Le Bureau d’hygiène se montre optimiste
Il y a lieu d’espérer, annonce-t-il, que d’ici dix jours, un déclin manifeste de l’épidémie se sera produit – Conseils qu’il faut suivre à la lettre – Le nombre des décès est resté à peu près stationnaire, mais celui des nouveaux cas a considérablement diminué
Le Bureau d’hygiène, dans une proclamation qu’il vient de rendre publique, se montre très optimiste au sujet de l’épidémie qui sévit actuellement à Montréal : « Il est raisonnable, dit-il, d’entretenir l’espoir que d’ici à une semaine ou d’ici à dix jours, un déclin manifeste se sera produit; il y met une condition cependant : « pourvu. Ajoute-t-il, qu’on ne dédaigne pas les mesures de précautions suggérées par le bureau, mais, qu’au contraire on les suive toutes à la lettre. »
Cette proclamation se lit comme suit :
« La maladie qui sévit présentement sous forme épidémique est de la nature de l’influenza et de la pneumonie. Elle n’a rien de commun avec le typhus, la lèpre, la peste ou la soi-disant fièvre noire. Bien que nombre de cas prennent un caractère grave et même fatal, il en existe une foule d’autres d’une nature beaucoup moins sérieuse et dont la guérison est complète, de sorte que tout élevé que soit le taux de la mortalité, il n’est pas excessivement haut, si on le compare à la totalité des infections. La maladie se développe sous sa forme la plus dangereuse là où les individus demeurent en contact rapproché, intime et plus ou moins constant, et où les mesures hygiéniques générales, les soins personnels et la propreté ne peuvent être qu’imparfaitement en honneur.
« La majorité des cas fatals peuvent être retracés jusqu’à une infection provenant de telle source, soit directement, soit par l’entremise de véhicules personnels ou impersonnels. D’où il suit que le moyen le plus rapide de faire disparaître l’épidémie est d’éviter, autant que possible, tout contact intime, les foules et l’usage en commun d’ustensiles et de verres, et d’avoir un soin scrupuleux de ses mains et de bouche. On n’a pas à craindre l’infection de l’air, mais les secrétions humides, les excrétions et la salive peuvent transmettre l’infection soit directement, soit indirectement, par l’usage en commun d’essuie-mains, de verres ou de tasses insuffisamment nettoyés, de cuillères, de fourchettes et de couteaux. Des parcelles de poussière peuvent aussi servir de véhicules à l’infection.
« On remarque également que des cas légers peuvent devenir graves, de sorte que toute personne souffrant de maux légers, tels que rhumes, malaise général, et ainsi de suite, devrait immédiatement prendre toutes les précautions possibles pour empêcher la maladie de prendre une tournure dangereuse. Le fait d’avoir négligé ces précautions a sans doute contribué à nombre de morts. L’épidémie est grave, mais, jusqu’ici, en comparaison de l’étendue du caractère de la province, elle ne l’a pas été excessivement ; comme question de fait, elle l’a été moins que dans d’autres épidémies.
« Les précautions et les restrictions qui ont été prises, dès le début à Montréal, sont maintenant en vigueur dans les autres villes où la maladie prend de plus grandes proportions. C’est un fait significatif de constater que là où ces précautions n’ont pas été prises, la maladie s’est propagé avec une grande rapidité et est devenue plus sérieuse.
« Il est raisonnable d’entretenir l’espoir que d’ici à une semaine ou d’ici à dix jours, un déclin manifeste se sera produit, pourvu qu’on ne dédaigne pas les mesures de précaution suggérées par le Bureau d’hygiène, mais qu’au contraire, on les suive toutes à la lettre.
Les dernières statistiques
Les dernières statistiques du service d’hygiène sont assez satisfaites. Il est vrai qu’on a enregistré 195 décès au cours de la journée de samedi; mais le nombre de nouveau cas a par contre passablement diminué : de 1,300 qu’il était jeudi, il tombait à 750, vendredi, et à 617, samedi. Ce résultat est d’autant plus encourageant que les nouveaux cas semblent de plus en plus diminuer : hier, on n’en a enregistré que 40. Le nombre des décès a cependant été de 113.
