Capitaine James Cook et ses voyages d’exploration
Le capitaine James Cook effectua deux voyages, l’un à bord de l’Endeavour, l’autre du Resolution.
En 1768, date de son premier voyage, les explorations successives avaient rejeté la Terra Australis au-delà du 50e parallèle sud, quelque part à l’est du cap de Bonne-Espérance et à l’ouest du cap Horn. Tous les géographes admettaient l’éventualité de son existence, certains – parmi eux Dalrymple – en étaient convaincus; à la croyance de Tasman selon laquelle la Nouvelle-Zélande faisait partie du continent austral, Dalrymple rattachait l’assertion de Queiros, affirmant qu’il devait y avoir un continent au sud des îles qu’il avait vues. Le géographe en déduisait que la Terra Australis s’avançait très loin dans le Pacifique, entre la Nouvelle-Zélande et le cap Horn.
En théorie, un tel continent était non seulement très vaste mais devait connaître des climats variés, allant du régime tempéré au régime polaire. Une telle terre convenait à la colonisation et contenait sans doute de vastes ressources, dont le commerce européen pouvait bénéficier. Sa découverte bouleverserait le présent équilibre des forces en Europe et ferait du Pacifique un lac privé, propriété exclusive du possesseur de ce nouveau continent. Il est donc essentiel, insistait Dalrymple, que cette souveraineté soit britannique.
Or, il se trouva que l’on annonçait pour 1769 une conjonction extrêmement rare; le passage de Vénus sur le disque du soleil, phénomène qui ne se reproduirait que cent cinq ans plus tard. On espérait que des observations, effectuées par des astronomes à partir de points très éloignés sur la surface terrestre, permettraient la détermination de la distance de la terre au soleil.
La rapport de Wallis concernant Tahiti décida la Royal Society à choisir cette île comme poste d’observation du Pacifique central. Cook appareilla le 25 août 1768 avec un double objectif; ses instructions lui enjoignaient d’organiser les observations mais aussi, selon les dispositions secrètes, de rechercher le continent austral qui peut se trouver, « on a des raisons de le croire, au sud de la route suivie par le capitaine Wallis ».
Cook, qui venait d’atteindre la quarantaine, était à la fois un excellent navigateur et un géographe expérimenté. Il avait participé à l’établissement des cartes des bancs du Saint-Laurent, qui avaient permis la prise de Québec par la flotte en 1759, et il s’était fait apprécier en raison de la minute avec laquelle il avait accompli son travail lors de missions hydrographiques en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve. Conscient des progrès que la navigation devait à la contribution des astronomes et des fabricants d’instruments, il était plus qualifié que n’importe lequel de ses prédécesseurs pour déterminer avec précision la route à suivre. Ses hommes respectaient d’autant mieux son intégrité morale, son sens du devoir, qu’il savait veiller avec une extrême vigilance à leur bien-être. Cook fut le premier voyageur à démontrer que le scorbut pouvait être vaincu par une bonne hygiène et une alimentation soigneusement déterminée, le premier capitaine qui partit de l’idée qu’il était possible de ramener au complet son équipage au port.
L’Endeavour pénétra dans le Pacifique par le cap Horn. De Tahiti, et une fois les observations faites, il fit voile plein sud jusqu’au 35e parallèle, puis vint à l’ouest et s’y maintint en dépit des vents d’ouest dominants. Frôlant le rivage de la Nouvelle-Zélande, il l’inspecta méthodiquement, détachant de ce fait un nouveau tronçon de terre du continent austral. Ce résultat ne lui suffit pas; bien que son navire eût besoin de réparations, profitant de l’excellent était de santé de son équipage – jamais des Blancs ne s’étaient trouvés en si bonnes conditions physiques après un si long voyage – il fit route à l’ouest jusqu’à la côte australienne.
Avec précautions, en travaillant à la sonde, Cook releva la côte australienne sur 2 000 milles, distance qui venait s’ajouter aux 2400 milles de côtes reconnus en Nouvelle-Zélande. Déjà dangereux, ce travail devint plus périlleux encore aux abords de la Grande Barrière. Par 16e sud, juste au large de Weary Bay (baie de la Fatigue) sur une de ses cartes, il désigna quelques rocs par la mention : « Sur ces rochers le navire s’est échoué pendant 23 heures ». Cette remarque laconique commémore une journée aussi dramatique qu’une de celles que connut Drake à bord de Golden Hind.
Depuis des semaines l’Endeavour longeait les côtes du récif de la Grande Barrière – dont la seule vue avait impressionné Bougainville au point de l’amener à mettre cap au nord – lorsqu’une nuit, quelques minutes après que la sonde eut indiqué 17 brasses, le navire s’embrocha sur les coraux, à marée haute. L’équipage, subissant l’ascendant de la tranquille efficacité de Cook, allégea le navire de ses canons, de son lest, d’une partie des approvisionnements, fit flotter aux alentours les plus lourds espars, amena les embarcations pour sonder les parages et trouver en eau assez profonde des fonds propices à la tenue des ancres. À la marée montante du lendemain, on vira sur ces ancres mais sans faire décoller la coque. Il n’y eut aucun affolement et la nuit suivante une marée plus forte remit l’Endeavour à flot. Une voile fut tendue au-dessus de la déchirure de la carène et Cook réussit à faire franchir à l’Endeavour, non sans talonner, la barre qui marque l’entrée de la rivière qui porte encore le nom de son navire.
