Canots d’écorce des Amérindiens
Les canots d’écorce que font les Sauvages moins septentrionaux répondent à ceux que les Égyptiens faisaient de papier. Le papier est une plante qui croît sur les bords du Nil, et qui pousse quantité de tiges triangulaires, hautes de six ou sept coudées tout au plus, quoique Théophraste et Pline lui en donnent dix, et même au-dessus de dix; elle était presque universelle pour l’usage qu’on en faisait anciennement; on s’en nourrissait; elle entrait dans le médecine; on en tirait des feuilles pour écrire; elle fournissait du bois pour se chauffer; des chandelles pour éclairer; des toiles pour s’habiller; on en faisait des bateaux, des mâts, des cordes, des voiles, des ustensiles de ménage, des nattes, des couronnes pour les dieux et des souliers pour des prêtres. Elle n’était pas particulière à l’Égypte. Elle croissait aussi en Syrie, sur les bords de l’Euphrate, dans l’île de Crète et même en Italie. Il y a cependant l’apparence que cette dernière était d’une espèce différente.
J’ai bien de la peine à comprendre comment une plante qui ne porte point de fruits, qui n’a qu’une tige assez mince, point de feuilles, si ce n’est un bouquet qui vient à la cime de la tige, pouvait servir à tant d’usages si différents. Je ne puis surtout concevoir comment on en pouvait faire des bateaux et des voiles. Hérodote semble dire qu’on n’employait à cet usage que le sommet de la tige, et Théophraste assure qu’on les faisait de la tige même.
On ne pouvait tirer de la tige des écorces assez épaisses pour faire le corps du bâtiment; encore moins, ce semble, du sommet que se sépare en feuilles et en lames fines, comme le papier de la Chine et qui, pour conséquent, n’en point assez de corps pour faire des voiles ou l’enveloppe d’un bâtiment, lequel devait être assez solide pour porter des hommes et des charges assez pesantes. Il fallait donc, à ce que j’imagine, qu’on en fit un tissu natté de bien près, comme sont encore certains petits bâtiments dont les Abyssins se servent de nos jours pour naviguer sur le Nil.
Je crois aussi que les termes papyros, byblos, charta, liber, lesquels sont synonymes, étaient des noms génériques, qui s’appliquaient universellement à tous les arbres de l’écorce desquels on se servait pour écrire. Pline nous apprend qu’on écrivit d’abord sur les feuilles de palme, et c’est peut-être à quoi Virgile fait allusion en parlant de la sibylle, laquelle écrivait ses oracles sur des feuilles. Pline ajoute qu’on se servit ensuite de l’écorce de certains arbres. Saint Isidore de Séville, suivant l’opinion des critiques les plus exacts, donne cette définition du papier ou du livre (car c’est la même chose) : « Le livre est la tunique intérieure de l’écorce qui est la plus voisine du corps ligneux, sur laquelle les Anciens écrivaient.
Ces noms génériques dont je viens de parler peuvent parfaitement bien convenir au bouleau. De son écorce la plus mince, on peut faire des feuilles à écrire, et je m’en suis servi moi-même quelquefois. On se sert de la plus épaisse pour faire des canots, des voiles et des tentes; et comme elle est assez gommeuse on en fait aussi des torches pour pêcher au flambeau, ou pour se conduire chez soi dans des nuits fort obscures. Si l’étymologie du mot papyros vient du mot grec pyr, le feu, ce nom lui conviendrait encore plus parfaitement.
Pirogues des Caraïbes
Les Caraïbes et les autres Sauvages méridionaux, qui habitent sur les bords de la mer, se servent de longues pirogues, qui peuvent porter jusqu’à soixante personnes, si ils les rehaussent par des planches qu’ils attachent sur les bords au corps de l’arbre qui fait le fond de la pirogue. Elles sont assez bonnes pour ranger les côtes de l’Océan, et résistent plus facilement à la vague que de simples écorces; mais dans les rivières du Canada ou de l’Amérique méridionale elles ne valent rien pour les voyages de long cours, à cause de la multitude des sautes et des cataractes, où leur pesanteur et la difficulté de les manier les rendraient absolument inutiles.
On en a cependant toujours quantité aux environs des villages, où elles sont d’un grand service pour faire des traversées d’un bord de rivière à l’autre, ou pour y charroyer le bois de chauffage et les autres provisions des champs, lorsqu’on peut les y conduire par eau.
Les canots d’écorce, par contre, sont très commodes pour les grands voyages, et les seuls dont on puisse se servir parce que leur légèreté fait qu’on peut les gouverner avec plus de facilité dans les rapides, et qu’il est plus aisé de les voiturer dans les lieux de portage.
Bibliographie :
- Théophraste : Histoire des Plantes, IV, 8,3.
- Pline : Histoire naturelle, XIII, 22, 71 – 73 : Le papyrus donc pousse dans les marécages d’Égypte ou dans les mares où stagnent, après l’inondation, les eaux du Nil, et dont la profondeur n’excède pas deux coudées. La racine, de la grosseur du bras, est rampante; la tige, trigone, haute au plus de deux coudées, s’amenuise vers le haut, et se termine par un bouquet autour d’une sorte de thyrse dépourvu de graines et sans autre usage que de servir à couronner de fleurs des statues de divinités… Les habitants emploient les racines en guise de bois, non seulement pour le chauffage, mais encore pour fabrique des ustensiles de ménage. De la plante même ils tressent des barques; du liber, ils tissent des voiles, des nattes, des vêtements, des matelas et des cordages. Ils mâchent aussi la souche crue ou cuite, mais n’avalent que le suc… Le papyrus croit également en Syrie, sur le bord du même lac que le roseau aromatique, et le roi Antigone ne se servait que de cordages de papyrus pour ses vaisseaux, car le spart n’était pas encore répandu. Récemment on s’est aperçu qu’un papyrus qui croit dans l’Euphrate aux environs de Babylone peut donner du papier tout comme celui d’Égypte, ce qui n’empêche qu’actuellement encore les Parthes préfèrent brocher leurs lettres sur des étoffes.
- Athénée, Le Banquet des sophistes, XV, 676c-d. Athénée, au livre XV des couronnes de papier que Pline dit qu’on faisait pour les dieux.
- Strabon, V, 2, 9, Épigrammes, 8, 44, 14.
- Hérodote, II, 96.
- Pline, Histoire naturelle, XIII, 21, 69.
- Virgule, Enéide, II, 443 – 446, et VI, 74 – 76.
- Isidore de Séville, Étymologiarum sive originum, VI, 13, 3 (Oxford, 1911; vol. II).
(Tiré du Mœurs des Sauvages Américains, comparés aux mœurs des premiers temps, par Joseph-François Lafitau).
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