Le total des cas, à date, est de 8,598 et celui des morts de 1,505 – comme indique du reste le tableau suivant préparé par le Bureau d’hygiène :
1 octobre – 17 cas, 11 décès.
2 octobre – 3 cas, 13 décès.
3 octobre – 7, 10.
4 octobre – 22, 12.
5 octobre – 111, 26.
6 octobre – 21, 18.
7 octobre – 111, 26.
8 octobre – 119, 27.
9 octobre – 132, 23.
10 octobre – 398, 59.
11 octobre – 202, 51.
13 octobre – 367, 43.
14 octobre – 378, 165.
15 octobre – 1,868, 153.
16 octobre – 1,748, 162.
17 octobre, 1,300, 166.
18 octobre – 750, 163.
19 octobre – 617, 113.
Totaux : 8,568 cas et 1,505 décès jusqu’à ce jour.
Désinfection des wagons
Le Bureau d’hygiène continue son travail d’organisation de concert avec le personnel des différents hôpitaux et institutions religieuses. À une réunion d’urgence qu’il a tenue samedi dernier, plusieurs nouvelles questions ont été décidées, notamment celle de la fermeture des magasins. Pour qu’il n’y ait pas de malentendu, le bureau a résolu de ne pas inclure les magasins de gros dans l’ordre de fermeture : seuls, les magasins de détail ouvriront à 10 heures 30 du matin et fermeront entre 6 heures 30 et 7 heures du soir. Les magasins de gros devront ouvrir comme les bureaux publics, c’est-à-dire à 9 heures, et fermer à 4 heures 30.
Le bureau a de plus décidé, pour plus de précaution, de faire désinfecter tous les wagons de voyageurs arrivant à Montréal, surtout les wagons-lits.
Depuis le début de l’épidémie, le bureau d’hygiène est inondé de lettres de toutes sortes : les citoyens demandent d’envoyer des hommes pour désinfecter les maisons où l’influenza a passé. C’est à regret que l’on se trouve dans l’impossibilité, dit-on, de répondre aux demandes. On suggère par contre de laver les planchers avec une solution d’eau de javelle et d’eau chaude.
Si l’on veut se servir d’un désinfectant plus puissant, qu’on se serve de la formaline mélangée à l’eau : 8 onces de formaline, dans l’eau suffisent pour désinfecter et laver comme il faut, un millier de pieds cubes de plancher. C’est un bon moyen aussi de désinfecter les crachoirs.
Chez les militaires
L’épidémie de grippe est presque complètement enrayée chez les militaires et le major général Wilson a cru devoir offrir aux autorités municipales l’hôpital d’urgence des Grenadiers Guard, rue Esplanade. Cet hôpital servira à tous les malade que la commission d’hygiène voudra bien y faire transporter. Les militaires ont aussi passé à la ville de Montréal un grand nombre de médecins et de garde-malades dont on peut maintenant se dispenser. Déjà plusieurs civils ont été admis à cet hôpital de la rue Esplanade et y recevront les mêmes soins que les soldats.
Huit nouveaux cas ont été enregistrés chez les militaires à la fin de la semaine dont sept aux casernes de Montréal et un seul à celles de Saint-Jean au cours des deux journées écoulées. Les nouveaux cas ont diminué de 50% au cours de la semaine dernière et on espère que la situation s’ira plus maintenant qu’en s’améliorant.
Appel à l’aide
Le personnel du Bureau d’hygiène de la rue Mansfield (autrefois de la rue Bleury) lance un pressant appel au public : il demande aux citoyens qui peuvent disposer de leur temps de bien vouloir lui offrir leurs services. Actuellement, une quarantaine de volontaires seulement travaillent dans ce bureau; leur nombre est si restreint qu’il leur faut commencer leur journée à 8 heures du matin pour le la terminer qu’à 11 heures du soir.