Quelques jours plus tard, le capitaine Cook se glissait en haute mer par une passe trouant le récif et mettait cap au nord. Juste au moment où, pour vérifier l’existence du détroit signalé par Torrès entre le cap York et la Nouvelle-Guinée, Cook s’approchait une nouvelle fois du récif, son bâtiment connut des heures les plus périlleuses. En date du 16 août 1770, dans son journal de bord il note : « Peu avant l’aube de rugissement du ressac se fit clairement entendre et au lever du jour la masse écumante des vastes brisants apparut, trop nettement pour qu’on la situât à plus d’un mille et les vagues, nous nous en aperçûmes, portaient le bâtiment dans leur direction à une vitesse surprenante. Nous n’avions pas le moindre souffle de vent et la sonde ne touchait pas le fond; il était donc impossible de mouiller une ancre ». Les embarcations furent amenés mais la force du courant était telle qu’il leur fut impossible de remorquer l’Endeavour contre le courant.
« A cet instant critique », écrit Cook, « une faible brise se leva… et nous pûmes observer que, grâce au vent et à l’effort des embarcations, le bâtiment s’éloignait selon un certain angle. Mais, 10 minutes plus tard, l’air redevint plus calme que jamais; nous étions à moins de 200 yards (180 mètres) des brisants ». Les chances de sauver le navire parurent minces jusqu’au moment où une passe dans les brisants fut repérée à environ un mille de là.
Les embarcations étaient désespérément indispensables au remorquage, mais Cook prit le risque d’en dépêcher une pour reconnaître la passe. L’existence de celle-ci étant confirmée, « il fut immédiatement décidé d’y engager le navire, en dépit de son étroitesse et du danger d’un tel franchissement. Une brise d’est-nord-est se leva qui nous permit, avec l’aide de nos embarcations et de la poussée du flot, de nous engager dans la passe, que nous franchîmes très vite grâce au courant ». Le navire était sauvé.
Définissant en termes particulièrement éloquents l’esprit qui présidait aux explorations, Cook ajoute : « Telles sont les vicissitudes de ce genre de mission, vicissitudes que comportera toujours la navigation dans des eaux inconnues. Si ce n’était pour la satisfaction, naturelle d’ailleurs, que l’homme ressent à être le premier à découvrir, ne fût-ce qu’un peu de sable ou un écueil, ce genre de mission serait insupportable ».
Parvenu devant le cap York, Cook choisit à nouveau la voie difficile et, au lieu de mettre cap à l’est pour gagner la haute mer, il s’engagea en route à l’ouest parmi les haut-fond. Il devenait le premier à franchir le détroit découvert par Torrès, le premier surtout à démontrer que la Nouvelle-Guinée était une île.
Plus fructueux encore, le second voyage du capitaine James Cook, réalisé entre 1772 et 1775 avec la Résolution, porta un coup fatal au mythe de la Terra Australis. Son expérience le conduisit à suggérer de pénétrer dans le Pacifique par le cap de Bonne-Espérance, pour éviter d’avoir à lutter contre les vents d’ouest dominants et l’Amirauté donnant son agrément, lui enjoignit de faire route au sud à partir du cap, puis, à la plus haute latitude possible, d’entreprendre une circumnavigation. Cook exécuta ces instructions à la lettre et, bien que gêné par les glaces, se maintint au-dessus du 60e parallèle sud, franchissant par trois fois le cercle polaire. « Ainsi », écrit-il dans son rapport de voyage, « je puis me flatter de dire que tous les buts du voyage ont été pleinement atteints; l’hémisphère sud a été suffisamment exploré et il a été mis un point final aux recherches relatives au continent austral, qui accaparait par moments depuis deux siècles l’attention des puissances maritimes et celle des géographes de tous les temps. Qu’il existe près du pôle un continent ou de larges terres, je ne le nie pas; tout au contraire je crois à cette possibilité ».
Vestige désolé et inhabité de la Terra Australis, le continent austral restait à explorer, mais Cook avait démontré qu’aucune des contrées de ce continent, quelle que fût sa forme, ne se trouvait sous des latitudes que les rendaient intéressantes pour l’Europe du XVIIIe siècle.
En 1776, le capitaine James Cook appareilla pour son ultime voyage dans le Pacifique et, le 14 février 1779, il connut une fin bien digne d’un explorateur. Les indigènes des Hawaï, après avoir manifesté aux Anglais un accueil initial très aimable, s’étaient lassés de leurs réquisitions de vivres et, en fin de compte, une violente querelle éclata, au cours de laquelle Cook fut poignardé et son corps coupé en morceaux.
Il laissa un héritage immense; tandis que les cartographes effaçaient le nom de Queiros de leurs cartes, les nations se consacraient à la défense de leurs intérêts dans des mers moins hostiles. Motivée davantage par le besoin de connaître que par celui de conquérir, l’exploration était entrée dans une nouvelle ère.
De ses voyages, Cook avait rapporté plus d’informations efficaces et sûres sur la nature du monde que n’importe quel autre navigateur. La précision de ses observations, le souci qu’il montrait de la santé de ses hommes – et en la matière il était un pionnier – , ses remarquables qualités d’audace et de sang-froid font de lui le chef de file d’une nouvelle race d’explorateurs scientifiques. Il lui fallut consacrer ses capacités à sonder le mythe qui avait hanté les premiers siècles de l’Âge des Découvertes. Charnière entre deux époques, Cook en effaçant un continent mythique a inscrit son nom au bas de la page qui s’était ouverte sur la découverte d’un continent inconnu.
D’après L’Âge des Découvertes par John R. Hale et les Rédacteurs des Collections Time-Life, 1967.
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