La cabane à sucre – Une tradition sucrée
La tradition de la cabane à sucre se transmet depuis moult générations au Québec. Bien avant le début de la colonisation, les Amérindiens entaillaient les arbres avec une hache pour en recueillir la sève dans un morceau d’écorce et la réduisaient pour obtenir le sirop. Les colons se plient volontiers à la coutume et adoptent le sucre d’érable comme édulcorant de choix.
La gouterelle en bois de cèdre qui sert à diriger la sève vers des bacs déposés à même le sol apparaît vers 1730. La gouterelle de tôle entre en usage vers la fin du XIXe siècle, suivie quelques années plus tard par les seaux de bois ou « baquets » suspendus à l’arbre par un clou. Le paysage familier du Québec printanier prend forme dans la première moitié du XXe siècle, alors que l’utilisation du vilebrequin, des chalumeaux et des seaux en aluminium s’impose avant de faire place aux accessoires de plastique et à la perceuse électrique. Les premiers producteurs effectuaient la cueillette de l’eau d’érable en raquettes, à l’aide de seaux de bois et d’un joug. Ils ont éventuellement fait appel au chien, au bœuf et, vers 1930, au cheval pour tirer le traîneau sur lequel trônait un tonneau. Puis la puissance et la commodité du tracteur et de la motoneige ont fait leurs preuves. La tubulure de plastique et la pompe à vide permettant d’acheminer l’eau d’érable directement à la cabane viendront finalement modifier l’apparence des érablières au cours des années 1970.
La coulée de l’eau d’érable débute tôt au printemps et dure environ quatre semaines. Parmi les six espèces d’érables indigènes du Québec, l’érable à sucre et l’érable rouge (plaine) sont les principales essences exploitées commercialement pour la production acéricole. Selon la teneur initiale en sucre, entre 30 et 60 litres d’eau d’érable seront nécessaires pour la fabrication d’un litre de sirop. Au XVIIIe siècle, on faisait bouillir la sève dans des chaudrons de fonte ou de cuivre installés au-dessus d’un feu sous un tout de branchages. L’évaporateur constitué de plusieurs bassins fait son apparition vers 1880, alors qu’une cabane construite au centre d’érablière vient remplacer la cuisson en plein air. Aujourd’hui, l’utilisation de la tubulure par un grand nombre d’acériculteurs permet de placer la sucrerie en périphérie ou carrément à l’extérieur de l’érablière. Traditionnellement conçue dans le but exclusif de transformer l’eau d’érable, la cabane de bois possède un toit à double versant recouvert de bardeaux ou de tôle. Une lucarne à panneau ouvrant favorise l’évacuation de la vapeur; un appentis est aménagé pour l’entreposage du bois; des bâtiments adjacents servaient jadis à loger les hommes et les chevaux. De nos jours, la cabane à sucre est souvent isolée dans l’érablière, l’homme muni d’un tracteur ou d’une motoneige regagnant son domicile une fois le travail terminé. La technologie a doté les acériculteurs d’outils sophistiqués – thermomètres, centrifugeuses, osmoseurs, densimètres et coloriètres – qui maximisent et accélèrent la fabrication des produits de l’érable. Actuellement, le Québec fournit 70% de la production mondiale de sirop d’érable; les principaux consommateurs étrangers sont les États-Unis, l’Allemagne et le Japon.
Plus qu’une simple industrie, l’acériculture constitue une tradition régionale qui attire gourmands et gourmets à la cabane chaque printemps. La version commerciale de la cabane à sucre comprend généralement une salle de réception pouvant accueillir plusieurs personnes à proximité de l’aire de fabrication. L’activité la plus appréciée demeure sans doute la dégustation de la tire encore brûlante déposée sur de longiformes « bancs » de neige.
Il n’existe pas plus agréable endroit que la Beauce où se sucrer le bec! Cette région domine la production acéricole du Québec, lui-même premier fournisseur mondial de produits de l’érable. Répondant aux premières caresses du soleil printanier, la sève de l’érable à sucre coule à flot. Une fois bouillie, l’eau devient un sirop, puis de la tire pour le plus grand plaisir des « lécheux » de palette et des gourmands de ce régal sur la neige. Outre les nombreuses cabanes qui accueillent les visiteurs au temps des sucres, la ville de Saint-Georges tient le Festival beauceron de l’érable chaque année, vers la fin de mars ou le début d’avril.
Dégustation du sirop d’érable par Louis Hémon (roman Maria Chapdelaine)
Les enfants poussèrent des cris de joie et suivirent des yeux les préparatifs avec un intérêt passionné. Du sirop de sucre et de la cassonade furent mélangés et mis à cuire ; quand la cuisson fut suffisamment avancée, Télesphore rapporta du dehors un grand plat d’étain rempli de belle neige blanche. Tout le monde se rassembla autour de la table, pendant que la mère Chapdelaine laissait tomber le sirop en ébullition goutte à goutte sur la neige, où il se figeait à mesure en éclaboussures sucrées, délicieusement froides.
Chacun fut servi à son tour, les grandes personnes imitant plaisamment l’avidité gourmande des petits ; mais la distribution fut arrêtée bientôt, sagement, afin de réserver un bon accueil à la vraie tire, dont la confection ne faisait que commencer. Car il fallait parachever la cuisson et, une fois la pâte prête, l’étirer longuement pendant qu’elle durcissait. Les fortes mains grasses de la mère Chapdelaine manièrent cinq minutes durant l’écheveau succulent qu’elles allongeaient et repliaient sans cesse ; peu à peu leur mouvement se fit plus lent, puis une dernière fois la pâte fut étirée à la grosseur du doigt et coupée avec des ciseaux, à grand effort, car elle était déjà dure. La tire était faite.
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