le 28 septembre, l’Émerillon est arrêté au lac Saint-Pierre (un élargissement du fleuve) par un très faible profondeur d’eau. Les barques seules continuent vers Hochelaga où elles arrivent le 2 octobre. Comme partout sur leur passage, les Français sont accueillis à bras ouverts par les Hochelaguiens. Au contraire des Saguenéens et des Canadiens, ceux-ci sont sédentaires: ils cultivent le sol. Leur ville, ceinte d’une fortification circulaire en bois, est très régulière. Ils exercent une sorte de suzeraineté sur les populations voisines et jusqu’aux Stadoconiens.
Le 3 octobre, l’agouhanna du lieu fait à ses visiteurs les honneurs de « la ville de Hochelaga, près et joignant une montagne, qui est, à l’entour d’icelle, labourée et fort fertile, le dessus laquelle on voit fort bien. Nous nommâmes cette montagne le Mont-Royal. »
Le soir de ce jour mémorable, Jacques Cartier est conduit par plusieurs hommes et femmes au sommet de la montagne, où « eûmes vue et connaissance de plus de trente lieues à l’environ d’icelle; dont il y a, vers le nord, une rangée de montagnes (les Laurentides), qui sont gisantes est et ouest, et autant devers le sud (les Adirondacks et le Vermont).
Entre lesquelles montagnes est la terre la plus belle qu’il soit possible de voir, labourable, unie et plate. Et par le milieu des dites terres, nous voyions le fleuve outre le lieu où étaient demeurées nos barques, où il y a un saut d’eau, le plus impétueux qu’il soit de voir, lequel ne nous fut possible de passer (les rapides de Lachine). Et voyions ce fleuve , qui allait au sud-ouest et passait par auprès de trois belles montagnes rondes que nous voyions et estimions qu’elles étaient à environ quinze lieues de nous (les monts Saint-Bruno, Belœil et Rougemont.
Les Français au Canada (du Golfe Saint-Laurent aux Montagnes Rocheuses, par Cerbelaud Salagnac, Éditions France – Empire, 68, rue Jean-Jacques Rousseau – Paris (1er), 1963.
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