Aurore, l’enfant martyre

Aurore, l’enfant martyre

Condamnation à mort pour la marâtre de Sainte-Philomène

L’honorable juge Pelletier, en sanglotant, condamne la femme Gagnon à être pendue le vendredi, 1er octobre 1920. Épilogue à une affaire lamentable

Québec. La marâtre Marie-Anne Houde, femme de Télesphore Gagnon, de Sainte-Philomène de Fortierville, accusée du meurtre de sa belle-fille Aurore Gagnon, la petite martyre de 10 ans, a été trouvée coupable par le jury aux assises de Québec, et elle a été condamnée par l’honorable juge J. – P. Pelletier à être pendue à Québec, vendredi, le 1er octobre 1920.

Tel est le résultat du procès qui a duré huit jours et qui a passionné l’opinion publique comme jamais cela n’est arrivé depuis de nombreuses années.

Bien que le juge ait décrété le huis clos au début du procès, la salle était remplie le 21 avril 1920 après midi autant qu’elle peut l’être. On avait commencé à admettre les avocats, puis les médecins, puis les étudiants. Le résultat est que finalement tous ceux qui ont voulu assister au procès ont pu pénétrer dans la salle.

La scène qui s’est déroulée lorsque le jury a déclaré la marâtre coupable de meurtre et lorsqu’elle a été condamnée à mort fut la plus dramatique à laquelle il ait été donné d’assister aux présents. Depuis le juge jusqu’au plus endurci des spectateurs, tout le monde était ému jusqu’au plus profond de son être. Bien des yeux étaient mouillaient de larmes.

Après sa condamnation, madame Gagnon, qui avait fait preuve jusqu’alors d’un stoïcisme extraordinaire, a éclaté en sanglots bruyants.

Dans son intervention au jury, le juge rappela les grandes lignes des principaux témoignages, écartant d’emblée l’ultime tentative de la défense pour faire passer l’accusée pour folle.

Le verdict du jury n’a surpris personne, surtout après la charge formidable prononcée par le juge Pelletier contre l’accusée.

Spectacle poignant

Le juge avait prononcé cette charge avec le talent et la maîtrise d’un jurisconsulte consommé. Mais quand il lui fallut prononcer la sentence de mort, il fut sur le point de faillir à cette tâche ingrate. Et c’est en hachant ses paroles par des sanglots qu’il condamna la malheureuse. Un huissier dut lui aider à marcher pour sortir de la cour (ce fut le dernier procès pour meurtre que le juge Pelletier présida).

Voici un extrait de la charge du juge Pelletier :

La prisonnière qui n’avait jusqu’alors que pleuré en silence, éclate en sanglots bruyants. Elle crie, elle crie en s’affaissant. C’est navrant, les gardes de la prison la supportent comme elle sort du banc des accusés. Le fait que cette femme est enceinte ne saurait influencer la décision du jury. Si une femme dans un état intéressant peut commettre tous les crimes impunément, cela va devenir dangereux. Une femme dans un état intéressant pourrait aller voler chez vous et répondre à celui qui l’arrêtera: « Ne me touchez pas, je suis en voie de maternité, je suis irresponsable ».

Quant à l’enfant qui doit naître de cette femme, il n’y a pas à craindre pour lui. La loi y pourvoit : une femme ne peut pas être pendue durant qu’elle est en voie de devenir mère. J’y verrai moi-même. Je m’y engage. Nous ne sommes pas un peuple de barbares.

Le juge a terminé sa charge à 16 heures 15. Il parlait depuis 14 heures, sans interruption. Avant le dîner, il avait parlé durant une demi-heure. Sa charge a donc duré en tout deux heures et trois quarts.

Coupable

Immédiatement après la charge du juge, le jury s’est retiré pour délibérer. À peine un quart d’heure plus tard, à 16.30, le juge revient dans la salle et annonce que le jury est prêt à rendre son verdict. Il supplie l’auditoire de ne faire aucune manifestation lorsque le verdict sera prononcé.

Puis les juges reviennent dans la salle, répondant chacun à son nom. C’est le juré Théophile Hout qui est leur porte-parole. En réponse à la question solennelle de M. Charles Gendron, greffier, à savoir si l’accusée est coupable de crime de meurtre dont elle est accusée, le porte-parole du jury répond « coupable ».

L’assistance accueille ce verdict dans un silence de mort.

– Êtes-vous unanimes? – demande le greffier.
– « Qui », répondent les jurés.
– Vous pouvez-vous retirer maintenant », dit le juge, – « Vous êtes libres de rester ou de vous en aller. Je vous remercie. Vous avez fait votre devoir. »

Le juge suspend ensuite l’audience pour quinze minutes.

La marâtre pleure

Durant la suspension de l’audience, la femme Gagnon sanglote sous son épais voile noir. Le juge se fait longtemps attendre. Les gens dans la salle trouvent le temps bien long. La prisonnière doit aussi trouver le temps bien long.

À 16 heures 55, le juge revient à son siège. M. Fitzpatrick, un des avocats de la couronne, demande que sentence de mort soit prononcée contre la prisonnière.

L’huissier audiencier, sur l’ordre du juge, crie: « Marie-Anne Houde, levez-vous ». La prisonnière se lève péniblement.

M. Alphonse Pouliot, premier greffier de la cour, demande à la prisonnière: Avez-vous quelque chose à dire pour que sentence de mort ne soit pas prononcée contre vous?

La prisonnière resta muette quelques secondes. On l’entend murmurer quelques mots incompréhensibles. M. Francœur se lève et dit: « Au nom de ma cliente je déclare qu’elle n’a rien à dire ».

Le juge se coiffe alors de son tricorne noir. Il est visiblement ému, terriblement ému. Il se prend la tête à deux mains. Avec un effort extrême le juge prononce:

Vous avez été trouvée coupable de meurtre. Je concours dans le verdict du jury. Vous avez compris mes remarques. Je n’ai rien à ajouter.

La sentence de la cour est que vous soyez conduite dans la prison commune du district de Québec et que vous y soyez détenue jusqu’au premier octobre prochain, à huit heures du matin, alors que vous serez pendue par le cou jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Que Dieu vous pardonne et qu’il vous soit en aide.

Le juge s’en retourne à sa chambre en sanglotant.

Voila l’épilogue de cette triste affaire.

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Affiche d’Aurore, un film de Luc Dionne.

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