On pourra se faire une plus juste idée de la somme de travail qu’ils ont obligés d’accomplir, quand on saura qu’au cours des derniers jours de la semaine dernière, ils ont dû s’occuper de 135 cas d’influenza. Les recherches que requiert chacun de ces cas disent assez l’énorme tâche que ces personnes doivent s’imposer; aussi n’est-ce pas sans besoin qu’elles demandent aux citoyens qui peuvent le faire de bien vouloir leur venir en aide – moyennant salaires ou non.
Le Catholic Service Guild
Les appels ont été si nombreux ver la fin de la semaine, au Catholic Service Guild, 316, ouest, rue Lagauchetière, que l’on a dû doubler le nombre des travailleurs, améliorer le service téléphonique et laisser les bureaux ouverts jusqu’après minuit. On a pu répondre aux besoins de garde-malades, grâce au dévouement des religieuses toujours disposées au soulagement. Des autos, mises à la disposition de la société, ont facilité la tâche des visites à la Côte Saint-Paul, à la Pointe Saint-Charles, à Notre-Dame de Grâce et à Westmount.
Des mauvaises adresses ont causé des retards regrettables et des démarches harassantes. Un médecin mit deux heures à chercher une maison sur l’avenue Girouard, d’Outremont, tandis qu’il s’agissait de l’avenue Girouard, de Notre-Dame-de-Grâce. De partout, on relate des cas désolants de maladie dans l’entier dénouement. Des garde-malades, religieuses ou laïques, pénètrent dans des logis où toute la famille est atteinte de la grippe. Le Catholic Social Service Guild demande de l’aide. Tous les membres du Guild et toutes les personnes désireuses de l’assister dans la visite des malades sont les bienvenus. Le Guild accepte les dons en argent, en lingerie, en combustible, en comestible, en médecines. En l’occurrence présente, l’on peut dire que quiconque donne promptement donne deux fois.
À Toronto
Toronto, 21 octobre 1918. – Un communiqué publié hier, par le médecin en chef de la commission d’hygiène, dit que la maladie n’a pas encore atteint son point culminant dans la province d’Ontario. On demande encore des garde-malades et des médecins un peu partout dans la province et c’est avec difficulté qu’on peut en trouver. La Commission d’hygiène a cru devoir faire un appel à toutes les personnes qui voudront bien prêter leur assistance généreuse pour soigner les plus indigents. Un comité de secours a été organisé; ce comité s’occupe des instructions à donner aux garde-malades volontaires qui sont envoyées ensuite un peu partout où le besoin s’en fait le plus sentir. Toutes les garde-malades ont été vaccinées avec un nouveau sérum pour prévenir la grippe.
Le nombre des mortalités à Toronto, au cours du mois dernier, s’élève à 502 dont 50 sont mortes samedi dernier, et on ne tient pas compte des sept mortalités qui sont arrivées aux casernes.
La situation à Ottawa et ailleurs
Les mortalités ont augmenté sensiblement à la fin de la semaine. Dimanche, es personnes décédées des suites de l’influenza étaient 50% plus considérables que samedi. D’au autre côté, les nouveaux cas ont beaucoup diminué depuis quelques jours et on espère que la situation n’ira qu’en s’améliorant.
La situation ne s’améliore pas rapidement dans la bille de Bantford et on rapporte qu’il y a eu 13 mortalités au cours des dernières vingt-quatre heures. Pour comble de malheure, on commence à manquer de remèdes dans les différentes pharmacies de la ville.
Dans la ville de Windsor, toutes les églises, les théâtres et les endroits publics ont été fermés depuis quelques jours. Douze personnes sont mortes à Kingston, dans la journée d’hier. Toutes sont mortes des suites de la grippe espagnole.
À Guelph, tous les endroits publics sont fermés depuis quelques jours et la maladie fait encore des progrès,
(Quotidien Le Devoir, 21 octobre 1918, lundi).
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