Campagnes pour la colonisation intensive et pour la municipalisation de l’électricité – Fondation de l’Action Libérale Nationale
Vers la fin de 1933, quelques colons découragés redescendent en ville et portent leurs doléances à L’Illustration, au Petit Journal ou aux députés de l’opposition.
Les deux agitations – colonisation; électricité – se rejoignent. T. – D. Bouchard prononce encore des discours à Thetford-les-Mines, puis à Acton-Vale, devant la Chambre de commerce au grand complet (comprenant même le gérant de la Southern Canada Power). Albert Rioux rencontrant Bouchard lui demande si la municipalisation de l’électricité dans les villes peut retarder l’électrification rurale, comme les compagnies le prétendent. – « J’ai toujours réclamé l’électrification rurale, répond Bouchard. Si je n’ai pas insisté outre mesure, c’est que les invitations à parler venaient d’organisations urbaines, de sorte que la discussion portait sur les aspects intéressant les citadins. » L’U.C.C. Commandite des émissions radiophoniques. Elle diffuse un discours de Bouchard, préconisant la régie publique, comme en Ontario.
Un troisième parti réellement dangereux sortira-t-il de tout cela? Calder, Barré et Guertin, adoptant le nom provisoire de « franc parti », collent Taschereau et Duplessis dos à dos. Calder a organisé la victoire de Houde à la mairie, mais il doit en grande partie son succès à la personnalité même de son poulain. Seule, l’adhésion de Houde conférerait de l’importance au « franc parti ». Or mille soucis assaillent le maire, pris entre les chômeurs, les banquiers, le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral. La vérification des comptes traîne, et les gouvernements tardent à fournir leur quote-part des secours de chômes. »Je verserai trois millions, dit le fédéral, à la condition que Québec commence. » – « Je verserai trois millions, dit le provincial, à la condition qu’Ottawa commence. » Irénée Vautrin, nouveau ministre, renforce le chœur du gouvernement provincial. La Banque de Montréal et la Banque Canadienne Nationale posent des conditions rigoureuses aux nouvelles ouvertures de crédit. Jackson Dodds, gérant général de la Banque de Montréal, Beaudry Leman, gérant général de la Banque Canadienne Nationale, et Pamphile Du Tremblay, président du comité consultatif nommé par Houde, agissent en accord tacite avec le gouvernement de Québec. Camillien Houde s’est mis dans la fosse aux lions. Il n’a pas désarmé la plus grande banque du pays par la nomination de Hulse. En ouvrant une campagne politique, il se couperait à coup sûr les crédits indispensables à l’administration municipale.
Dans ces conditions, Houde décline toute participation à des mouvements politiques. La mairie accapare le temps d’un homme, même très actif : « J’ai été élu maire de Montréal pour m’occuper des affaires de la cité, et l’acuité de la crise ne me permet aucune autre activité. J’ai besoin du concours de tous pour réussir… »
De leur côté, Paul Gouin et ses amis tiennent un petit congrès à Québec. Ils fondent officiellement l’Action Libérale Nationale, et rédigent un manifeste, inspiré du Programme de Restauration Sociale publié, l’hiver précédent, sous les auspices de l’Action Sociale Populaire. Le nouveau groupement compose ses cadres avec Paul Gouin à la présidence, F. – A. Monk, Jean Martineau, Calixte Cormier, Roger Ouimet et Robert Dufresne aux autres postes. Il préconise des réformes agraires, ouvrières économiques, politiques et administratives, dans le domaine fédéral et dans le domaine provincial. Vaste mouvement de colonisation; transformation du Conseil législatif en Conseil économique; disparition des trusts; réorganisation de la police et des tribunaux relevant du gouvernement provincial, etc.
Il s’agit toujours de relibéraliser le parti libéral. Le nouveau groupement peut y parvenir, en théorie, en introduisant au sein du parti, voire au sein du gouvernement, un certain nombre de ses hommes, qui suggéreraient et au besoin imposeraient les réformes. Mais pareille tentative entraînerait fatalement une rupture avec les chefs officiels, qui n’entendent point abdiquer la direction. L’objectif « renverser Taschereau » prend de jour en jour plus d’importance. Un fils de sir Lomer Gouin condamne implicitement la politique économique de son père, et lève l’étendard de la révolte contre Alexandre Taschereau, premier ministre désigné par Lomer Gouin lors de son départ. Louis Francœur, dans l’Illustration, reproche aux nouveaux croisés de garder le mot « libéral » dans leur titre, au lieu de fonder un parti simplement national, auquel des conservateurs – comme lui, sans doute, pourraient adhérer « Qu’est-ce donc, actuellement, qui différencie les partis dans la politique courante? Rien. Et dans les principes? Rien. L’un et l’autre manquent également d’idées, sacrifient également à l’opportunisme, tolèrent également dans leur sein des vadrouilles dorées, contredisent par leurs actes les idées qu’ils proclament, et collaborent à dégoûter les gens modérés de la démocratie… Ce n’est assurément pas d’eau que viendra le salut. » Francœur peut parler pour lui-même. Il peut aussi, dans L’Illustration, parler pour Houde.
(Robert Rumilly, de l’Académie canadienne-française. Histoire de la province de Québec. L’Action Libérale Nationale. Montréal et Paris. Fides).
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