Cadre légal du mariage en Nouvelle-France et après la Conquête
Contrat de mariage : En Nouvelle-France et pendant plus d’un siècle après la Conquête, presque tous les couples passent chez le notaire pour signer un contrat de mariage, même ceux qui n’ont que très peu de biens. Jusqu’en 1866, c’est la Coutume de Paris qui règle les droits civils des individus en Nouvelle-France et au Bas-Canada. Cette Coutume établit la primauté juridique de l’époux, chef de famille, sur l’épouse et les enfants. Elle restreint les droits des individus, et surtout ceux des femmes, au nom de la famille.
À défaut de conventions spéciales dans leur contrat de mariage, les époux sont mariés selon le régime de la communauté de biens. Dès le mariage, tous les biens meubles et immeubles des époux, achetés ou gagnés, sont en communauté et administrés par le mari seul. Celui-ci peut vendre, donner ou engager ces biens, pourvu qu’il le fasse pour le bien de la communauté. Les seuls biens qui demeurent légalement propriété de l’épouse sont les immeubles reçus par succession ou par donation de ses parents. Toutefois, le mari peut disposer des fruits de ces biens : par exemple, percevoir des loyers ou vendre une récolte sans le consentement de la propriétaire. Par ailleurs, il ne peut pas vendre ces biens immeubles comme tels.
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À la mort de l’un des époux, le survivant reçoit la moitié des biens de la communauté, l’autre moitié allant aux enfants en parts égales. De plus, la veuve a droit au douaire coutumier, sorte de pension qui doit la protéger de la pauvreté. C’est l’usufruit, c’est-à-dire la jouissance, de certains des immeubles du mari, qui sont restés en dehors de la communauté.
Dans leur contrat de mariage, les futurs mariés peuvent apporter les modifications à ce régime fondamental. La plupart des époux, au cours de leur mariage, n’ont pas d’immeuble pour servir de base à un douaire coutumier. Aussi, ils substituent un douaire conventionnel payable à l’épouse après la mort du mari et tiré sur tous les biens du mari. Un couple peut ainsi convenir que le survivant acquerra, avant le partage, certains biens meubles ou une somme fixe de la communauté, un préciput, ou que, s’il n’y pas d’enfants, l’époux survivant gardera le tout. Lorsque les époux attendent des héritages, on en fait mention et on détermine s’ils seront compris dans la communauté ou non. Dans tous les cas, la veuve peut renoncer à sa part de la communauté lorsqu’elle est déficitaire, privilège prévu pour compenser la mauvaise administration du mari.
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Les clauses d’un contrat de mariage sont extrêmement importantes, car le taux de mortalité élevé fait beaucoup de veuves et d’orphelins. Avant l’introduction de la liberté testamentaire, sous le Régime anglais, le contrat de mariage est presque la seule façon de contrôler ses biens après sa mort. La coutume de Paris interdit aux époux, une fois mariés, de se faire des dons, sinon des aliments et des petits cadeaux, sous prétexte qu’on peut ainsi soustraire des biens aux héritiers de chaque époux. Pour la même raison, d’autres règles de droit limitent la possibilité, pour un individu, de conférer des biens à d’autres personnes qu’aux membres de sa famille. Mais après 1801, hommes et femmes peuvent disposer par testament de la totalité de leurs biens, même de leur part dans la communauté, comme bon leur semble. Cependant, au début du XIX siècle, très peu de femmes font des testaments.
Le principe du partage des biens de la communauté entre mari et femme n’est pas accepté par les immigrants anglophones. Ceux-ci sont habitués à la loi anglaise du Common Law où les femmes ont peu de droits et où les biens sont sous la direction du mari, qui peut ainsi amasser des capitaux plus vite. Gray, qui voyage au Bas-Canada au début du XIXe siècle, remarque que le droit civil, avec ses règles de partage, va à l’encontre du développement capitaliste. Mais il note que beaucoup ont déjà trouvé le moyen d’éviter l’application de plusieurs de ces règles par la conclusion d’un contrat en séparation de biens.
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Ce cadre légal du mariage au XVIIIe et au XIXe siècles prive déjà les femmes de plusieurs libertés individuelles. Sans l’autorisation maritale, elles ne peuvent accomplir aucun acte légal ni se lancer en affaires. La domination du mari sur les biens familiaux est absolue. Toutefois, lorsqu’on compare la Coutume de Paris au Common Law qui régit les immigrants du Haut-Canada à partir de 1791, la situation des femmes d’ici paraît très favorable. La Coutume de Paris favorise les créances de la femme et des enfants par rapport à celles des créanciers ordinaires, et leur donne même le droit de racheter certains biens de la famille vendus aux étrangers. Mais, après 1760, les hommes anglophones, à l’esprit capitaliste, se plaindront du fait que ces lois rendent l’accumulation d’une fortune très difficile.
(Tiré de L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, Le Collectif Clio. pp.85-88).